Marketing durable : comment construire un marketing plus responsable ?
De nombreux citoyens disent ne pas connaître les engagements de marques en matière sociétale et environnementale. D'où l'intérêt de (mieux) communiquer sur ses projets, ses ambitions sociales et ses initiatives visant à réduire son impact environnemental, notamment. Mais comment réussir son coup ?
Nous le connaissions comme infatigable conteur de notre inaction politique. Ou comme auteur, convaincu par le rôle important que peuvent jouer les arts dans la transition écologique. Après avoir réalisé le film Demain, avec Mélanie Laurent, en 2015, puis Après-Demain, Cyril Dion était revenu, au cinéma, avec Animal. Un documentaire pour lequel il avait suivi en 2021 de jeunes militants du climat en quête d'un avenir meilleur. Nous le découvrons réalisateur de film... de marque. Cyril Dion a tourné, durant l'été 2022, un mini-documentaire afin de présenter... les engagements de la branche "Services, courrier, colis" de La Poste en matière de limitation des impacts environnementaux.
Le groupe s'est engagé, en 2013, à réduire ses émissions carbone de 30 % d'ici 2025. Rien de plus logique pour Céline Baumann, directrice de la communication au sein de la branche en question : « La Poste a une responsabilité en tant que logisticien majeur en France et en possession de la première flotte électrique d'Europe, avec 37 000 véhicules. ».
Embauchée en 2010, elle indique avoir « vécu la transformation énergétique » de son employeur. Son entreprise, observe-t-elle, est « sur le bon chemin, et fait de son mieux pour progresser sans cesse »... Justement, celle-ci souhaitait qu'« un regard extérieur et crédible », d'après ses propres termes, puisse s'en assurer.
1) Cyril Dion, voix influente qui tombe à pic
D'où la proposition adressée au réalisateur. Qui a fini par accepter la requête après s'être assuré que les actions entreprises étaient sincères. Pendant l'été, le militant, qui avait « carte blanche », s'est, ainsi, déplacé dans des centres de tri et de distribution, a échangé avec des collaborateurs, des postiers. « Ils lui ont expliqué comment ils travaillaient et indiqué ce qui pouvait être mis en place pour améliorer les choses. » Et cela a donné un court-métrage, présenté le 24 novembre dernier. Le film est à voir sur le site de la Poste pendant plusieurs mois, en accès libre pour que le plus de monde possible puisse le découvrir.
Une aubaine pour l'organisation, pas peu fière de l'initiative. « Cyril Dion, sans compromis, mais en même temps bienveillant, tire vers le haut. Sa parole n'est pas remise en cause. Et au-delà de son exigence et de son expertise, Cyril Dion a une capacité à vulgariser les sujets parfois complexes. »
C'est une voix qui porte, influente. Il est temps, pour les marques, de raconter les coulisses, de mettre en avant les engagements des unes et des autres.
Selon un sondage Yougov, sorti en octobre 2022, plus de 8 interrogés sur 10 assurent justement ne pas savoir de quelles manières les marques qu'ils connaissent se mobilisent, tant en matière sociétale qu'environnementale. Or, en même temps, le message doit être accompagné d'éléments de preuve. Sans quoi les consommateurs, de plus en plus inquiets des effets du changement climatique, n'y croient plus. « Ils sont exigeants et les entreprises se doivent d'être claires », répète à l'envi Céline Baumann, de La Poste. D'où le recours, donc, à l'artiste afin d'apporter de la crédibilité à l'engagement de la marque.
Cyril Dion, écrivain et militant écologiste.
2) « Raconter des histoires vraies »
Une démarche intéressante selon le fondateur du cabinet de conseil Transformation positive David Garbous : « Beaucoup doutent de la sincérité d'une entreprise par principe. La présence d'un influenceur indépendant et libre peut créer un attachement plus important », indique celui qui est à l'origine du réseau « Réussir avec un Marketing responsable », visant à distinguer les bonnes pratiques du côté des professionnels. Mais attention à l'écran de fumée, estime-t-il : « Il ne s'agit plus de raconter de 'belles' histoires, on a besoin de 'vraies' histoires. » Une marque a tout intérêt à faire preuve de franchise ; surtout, l'idée est de « dévoiler les preuves », de ne jamais cesser. Et parfois de reconnaître, note-t-il que « le chemin n'est pas terminé », par exemple.
De manière générale, « le marketing responsable, remarque David Garbous, a la possibilité de remettre le temps long au centre du jeu. L'équipe doit se poser une question capitale : 'Au vu de l'urgence climatique, telle décision prise est-elle pertinente ?' Exemple, dit-il, dans le secteur automobile : est-ce le moment de faire la promotion du lancement d'une voiture thermique - puisque la vente d'automobiles neuves sera interdite en 2035 ? ». D'après lui, en vue de proposer des alternatives, l'enjeu est d'être capable de « tout réinterroger, car c'est ce qui va aider l'organisation à transformer une offre ».
