Prévoir le futur, la nouvelle science des marketers (2/2)
Le marketing prédictif constitue la nouvelle quête des entreprises. Afin de capter les signaux faibles émis par le consommateur et d'être en mesure d'en déduire leurs comportements futurs, de nouvelles technologies ont vu le jour ou se sont affirmées. Remisez votre boule de cristal, le prédictif préfère les algorithmes de machine learning, les infrastructures de stockage et le marketing automation.
Premier enjeu: rassembler les données recueillies dans une data management platform, puis les analyser. Prudence, néanmoins, car si nombre d'annonceurs se lancent, il faut savoir trouver une rentabilité à ce type de projet: "Une DMP ne doit pas être qu'un "sac à cookies", mais être à même de suivre en temps réel des profils riches d'utilisateurs pour les activer de manière fine et individuelle", avise Grégoire Frémiot, vice-président sales et marketing de Mediarithmics, plateforme de predictive marketing.
Data management platform, faut-il se lancer?
Place, ensuite, à la définition des scénarios, puis à leur activation, via du marketing automation. "La phase d'analyse se traduit par des algorithmes qui prévoient, par exemple, l'attrition, évaluent des prospects à l'aide de scores, calculent l'appétence ou le risque, explique Vincent Luciani (Augusta Consulting). Puis, lors de l'activation, l'enjeu est d'intégrer les scores aux différents outils, comme les outils d'achat médias, le centre de contact, le routage de mails."
Pour ce qui concerne la prédiction d'offres ou de produits, les moteurs de recommandation aident à proposer le bon produit au bon consommateur. "Pour être pertinentes, les recommandations doivent s'appuyer sur les données CRM disponibles et sur les données de navigation des prospects et clients, note Grégoire Frémiot. Celles-ci peuvent se faire à plusieurs niveaux: en publicité display programmatique avec du retargeting; on-site, en poussant un message sur un produit ; ou en e-mailing après une visite sur le site, afin de faire de l'upsale."
Difficile de déterminer le coût d'une démarche de marketing prédictif, tant celui-ci dépend du volume de données et de l'ambition de son maître d'oeuvre. Coûts de stockage, de traitement et de mise à disposition des données, sans oublier le coût humain: "Les différentes technologies coûtent cher, aussi est-il primordial en amont de bien qualifier les gains attendus et s'assurer que la mise en place pourra être rapide pour sécuriser le RO", commente Grégoire Frémiot (Mediarithmics). Rien que pour l'utilisation d'une DMP, la plupart des annonceurs doivent compter entre "100 et 500 000 euros, par an, chiffre Vincent Luciani (Augusta Consulting). Mais il est vrai que pour certaines grandes entreprises n'ayant pas un accès direct aux clients, mieux les connaître, sans intermédiaire, cela n'a pas de prix."
"Il faut investir si l'on souhaite avoir une vision client à 360 ° et se positionner vers plus de personnalisation, observe aussi Bruce Hoang (Orange France). Centraliser l'ensemble des données brutes a un coût non négligeable, avance-t-il, mais nous utilisons des frameworks en open source tels qu'Hadoop, dont le coût de licence est quasi nul, sans compter les avantages tels que l'accès de tous les métiers à une donnée ayant le même référentiel."
Quant au ROI, il peut se révéler puissant. Vincent Luciani cite quelques exemples: "Grâce au déploiement d'une DMP, Kellogg's a, en 2013, amélioré l'efficacité du ciblage de 24%. Et en utilisant des données dans la personnalisation de ses e-mails, Fnac a augmenté son chiffre d'affaires de 30% sur ses campagnes."
DMP, marketing automation, publicité dynamique, retargeting: pour collecter et segmenter l'information, de nombreuses briques technologiques doivent être déployées chez l'annonceur. "La difficulté, pour les entreprises, est de les faire communiquer entre elles", explique Grégoire Frémiot (Mediarithmics). Orange a trouvé son organisation: "Nous travaillons avec des technologies internes développées par le lab d'Orange, que nous connectons à des interfaces de programmation, afin de faire parler la donnée", témoigne Bruce Hoang (Orange France).
Quels écueils éviter?
