[Tribune] Un marketeur doit-il se mettre au Big Data?
Chaque mois, Hervé Kabla (agence Be Angels) s'interroge sur les nouveaux rôles des marketeurs, et l'évolution du marketing.
Je m'abonneIl y a des choix dans la vie qu'on n'aimerait pas être amenés à faire, surtout si l'on a investi depuis quelques années sur des outils, une méthodologie, des logiciels et un certain savoir-faire.
Pourtant, quand tout le monde se met à changer de paradigme et à invoquer de nouveaux usages et de nouvelles possibilités, n'est-il pas du devoir du marketeur d'aller à la découverte de l'eldorado invoqué par ses pairs ? Devrons-nous donc abandonner la BI (Business Intelligence) pour nous vautrer dans le Big Data ? C'est ce à quoi je vous propose de réfléchir dans cet article.
Quand apparut la data...
Mais pour commencer, effectuons un petit retour en arrière, si vous le voulez bien. Une vingtaine d'années plus tôt, à peu près. Le Web n'est pas encore le succès planétaire qu'il promet de devenir, et l'informatique décisionnelle - l'appellation française de la BI - fait son apparition.
Au tout début, peu de gens sont concernés : celles et ceux qui comprennent qu'avec l'informatisation progressive des moyens et des services, et avec le déploiement de bases de données (Oracle n'était alors pas encore un géant), les entreprises disposeraient désormais d'informations, de données - de data, comme disent les anglophones - qui pourraient servir à améliorer leur efficacité, dans un grand nombre de domaines, allant de la vente aux processus qualité.
A cette époque, les moyens de procéder à de telles analyses de données sont encore limités. Bien que les données soient propres, et correctement organisées, les logiciels pour les exploiter sont encore complexes, malgré les efforts d'entreprises comme Business Objects pour en démocratiser les principes. Les compétences requises pour procéder à de telles analyses nécessitent plutôt un profil d'ingénieur que de marketeur.
Des possibilités infinies
Avec le temps, cependant, ces solutions se démocratisent, et franchissent le bureau des directeurs commerciaux ou des directeurs marketing.
Les données collectées et soumises au jeu de l'analyse proviennent de sources de plus en plus diverses, comme par exemple les données de navigation des grands portails internet. En 2007, par exemple, eBay utilisait les solutions de BI de Terradata pour analyser les comportements des millions d'internautes qui se connectaient à son site et identifier ceux qui n'étaient pas autorisés (comme placer une enchère gagnante sur son offre pour éviter de vendre à perte). Les bases interconnectées au sein de cubes ou d'hypercubes atteignent plusieurs milliards d'enregistrements : la taille des données n'a fait que progresser en quinze ans.
En même temps que se posait ce problème de taille et que des solutions technologiques voyaient le jour (MapReduce, Hadoop), le développement conjoint de l'open source et des interfaces d'accès à des données a rendu possible l'interconnexion de silos autrefois complètement déconnectés. Pourquoi ne pas identifier les bâtiments préférés des touristes chinois en allant scruter les photos publiées sur des sites de partage ? Pourquoi ne pas fabriquer des chaussures de sport qui conviennent aux habitudes de coureurs présents sur RunKeeper ou Endomondo ? Après tout, pourquoi ne pas imaginer de telles analyses puisque les outils et les données le permettent ?
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On le voit, la BI et le Big Data découlent d'une approche identique : analyser des données éparses pour en tirer des informations. Oui, mais il y a une différence de taille entre ce type d'approche et ce que faisaient les premiers adeptes du décisionnel.
En effet, dans le second cas, les données interconnectées n'ont pas été collectées dans ce but précisément, elles sont hétérogènes, parfois redondantes, et complètement déstructurées. Au lieu de parler de " Big Data ", certains parlent même de " Bad Data ", pour évoquer l'incongruité qu'il y aurait à chercher des corrélations entre des sources de données complètement indépendantes.
Des datas à ordonner
Bien évidemment, tout n'est pas complètement chaotique dans le monde du Big Data. Il existe de nombreux acteurs de ce secteur, dont c'est le métier depuis plusieurs années, qui sont d'ailleurs pour certains des anciens de la BI, et qui oeuvrent avec assez de professionnalisme et de sérieux pour que les résultats obtenus intéressent des entreprises qui y trouvent un moyen d'améliorer leurs performances opérationnelles : banque, assurances, grandes surfaces, laboratoires, grands opérateurs d'infrastructures, et même certains musées, comme on le découvrira lors du prochain SIME SITEM au Carrousel du Louvre. Sans oublier l'univers de la publicité en ligne, qui connaît une tranquille révolution digitale grâce à l'analyse de données en temps réel.
Alors, faut-il abandonner la BI de nos vieux collègues pour se lancer à corps perdu dans l'univers intrigant mais finalement assez mal balisé du Big Data ? Comme le dit le tech-évangéliste Eric Brown dans un de ses récents articles, la différence entre BI et Big Data, c'est que " la Business Intelligence vous permet de trouver des réponses aux questions que vous connaissez, alors que le Big Data vous permet de trouver des réponses aux questions que vous ne saviez même pas devoir vous poser ". Comme pour tout problème d'envergure, le marketeur doit faire ses choix de manière réfléchie, sans s'engouffrer derrière la dernière technologie à la mode, mais en ayant assez de recul pour comprendre ce qui est en jeu. Un défi somme toute assez intéressant.
L'auteur : Hervé Kabla dirige Be Angels, agence digitale spécialiste des médias sociaux, et a co-fondé une association qui rassemble les professionnels des médias sociaux et du digital en entreprise.
Il accompagne des entreprises B2B et B2C dans l'élaboration et la mise en oeuvre de leur stratégie marketing sur les médias sociaux. Il est également co-auteur de "La communication digitale expliquée à mon boss", paru aux Éditions Kawa.