Bercy dévoile ses mesures pour réguler l'influence commerciale
Interdiction de promouvoir la chirurgie esthétique, obligation d'indiquer l'utilisation de filtres, fin de la rémunération des influenceurs commerciaux "en nature"... Le ministère de l'Economie a présenté le 24 mars une batterie de mesures pour encadrer l'influence sur les réseaux sociaux. Une proposition de loi en ce sens doit être examinée à l'Assemblée nationale fin mars.
Je m'abonneCréation d'une définition juridique de l'activité d'influence commerciale et de l'agence d'influenceur, obligation de contrats écrits entre les marques, les agences et les influenceurs, organisation des rencontres annuelles de l'influence responsable, interdiction de promouvoir la chirurgie esthétique et obligation d'indiquer l'utilisation de filtres... Le Ministère de l'Économie, des Finances et de la souveraineté industrielle et numérique a présenté le 24 mars 2023, lors d'une conférence de presse à Bercy, les conclusions des 8 tables rondes qu'il a entreprises en décembre 2022 et de la consultation publique menée en janvier dernier pour encadrer l'influence commerciale sur les réseaux sociaux. En émerge donc une batterie de mesures qui, pour certaines, font l'objet d'une proposition de loi transpartisane - déposée par Stéphane Vojetta, député apparenté Renaissance des Français établis hors de France et par Arthur Delaporte, député socialiste apparenté NUPES du Cavados - examinée en séance publique à l'Assemblée nationale d'ici la fin mars (le 28 ou le 29 mars) et qui, pour d'autres, sont adoptées de manière extra-législative, à l'instar d'un Guide de bonne conduite pour les influenceurs.
"Ne pas stigmatiser les influenceurs"
"Ce n'est pas un combat contre les influenceurs. C'est un combat pour faire de l'influence un vrai métier encadré, avec des droits et des devoirs, reconnus de tous. C'est aussi un combat pour la protection des consommateurs". Ainsi parlait Bruno Lemaire, dans l'édito du dossier de presse remis aux journalistes quelques minutes avant le début de la conférence de presse. Le ministre de l'Économie, des Finances et de la souveraineté industrielle et numérique l'a encore martelé au début de sa prise de parole : "Le secteur de l'influence s'est fortement développé ces dernières années et compte désormais 150 000 influenceurs en France. C'est un secteur économique dynamique, créatif, et qui doit faire l'objet d'une régulation particulière qui est là pour soutenir et défendre les influenceurs et non pas pour les stigmatiser."
Après avoir écouté 400 professionnels (annonceurs, associations de consommateurs, agences de relations publiques et de marketing, autorités...) et recueilli plus de 19 000 avis lors de la consultation publique, Bruno Lemaire a, ainsi, annoncé vouloir soumettre les influenceurs "à des règles". Et plus précisément "aux mêmes règles" publicitaires que les médias traditionnels. Une première, en Europe, s'est félicité le ministre : "C'est une vraie fierté de voir que la France est le premier pays à mettre en place un cadre complet de régulation de l'influence. C'est la meilleure façon de protéger les influenceurs et les consommateurs", rappelle-t-il, encore.
« C'est une fierté de voir que la France est le premier pays à mettre en place un cadre complet de régulation de l'#influence. C'est la meilleure façon de protéger les influenceurs », @BrunoLeMaire pic.twitter.com/TiXH8BWBWR
- Floriane Salgues (@FloSalgues) March 24, 2023
La reconnaissance légale de l'activité d'influence commerciale
La première "mesure d'accompagnement" (selon les termes du ministre) présente dans la proposition de loi adoptée à l'unanimité en commission est la création d'une définition de l'influenceur ou du créateur de contenu en ligne. Pour le ministère de l'Économie, un flou juridique persistait sur la question. L'influence commerciale est ainsi considérée comme "la pratique consistant à créer et diffuser, à l'intention du public français, par un moyen de communication électronique, des conseils ou des contenus faisant la promotion, directement ou indirectement, de produits ou de services en contrepartie d'un bénéfice économique ou d'un avantage en nature". La définition fait son apparition dans le Code de la consommation et du commerce et doit donc s'appliquer à l'ensemble des influenceurs, y compris ceux installés à l'étranger, dès lors qu'ils s'adressent à un public français. Une définition juridique de l'agence d'influenceur sera également créée, à savoir "représenter", à titre onéreux, "les personnes physiques ou morales exerçant l'activité d'influenceur définie dans la loi, auprès des personnes physiques ou morales sollicitant leur service, d ans le but de promouvoir, par un moyen de communication électronique, des biens ou des services".
Autre mesure : l'obligation d'un contrat écrit entre les marques, les agences et les influenceurs. "Nous allons systématiser le recours à des contrats écrits entre influenceurs, marques et agences, prône Bruno Le Maire. Il ne peut plus y avoir d'activités commerciales hors contrat. Cela va protéger les influenceurs qui, quand ils font du placement de produits pour une marque connue, ont, pour la plupart d'entre eux, un poids déséquilibré." La forme du contrat est libre en matière de rémunération et de propriété intellectuelle. Finie donc la rémunération de l'influence "en nature", via des produits ou des expériences offerts.
