Commerciaux et marketeurs : comment mieux travailler ensemble ?
L'alignement entre les équipes marketing et commerciales reste une pierre d'achoppement pour nombre d'entreprises. Face à des clients et consommateurs toujours plus informés, les directions marketing et commerciales doivent collaborer plus efficacement à l'augmentation des ventes. Si l'IA peut y contribuer, elle ne remplace pas une bonne gouvernance.
La conquête commerciale, surtout dans l'univers BtoB, est extrêmement difficile. Ainsi, 96 % des prospects mènent leurs propres recherches - en libre-service - avant de s'adresser à un représentant commercial, relève HubSpot, éditeur de logiciels de marketing, de vente et de service client, dans son étude Les clés de la performance commerciale en 2024. Les commerciaux doivent donc se réinventer, mais leur chemin est semé d'embûches. Au sein de nombreuses entreprises, la gestion du "legacy", ces architectures logicielles préexistantes, constitue un premier obstacle à surmonter. Les difficultés d'interfaçage et d'interopérabilité rendent le choix d'une plateforme multifonctions plus judicieuse qu'une concaténation de différents logiciels, poussant ainsi les utilisateurs à décloisonner leurs pratiques de travail. Un atout pour favoriser la collaboration intermétiers. "Un des principaux problèmes que nous observons au sein des entreprises est l'absence de connexion des outils et systèmes utilisés par les équipes marketing et sales. Par conséquent, elles n'ont pas accès à la même donnée client. De plus, leurs objectifs et KPI respectifs sont souvent différents. Il est donc nécessaire d'unifier tous ces professionnels autour de la donnée et de l'expérience client afin que les attentes de ces derniers soient satisfaites", déclare Virginie Le Lièvre, head of brand and marketing France de HubSpot. Mais cette collaboration étroite est loin d'être une évidence dans toutes les organisations.
Des métiers différents, mais un objectif identique
Le manque d'alignement entre les commerciaux et les marketeurs coûte chaque année un trilliard de dollars aux entreprises au niveau mondial, rappelle Sébastien Imbert, ex-directeur marketing de Microsoft France et fondateur à l'été 2023 de la société de conseil ykaria.tech. "Bien que ces fonctions partagent un seul et même objectif qui est de contribuer au succès de leur entreprise, elles ne s'entendent pas très bien. Elles n'ont pas les mêmes métriques, elles fonctionnent différemment. Cela les amène souvent à travailler sur des résultats divergents", constate Sébastien Imbert. Pour l'ancien CMO, quand les équipes sont alignées - grâce notamment à un vrai sponsorship de la part du comité de direction -, il est possible d'obtenir jusqu'à 30 % de conversion en plus dans le secteur BtoB. "Pendant mon mandat de 5 ans en tant que CMO, je pense que 60 % de mon travail a consisté à transformer les métiers du marketing et des sales afin qu'ils soient alignés", dit-il.
Entre 2018 et 2022, Sébastien Imbert et ses équipes ont contribué à développer trois indicateurs pour mesurer l'amélioration du processus de vente : le marketing engagement index, le marketing insights for sellers et le content seller usage. Microsoft faisait de l'automatisation de campagnes sur des comptes prioritaires. Avec l'arrivée de l'IA, la société a pu mettre en place un indicateur mesurant le niveau d'engagement du client vis-à-vis de Microsoft et des actions marketing opérées. L'éditeur voulait aussi s'assurer que les forces de vente faisaient bon usage de ces informations à haute valeur ajoutée. Il a donc introduit un élément de gamification pour que les commerciaux utilisent ces marketing insights for sellers dans leur approche commerciale et leur compréhension des comptes. "Nous avons créé une compétition au niveau mondial pour déterminer quels commerciaux faisaient le meilleur usage de ces insights marketing. Cela a encore développé la confiance et la synergie entre les équipes. Enfin, nous avons mis au point le "content seller usage" afin de déterminer quels contenus étaient partagés par les commerciaux, mais aussi par les clients, afin d'encourager les marketeurs à produire de meilleurs contenus."
Faire travailler ensemble marketeurs et commerciaux
Les directions générales tentent de corriger le manque d'alignement dont souffre parfois leur organisation en confiant à des chief revenue officers (experts dans la définition de la stratégie commerciale) la mission de faire travailler ensemble marketeurs et commerciaux sur des contenus élaborés à quatre mains ou bien en instaurant des activités comme le "revenue marketing". Charge à son responsable d'être constamment en contact avec les équipes commerciales, afin de créer les séquences marketing les plus adaptées au type de prospection utilisé ou de conseiller les commerciaux sur la façon d'aborder différents interlocuteurs chez le client. "Dans l'univers BtoB, les cycles de vente sont complexes et font intervenir une multitude de décisionnaires. Le marketing est aussi là pour aider le commercial à s'adresser à ces différents interlocuteurs", observe Virginie Le Lièvre. Cette mission d'accompagnement, Vianney Leveugle, directeur commercial et responsable de l'expérience client chez Geodis, l'a notamment assurée lorsque le transporteur a décidé de remettre à plat toute une gamme de services. En s'appuyant sur l'application de sales enablement Salesapps, le manager a fait en sorte que les contenus soient mieux maîtrisés par les commerciaux et plus aisément compris également par les clients. "Comme les forces de vente maîtrisent mieux l'offre, les clients perçoivent mieux la valeur ajoutée, ce qui entraîne une augmentation des ventes. Nous avons ainsi rehaussé notre niveau d'exigence vis-à-vis des supports, explique le directeur commercial. Ceux-ci devaient être graphiquement parfaits, car ils sont déployés sur iPad, ce qui renforce leur impact visuel."