Attention à ne pas foncer tête baissée dans un chantier de marketing prédictif: définir ses objectifs reste la base, comme augmenter le panier moyen d'un client fidèle ou accroître le trafic sur son site web et l'acquisition de nouveaux clients... À chaque but, une collecte d'informations différentes, par des procédés variés. "La data devient une nouvelle devise, cela n'exclut pas d'avoir un bon business case", relève Damien Cudel, chef de marché plateforme applicative de Microsoft France. Pas question, pour autant, de se fixer des objectifs trop importants, ajoute Fabien Barbaud, CTO de Public Idées: "Il faut avancer pas à pas".
Lire aussi : [Tribune] Marketing prédictif : quand le "Big Data" anticipe les (ré)actions des consommateurs
Quand la data change le panorama de l'acquisition et de la fidélisation
Autre piège, "rester dans l'expérimentation. Il faut aller vite et être en mesure de fournir des résultats pour le business", atteste Bruce Hoang (Orange France). "Il ne faut pas croire que l'analyse prédictive peut tout automatiser et résoudre. L'intervention humaine reste nécessaire et complémentaire", explique Lucette Gaillard, CMO de Coheris. Enfin, "attention à ne pas vouloir prédire l'imprévisible, rappelle Marc Désenfant (Actito). Un voyagiste ne pourra, par exemple, jamais prédire avec certitude la future destination d'un prospect."
Quelles compétences acquérir?
Faut-il internaliser les compétences de data scientists au sein des équipes marketing? "Il est important de disposer en interne de quelqu'un qui connaisse bien le marché et sache quelles technologies implémenter", conseille Vincent Luciani (Augusta Consulting).
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Les grandes entreprises l'ont bien compris, à l'instar d'Axa, qui lance le recrutement d'une dizaine de data scientists, en externe, pour "enrichir les équipes de nouvelles technologies, méthodes de travail et modèles statistiques", indique Antoine Denoix (Axa). Chez Orange aussi, on a prévu de "muscler les équipes à travers le recrutement de trois profils", révèle Bruce Hoang, avec le staffing de dix à 20 data scientists au cours de la prochaine année, ainsi que des marketing analysts et des performance analysts. Au contraire, pour François Bancilhon, CEO de Data Publica, "les technologies de big data et de data scientists doivent être immergées dans les produits proposés par les prestataires, sans que les utilisateurs ne le ressentent". Un point de vue partagé par Microsoft France: "Nous travaillons pour mieux intégrer nos solutions à celles que possède déjà le client, dans une logique d'ouverture", explique Wilfrid Guerit, directeur de la division Microsoft Business Solutions.
Brice Auckenthaler est le cofondateur de Tilt Ideas, agence de conseil spécialisée dans l'innovation, la marque et la prospective.
"À force d'aller au fond des choses, on y reste." Si Brice Auckenthaler, cofondateur de Tilt Ideas, agence de conseil spécialisée dans l'innovation, la marque et la prospective, cite Jean Cocteau, c'est que la pensée du poète et cinéaste français résume bien son sentiment quant à la course aux data: accumuler toujours plus de données, "sans rien en faire d'opérationnel, signe la fin de l'existence du marketing prédictif".
La plupart des experts le reconnaissent, d'ailleurs: définir humainement une stratégie et des objectifs est primordial, avant de collecter et d'analyser les signaux faibles. "Nombre de nos clients tombent dans le panneau d'aller trop vite dans l'innovation, regrette Brice Auckenthaler, avant de définir des scénarios futurs et d'en tirer les conséquences pour leur marque." Au contraire, l'entreprise doit anticiper: en quatre mots, "être dans la prospective", conseille-t-il. Avant d'ajouter: "Le marketing prédictif prend un pari sur l'avenir et pilote les stratégies. Il sert à être en avance de phase. En termes d'outils, il faut savamment marier la data qualitative et quantitative pour se rassurer, et faire travailler son intuition." Autrement dit, pour naviguer la tête dans les nuages, en gardant les pieds bien ancrés dans les préoccupations. "Il faut opérer le mariage de deux visions: l'intuitif et la lecture de données, les cerveaux intuitifs et les quantitativistes", conclut le professionnel.
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