La publication d'un "guide de bonne conduite" pour les influenceurs
Mesure extra-législative, l'édition d'un "guide de bonne conduite". Ce dernier sera diffusé "massivement" aux influenceurs, aux agences et aux marques pour faire de la pédagogie autour des droits et des obligations d'un influenceur. Le guide répond à des questions telles que "Je suis mineur, puis-je devenir influenceur ?", "Ai-je le droit d'exercer l'activité d'influenceur si je suis salarié ou agent de la fonction publique ?", "Comment remplir mes obligations fiscales et sociales ?" ou, encore, "Dois-je déclarer les cadeaux que je reçois de la part d'annonceurs ?" (la réponse est oui, dès le premier euro). "Nous devons aider les influenceurs à respecter les règles et à s'engager, pour l'écologie par exemple", commente le ministre de l'Économie. Le guide est à consulter, ici.
"L'influence est un métier qui fait rêver, et tant mieux. C'est pourquoi il nécessite un encadrement de l'activité des plus jeunes", partage encore Bruno Le Maire. Désormais, les mineurs de moins de 16 ans devront obtenir un agrément auprès des services de l'État et 90 % de leurs revenus issus de l'influence commerciale seront bloqués jusqu'à leur majorité.
La création des rencontres de l'influence responsable
Le ministre de l'Économie a également annoncé la tenue d'une réunion annuelle, présidée par lui-même, qui aura lieu à Bercy afin d'échanger régulièrement sur le cadre réglementaire - et les éventuelles adaptations -, sur le guide de bonne conduite ou le protocole d'engagements entre l'État et les réseaux sociaux. Sur ce dernier point, l'État demande aux plateformes sociales de créer des "dispositifs clairs et lisibles pour afficher le caractère commercial d'une publication et établir des canaux de signalement clairs et lisibles à destination des internautes remarquant une illégalité". Un rendez-vous est fixé dans 6 mois pour constater si les réseaux sociaux ont joué le jeu.
Cette disposition extra-législative fait partie du "volet protection des consommateurs", au même titre que l'application des mêmes règles que la publicité à l'influence commerciale ou la protection de l'internaute par l'obligation de transparence des photos et vidéos retouchées.
L'interdiction de la promotion de la chirurgie esthétique
Réglementation sur les boissons alcoolisées et le tabac, sur les paris sportifs ou les jeux d'argent... "Toutes les règles de la publicité sur internet, à la télévision, à la radio ou dans la rue s'appliqueront pour les influenceurs", explique le ministère de l'Économie. Pas tout à fait, en fait. La loi Evin (10 janvier 1991), relative à la lutte contre l'alcoolisme et le tabagisme en interdit la publicité à la radio et à la télévision. Via une campagne d'influence, la proposition de loi ne l'interdit pas et demande simplement une mention sur les dangers pour la santé de l'abus d'alcool et de tabac. Un point à clarifier ? Pour la chirurgie esthétique, par contre, Bercy demande l'interdiction de la promotion de la chirurgie esthétique par l'influence commerciale. "Je suis favorable à l'élargissement de cette interdiction au-delà de l'influence commerciale à d'autres canaux de communication", fait part Bruno Lemaire. Charge au Parlement de le décider.
Afin "d'éviter des effets psychologiques destructeurs" sur leur audience, les influenceurs doivent également indiquer si leur contenu a fait l'objet d'une retouche visant, par exemple, à l'affinement ou l'épaississement d'une silhouette. C'est la réglementation pour les photographies publicitaires - modifiant l'apparence des mannequins - qui s'appliquera.
Le déploiement d'une brigade de l'influence commerciale
Une brigade de l'influence commerciale ? Tel est le nom d'une équipe dédiée de 15 agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui sera en charge de surveiller les réseaux sociaux et de répondre aux signalements des consommateurs - qui seront simplifiés pour les consommateurs, via le site Signal Conso, et facilités pour les associations de consommateurs et de victimes de l'influence par l'obtention d'un statut spécial. Cette brigade fera remonter les signalements jusqu'à la voie judiciaire. Le fait de ne pas signaler le caractère publicitaire d'une vidéo ou d'une photo postée par un influenceur est considéré comme "une pratique commerciale trompeuse". Jusqu'à deux ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende pourront être prononcés. En cas de non-respect de ces sanctions, l'influenceur pourra être interdit d'exercice. La DGCCRF pointait ainsi en janvier dernier que 6 influenceurs sur 10 ne respectaient pas la réglementation sur la publicité.
Des règles déjà existantes ?
Ces mesures de régulation de l'influence sont-elles nécessaires ? Si les représentants du secteur prônent plutôt l'autorégulation (les agences de marketing d'influence ont ainsi créé l'UMICC en janvier 2023, tandis que le Syndicat du Conseil en Relations Publics vient d'annoncer la création d'un "e-label" de "l'influence responsable" certifié par l'Association française de normalisation (Afnor)), pour Bruno Le Maire, les règles en vigueur nécessitaient "d'être clarifiées" dans un secteur décrié pour son opacité. Pas sûre, néanmoins, que les mesures proposées règlent les questions d'exil fiscal ou que le secteur du marketing d'influence résiste à l'obligation d'établir un contrat pour des placements de produits dès un euro.