Questionner, pourquoi pas, l'éventualité de bifurquer à 100 %, et, par exemple, pour une marque de jambon, de promouvoir « la sortie d'un produit végétal », ajoute... l'ancien responsable marketing de Fleury Michon.
3) Sensibiliser et communiquer sur son propre produit
Pour David Garbous, il n'y a qu'en se focalisant essentiellement sur l'offre que les sociétés pourront renouer avec les consommateurs et retrouver leur confiance. Voilà l'enjeu : se montrer plus écologique, plus éthique ; proposer des produits écoconçus, c'est-à-dire qui génèrent moins de déchets, moins de pollution, moins de destructions des écosystèmes tout au long de leur cycle de vie, de leur fabrication à leur élimination.
Bref, les entreprises sont invitées à promouvoir une économie plus circulaire. En somme, à rendre plus... désirable ce qui est durable, et ce qui tend à préserver la faune, la flore, les sols. Le valoriser, auprès des clients... sans attendre, et en s'adressant directement à eux.
Oxford, par exemple, utilise son propre produit pour communiquer. La marque du groupe Hamelin a sorti pour l'année scolaire en cours une gamme de cahiers à la couverture en kraft naturel, conçue à partir de fibres de résineux non blanchies, moins traitées, moins transformées que d'autres produits traditionnels. Une matière première visant à « consommer moins d'énergie », selon Christophe Girard, directeur marketing du groupe Hamelin. Celui-ci souhaite en informer les utilisateurs, en particulier le public scolaire.
Il donne ainsi quelques explications en première et en dernière page de ce cahier « kraft ». Ainsi apprend-on, dit-il, que « l'empreinte carbone du cahier est 25 fois moins importante que celle d'un jean, qu'aucun produit toxique n'a été utilisé lors de la fabrication du cahier et que la matière première est exclusivement issue de forêts gérées durablement ».
Oxford et son cahier en kraft naturel.
4) Retrouver « le chemin du succès commercial »
Virginie Ory, responsable RSE de la marque, renchérit : « Nous voulons contribuer à éveiller les consciences des enfants qui utilisent nos cahiers. » C'est pourquoi Oxford écrit sur ce nouveau produit que « les arbres sont replantés régulièrement », que « les cours d'eau sont protégés contre la pollution » et que « la biodiversité est préservée ». Nous découvrons en outre que ce qui est le plus émetteur en gaz à effet de serre, c'est la conception de la pâte à papier, avant la phase de création du produit en tant que tel (64 % des émissions carbone liées au cycle de vie du cahier). Clair, net et précis ?
« Les sociétés ont intérêt à s'y mettre immédiatement », explique en tout cas David Garbous. D'autant qu'opter pour du marketing responsable, c'est au final, estime-t-il, « retrouver le chemin du succès commercial ». C'est même « une arme de construction massive », écrit l'expert en préface du livre Marketing plus durable de Pierre Volle et de John W. Schouten (paru en octobre aux éditions De Boeck Supérieur).
Pour autant, « certaines personnes, dans les équipes marketing, sont encore tétanisées au vu de l'enjeu - complexe - du changement climatique et par peur de tomber dans le greenwashing ». Ainsi, comment renouer le dialogue avec les clients ? D'abord, dit-il, une entreprise peut commencer par « évaluer son portefeuille », identifier les produits qui permettent d'ores et déjà de « tendre vers une consommation plus responsable » - ce qui est l'objectif ultime.
5) Créer des publicités moins énergivores
Si, un temps, l'idée pouvait être d'y aller petit à petit (vendre des produits conçus à avec un peu moins d'intrants chimiques, par exemple), aujourd'hui l'heure est à l'économie circulaire. Promouvoir ce modèle est une initiative déterminante. Cette année, le réseau qu'il a mis en place en 2013 a d'ailleurs récompensé, en particulier, aux côtés d'autres noms, la société YesYes, le spécialiste du reconditionnement de produits high-tech, visant à offrir plusieurs vies aux appareils - qu'on jette encore trop souvent alors qu'ils pourraient resservir où être réparés. Ou, l'an dernier, l'enseigne Fnac Darty qui a ouvert la voie à la seconde main pour les « retours clients » ou les « accidents de parcours », et dont l'offre commerciale de vente de produits d'occasion a été primée.
L'atelier français du reconditionné, par Yes Yes.
Vendre un produit plus green est essentiel... tout comme veiller à la forme de communication pour le mettre en valeur. Les sociétés ont tout intérêt à limiter les importantes émissions de gaz à effet de serre générées par les publicités.