IBM, des équipes interconnectées au même CRM
Pour Guillaume Ferrand, chief marketing & communications officer chez IBM France, le marketing et la communication sont "les phares qui éclairent la route" en alimentant la boucle de connaissance client dans une approche résolument orientée "brand to demand" ("de la marque à la demande"). "Le moment de bascule entre le travail réalisé par mon équipe pour connaître le client et le passage de relais avec nos collègues commerciaux est sans doute le plus délicat à déterminer, car nous ne travaillons pas suivant les mêmes échelles de temps. Mais c'est un échange constant, décrit Guillaume Ferrand, puisqu'un prospect peut revenir dans notre périmètre quand il devient un cas client et que nous nourrissons à nouveau la marque et son image avec ce témoignage concret."
La stratégie d'IBM est d'avoir des marketeurs alignés par domaine stratégique (IA, cloud, sécurité, consulting, etc.) avec les leaders commerciaux qui en sont chargés. Les échanges sont constants, car "ils ont un but commun qui est de s'adresser au bon client au bon moment avec la bonne offre", explique Guillaume Ferrand. Au sein de la filiale française du géant informatique américain, les équipes marketing et commerciales ont accès aux mêmes outils de CRM. Les commerciaux voient toute l'activité marketing et vice-versa. "Si un client ou prospect a téléchargé une étude, le commercial le saura, tandis que le marketeur peut voir quel est le business en cours sur tel ou tel compte ou domaine d'activité. Un commercial peut faire inviter un prospect à un séminaire que nous aurons mis sur pied dans un seul et même CRM", complète-t-il.
Doper le "sales enablement" à l'IA
"Un commercial passe facilement un tiers de son temps à chercher et à mettre en forme des informations. Donc le contenu en BtoB est primordial. De plus, il a rarement une deuxième chance de faire une bonne impression à un prospect qui aurait déjà fait par lui-même une bonne partie du parcours d'achat", souligne François Pichon, head of marketing Semea (Europe du Sud, Moyen-Orient, Afrique) chez Seismic, plateforme de sales enablement. Les solutions fournies par la plateforme permettent ainsi au commercial comme au marketeur d'avoir une vision très fine et quantifiée de l'impact des contenus produits par leurs services respectifs sur un client ou un prospect. "Quand vous collectez toutes ces informations pour en faire bénéficier les commerciaux et les marketeurs, vous leur permettez d'accéder à des indicateurs clés leur permettant d'orienter leurs contenus et offres. Nous avons fait des études au niveau mondial et nous estimons que les économies sur les budgets alloués à la création de contenus peuvent frôler les 25 %", résume François Pichon. Les vendeurs peuvent aussi utiliser les capacités de recherche générative d'Aura Copilot, l'assistant d'IA générative de Seismic, pour transformer la façon dont ils recherchent du contenu, des réponses ou encore des informations spécifiques. Autre fonctionnalité intéressante proposée par Seismic : Seismic For Meetings. "Avec cette solution, il est possible de récupérer, après consentement du prospect, toute la sémantique d'un échange commercial et de le faire analyser par l'IA afin de faire des propositions pertinentes dans la foulée. Mais, encore une fois, l'IA propose, le commercial dispose", rappelle le directeur marketing.
IA générative : un projet délicat et source de tension entre métiers
Il est incontestable que le développement de technologies basées sur l'IA générative génère de nouvelles opportunités pour rapprocher les équipes commerciales et marketing. Par exemple, Subway a créé une chanson avec une IA, tandis que Mango a développé une plateforme d'IA générative conversationnelle, nommée Lisa, pour l'aider à élaborer ses collections. "Mais dans la pratique, ces outils ne peuvent pas exploiter leur plein potentiel si les équipes qui les utilisent ne sont pas alignées. Des budgets sont gaspillés, des leads sont perdus et les clients pâtissent d'une expérience insatisfaisante", relève Virgine Le Lièvre, head of brand and marketing France de HubSpot. De plus, un tel chantier s'accompagne de challenges opérationnels multiformes. Selon une étude du cabinet Vanson Bourne auprès de 600 directeurs des systèmes d'information (DSI) répartis dans cinq pays, dont la France, les DSI estiment que leurs directions métiers accordent plus d'importance à la rapidité de mise en oeuvre des projets d'IA qu'à la sécurité et la qualité des données, premiers soucis des responsables IT. Près du tiers (31 %) des DSI affirment ainsi ne pas avoir assez de temps pour mettre en oeuvre et entraîner des modèles et algorithmes d'intelligence artificielle. "Une collaboration étroite entre directions métiers et DSI est essentielle pour relever ces défis et exploiter pleinement le potentiel de l'IA, tout en minimisant les risques", avertit Frédéric Pozzi, vice-président, MuleSoft chez Salesforce France.
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