Pierre Pelouzet : "Les entreprises devraient passer du temps à courir après les clients plutôt qu'après leurs règlements !"
Pierre Pelouzet, nouveau Médiateur des relations inter-entreprises, est convaincu et décidé à faire travailler les entreprises ensemble. Une mission-clé à l'heure où les délais de paiement s'allongent. Interview sur ses objectifs, missions et moyens, dont la médiation, efficace dans 80 % des cas.
Je m'abonneLe 22 novembre dernier, Pierre Pelouzet a été nommé Médiateur des relations inter-entreprises, succédant ainsi à Jean-Claude Volot.
Président de la CDAF (Compagnie des dirigeants et acheteurs de France) de 2006 à 2012, il a co-écrit la Charte des relations inter-entreprises en 2009. Il est également vice-président de Pacte PME, de l'Obsar (Observatoire des achats responsables) et à la tête de l'association Pas@Pas pour des achats solidaires.
Quelques semaines après sa prise de fonction, Chef d'Entreprise l'a rencontré pour faire le point. Interview.
Votre prédécesseur, Jean-Claude Volot, est un dirigeant de PME qui s'est démarqué par des prises de position fortes en faveur des petites entreprises. Quant à vous, vous avez occupé différents postes de directeur des achats au sein de grands groupes (SCNF, Cegelec...). Quel Médiateur des relations inter-entreprises serez-vous ? Je vais capitaliser sur le travail qui a été fourni depuis deux ans, et continuer à faire connaître la médiation et la problématique des relations inter-entreprises. Avec mon style et ma personnalité, mais avec un même but : convaincre et faire bouger les choses. Je serai un médiateur de conviction. J'ai une expertise certaine des grands groupes mais je connais aussi très bien l'univers et le fonctionnement des PME. Ce qui me permet de bien appréhender les décalages de perceptions entre ces deux mondes, qui devraient travailler ensemble et non s'affronter. Je continuerai à être dans la dénonciation si besoin, mais surtout je souhaite un rapprochement des points de vue...
Jean-Claude Volot avait coutume de parler de "maltraitance des sous-traitants". Quelle est votre analyse de la situation ?
Cette expression ne me plaît guère. Ne serait-ce que parce qu'il me semble que des termes comme "sous-traitant" ou "donneur d'ordres" devraient être bannis, ils décrivent un mode de fonctionnement qu'il faut arriver à dépasser. Quant à maltraitance, cela me paraît un peu fort mais il est vrai qu'il y a de vrais problèmes. On marche à l'envers, alors que clients et fournisseurs devraient travailler ensemble. La situation est anormale : les entreprises devraient passer du temps à courir après les clients plutôt qu'après leurs règlements ! Aujourd'hui, le crédit inter-entreprises représente 500 milliards d'euros ! Les enjeux sont colossaux surtout en temps de crise.
Concrètement, quelles sont vos missions et comment comptez-vous les mener à bien ?
Je souhaite construire une médiation en grand, autour de deux axes principaux : faire en sorte que les entreprises travaillent mieux ensemble et faire grandir les PME. Pour ce faire, la communication autour du dispositif et des bonnes pratiques entre clients et fournisseurs est essentielle. Essentielle mais délicate car il ne s'agit pas de stigmatiser les uns ou les autres, ce qui pourrait être contreproductif.
Ensuite, je compte me déplacer sur le terrain, en région, pour rencontrer les entreprises.
Puis, nous avons à notre disposition des outils préventif (la Charte des relations inter-entreprises) et curatif (la médiation en tant que mode alternatif de résolution des conflits).
Enfin, nous pourrions être amenés à faire des propositions pour faire évoluer les textes. Mais, le problème n'est pas tant la loi que son application. La LME est claire sur les délais de paiement, par exemple, et pourtant, elle n'est pas respectée. Aujourd'hui, les délais de paiement restent le problème n° 1, c'est le motif de saisine le plus courant que nous rencontrons.
Pour donner du poids à la Charte des relations inter-entreprises , vous venez de lancer le Label Relations fournisseurs responsables. En quoi consiste-t-il ?
Nous souhaitions aller plus loin en proposant aux entreprises signataires de la charte, qui sont au nombre de 330 aujourd'hui, de pouvoir être labellisées, de pouvoir faire valoir leur engagement responsable. Concrètement, l'agence de notation extra-financière Vigeo évalue la mise en oeuvre de la charte, l'entreprise nous communique cette évaluation qui, en fonction des résultats, permet ou non la labellisation. Aujourd'hui, quatre grands groupes ont obtenu ce label : Legrand, la Société Générale, Thalès et la SNCF.
La médiation permet de trouver une solution satisfaisante pour les deux parties dans quatre cas sur cinq. Pourtant, les dirigeants de PME, par méconnaissance ou par peur de détériorer leur relation avec leur client, n'y ont pas forcément recours. Que pourriez-vous leur dire pour les encourager à franchir le pas ?
Vous n'avez rien à perdre et tout a y gagner ! Dans la majorité des cas, les blocages proviennent de problèmes d'incompréhension ou de méconnaissance de l'acheteur qui ne s'imagine pas l'impact que peut avoir ses actions, ou inactions. La médiation est un outil simple, gratuit, rapide et totalement confidentiel qui permet de débloquer un certain nombre de situations et qui permet aux deux parties de continuer à travailler ensemble. Les médiateurs assurent d'ailleurs un suivi en ce sens. Un autre conseil : le dirigeant ne doit pas hésiter à solliciter un médiateur, plus tôt il arrive dans le processus, plus il est efficace. Enfin, si malgré tout, le dirigeant a peur de mener une action seul, il peut opter pour une action collective en se rapprochant de sa fédération, d'un syndicat, etc. Dans tous les cas, ne rien faire, c'est pire !
Courant janvier, la Banque de France va publier le sixième Observatoire des délais de paiement. À quoi faut-il s'attendre ?
Je crains qu'il ne faille s'attendre à une aggravation de l'ordre de 12 jours en moyenne, de 15 à 20 jours pour les PME. La situation qui avait tendance à s'améliorer s'est tendue à la fin 2012. Un "effet crise" utilisé par les entreprises qui ne font pas les choses comme elles le devraient...
Le gouvernement envisage de remplacer les sanctions civiles et pénales existantes en cas de non-respect des délais de paiement inter-entreprises par une sanction administrative. Qu'en pensez-vous ?
Aujourd'hui, les sanctions sont essentiellement civiles. En outre, elles sont rares. Que l'État se saisisse de la problématique via des sanctions administratives va dans le bon sens, il me semble. Nous allons travailler avec Bercy sur le projet.