En moyenne, une campagne de publicité en ligne équivaut aux émissions de CO2 de 35 vols Paris-New York (aller et retour) pour un seul passager. Ce chiffre, issu du cabinet de conseil fifty-five, est important. Fortunéo, accompagnée par la start-up Impact +, en a pris conscience et veut aller vers plus de sobriété, mot usuel ces temps-ci.
« Le défi était de réduire l'empreinte environnementale de nos campagnes digitales, tout en maintenant leur efficacité média », précise Alexis Mollet, responsable marketing et ambassadeur RSE de la banque. Concrètement, l'ambition a été de minimiser les émissions GES et la consommation électrique des diffusions publicitaires.
Afin d'y parvenir, Fortunéo a agi en réduisant le poids des éléments créatifs, notamment, ou encore en s'assurant, notamment, que les publicités étaient diffusées seulement si l'utilisateur était connecté au Wifi, et non en 4G. Autant d'optimisations qui ont été utiles à Fortunéo pour... remporter le prix « Publicité responsable » des Cas d'or du digital 2022.
Fnac Darty et son Fnac 2eme vie, initiative responsable.
6) Soutenir les associations
Parler de ses produits... ainsi que de ses valeurs, il n'y a qu'un pas que les entreprises sautent. De plus en plus de marques annoncent soutenir associations et ONG oeuvrant pour le bien commun.
D'abord, des entreprises proposent à leurs collaborateurs de donner de leur temps durant les heures de travail. La plateforme Vendredi, justement, met en relation des salariés qui veulent se mobiliser et des assos à la recherche de bénévoles.
À Électro Dépôt, par exemple, chaque collaborateur a la possibilité de prendre une journée par an afin d'aider une association de son choix. Des journées payées par l'entreprise. C'est le principe : apporter, aux ONG, une aide juridique, administrative. Ou alors remplir une mission « sur le terrain ». Maraudes, nettoyage de déchets, chantiers participatifs...
Autant d'activités variées, assez loin, parfois, du train-train quotidien du bureau. Il en va de leur marque employeur. But du jeu : montrer comment une entreprise compte peser et quel rôle elle entend jouer dans la société.
L'été dernier, Nespresso a mis en avant son partenariat avec les Cafés joyeux. Et, à l'occasion, les deux compagnies ont conçu un café spécial (« Nespresso pour Café joyeux », fabriqué à partir de 80 % d'aluminium recyclé), vendus dans les points de vente de la marque de café, qui l'a fièrement annoncé, lors de la sortie, au sein de ses boutiques.
Cette dernière s'est engagée cet été à reverser une partie des recettes à la société solidaire afin de permettre la création de 40 postes à Cafés Joyeux. « Cela revient à lancer quatre établissements », souligne Hélène Gemähling. L'entité française de la marque de café a pendant plusieurs jours aussi fièrement affiché en vitrine (ainsi que sur son site) un message pour indiquer avoir obtenu la certification B Corp. Il s'agit d'un label très exigeant démontrant des efforts d'une société pour réduire ses impacts environnementaux - Nespresso a obtenu 84,3 points sur 200 possibles, il lui en fallait 80, au minimum.
Certaines entreprises s'engagent en proposant en particulier un appui financier à des associations de lutte pour la préservation de l'environnement. Du côté de Courir, en novembre dernier, les clients des magasins étaient incités à faire un petit geste lors du passage en caisse afin de soutenir l'association The Sea Cleaners. Annonce faite sur le site de l'enseigne, sur ses réseaux sociaux ou via les newsletters.
La marque de chaussures de sport avait déjà récolté, de cette façon, plus de 12 500 euros pour la structure fondée par le navigateur Yvan Bourgnon en février dernier. Sans compter le versement de la somme de 200 000 euros, en contribution directe, censée servir en particulier au financement du projet de construction du voilier Manta, dont la mise à l'eau est espérée en 2024.
Nespresso et Café Joyeux
7) Faire des dons solidaires
À l'approche des fêtes de fin d'année, certains optent également pour des dons de biens, notamment dans le cadre de l'opération « Noël solidaire » de l'Agence du don en nature.
L'association collecte des produits en vue de les distribuer à des structures caritatives et, à l'occasion, elle peut compter sur le soutien de Cultura, de Fnac Darty, de L'Oréal et encore de Ravensburger et de Nuxe. « La pratique du don progresse », comme l'indique Jérémy Fretin, directeur de développement et RSE de l'Agence du don en nature.
Elle permet aux organisations de respecter la loi Agec (antigaspillage), entrée en vigueur en janvier 2022, qui vise - notamment - à interdire aux producteurs, aux importateurs et aux distributeurs de détruire leur stock de produits non alimentaires invendus. Des biens qui peuvent servir à « des personnes en situation d'urgence, de précarité, aux fins de mois difficiles », selon Jérémy Frétin, pour qui le geste solidaire est aussi à même de mobiliser et d'impliquer les parties prenantes, les collaborateurs, les clients. Au-delà des preuves, du concret...
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