Pourquoi Dove a brisé les stéréotypes de la beauté féminine
Après une première prise de parole remarquée en 2004, Dove donne aux femmes une nouvelle raison de se réjouir. Exit les mannequins ano- rexiques, tout juste sorties de l'enfance. Les ambassadrices de la marque sont des fem-mes qui ressemblent à toutes les femmes. Une prise de parole courageuse et payante.
Après la télé réalité, voici venue l'heure de la pub réalité. Le 8 mars
dernier, jour symbolique, on fêtait La femme, la marque Dove (Lever Fabergé)
donnait en France le coup d'envoi à sa première campagne institutionnelle “Pour
toutes les beautés”… Elle nous invitait à découvrir ses nouvelles
ambassadrices. Cinq femmes qui nous ressemblent. Uniques et singulières,
inconnues mais partout si familières, loin des clichés d'une beauté de papier
glacé. Enième avatar de l'effet vrais gens de la vraie vie ou réel engagement
d'une marque? Au final, la réponse a assez peu d'importance, tant les femmes se
sont saisies du sujet pour alimenter le débat. Il suffit pour s'en convaincre
de s'inviter aux forums et autres “chats” qui pullulent sur le Net. Et si
personne n'est dupe quant aux intentions finales de la marque, elles lui sont
reconnaissantes de s'être attaquée aux stéréotypes féminins, en donnant à voir
une autre vision de la beauté des femmes. Pour la marque, le pari est risqué.
Au pays de L'Oréal, la beauté est un des moteurs de la représentation sociale.
Elle n'est pas seulement vécue comme un idéal, elle devient la clé de tous les
succès, personnels et professionnels. « Et si l'apparence physique était un des
facteurs les plus insidieux de discrimination sociale et de reproduction des
inégalités?», interrogeait, en 2002, le sociologue Jean-François Amadieu dans
l'ouvrage Le Poids des apparences (Ed Odile Jacob). « En proposant une autre
vision de la beauté, nous prenons effectivement un risque, mais il est assez
mesuré, car nous sommes sûrs de la pertinence du message », indique Delphine
Peyrel, brand leader de Dove. Nouvelle étape d'une réflexion entamée à la suite
de la réalisation d'une étude mondiale menée par Dove (voir page 36), la
campagne institutionnelle s'inscrit dans la logique d'une première campagne
lancée au printemps 2004 pour un programme raffermissant. On y voyait déjà une
ribambelle de femmes rondes et pulpeuses affichant fièrement leurs rondeurs. «
Dove a toujours construit sa communication autour des testimoniaux. En 2004, la
campagne des rondes a fortement contribué à renforcer notre capital sympathie.
Les femmes téléphonaient à notre service consommateurs pour dire leur
satisfaction. Aujourd'hui, nous franchissons une nouvelle étape à un moment où
la société est prête à ce changement », analyse Delphine Peyrel. Inimaginable
il y a encore dix ans, les unes des titres phares de la presse féminine
n'hésitent plus à déclarer avec fougue “Vive les rondes”, tandis que la quête
de l'estime de soi fait la fortune de titres comme Psychologies. Et c'est
justement cette estime de soi que sous-tend la campagne orchestrée par Ogilvy &
Mather. Au Canada, le lancement de la nouvelle campagne de pub, en février
dernier, s'est accompagné de celui du “Fonds d'estime de soi Dove”. Associée à
différents organismes et programmes, Dove y prend l'engagement de contribuer
aux développements “d'outils et ressources destinés à aider les jeunes filles
et les femmes à célébrer leur beauté individuelle.” On ne peut pas être plus
clair.
Donner du sens à la marque
En mettant en scène
la diversité de la beauté, Dove entend bien en déplacer le curseur. Pour
revenir sur l'essentiel: la simplicité. A l'heure où toutes les marques se sont
engagées dans une surenchère de produits qui tendent à la perfection, Dove ne
promet pas la lune mais du bien-être. « Lorsqu'on demande aux femmes ce qui les
fait se sentir belles, elles répondent : être aimée, faire quelque chose que
j'aime, prendre soin de moi. Et à la question, quels produits utilisez-vous
pour vous sentir plus attirantes, elles répondent : le déodorant, les produits
capillaires, les parfums, les laits corporels et les soins du visage »,
remarque Delphine Peyrel. Des produits du quotidien proposés par la marque. Une
marque dont chaque communication produits, des shampooings aux crèmes
raffermissantes en passant par les déodorants, va désormais s'appuyer sur la
signature “Pour toutes les beautés”. Mieux, les opérations promotionnelles vont
inviter les femmes à réagir à la question. A l'occasion des opérations beauté
du printemps, des conseillères beauté proposeront ainsi aux consommatrices de
se prononcer sur la diversité de la beauté, soit en se prenant en photo, soit
en donnant leur définition de la beauté. De fait, la campagne d'affichage et de
presse, qui nous a interpellé sur la beauté d'une pétillante rousse, sur les
rides d'une femme noire de 96 ans, sur les rondeur d'une chaleureuse brune ou
sur les cheveux blancs d'une élégante quinqua, toutes recrutées par le biais
d'un casting sauvage, ne sont que la partie visible de l'iceberg.
Parallèlement, la marque a lancé, un site internet
(www.pourtouteslesbeautés.com) où cha- cune, et chacun, peut s'exprimer dans
les forums de discussion. « En quinze jours, 1 000 femmes sont venus participer
aux débats. Le site est le même pour l'ensemble des pays, mais il accueille des
pages locales qui ont une réelle importance si l'on veut vraiment être dans
l'interaction. Les femmes ne sont pas seulement les consommatrices d'un
produit, elles vivent dans une société où les marques sont omniprésentes. Dans
le groupe d'une manière générale, et notamment à travers notre structure
shopper & consumer insight, nous cherchons à être à l'écoute du consommateur»,
note Delphine Peyrel. Qui reconnaît que cette expérience a provoqué de nouveaux
questionnements à l'intérieur de l'entreprise. Et notamment sur le rôle de la
marque. « Pourquoi le consommateur adopte une marque plutôt qu'une autre ?
Peut-être parce qu'au-delà du produit, nous avons donné un sens à ce que nous
faisons. Que nous avons contribué à faire évoluer la société. Tout ce que nous
faisons au sein des catégories doit être encapsulé par la marque », analyse la
brand leader. Si aucun objectif d'évolution de part de marché n'a été fixé à
la campagne institutionnelle, en revanche les campagnes produits, qui prennent
actuellement le relais, doivent hisser Dove parmi les premières marques du
podium. Et participer ainsi à la redynamisation d'un secteur, qui hormis le
marché des soins du corps (+ 10,2 % en valeur), fait grise mine. « En redonnant
de la valeur à la marque, en nous engageant dans cette démarche, nous n'avons
aucun doute sur la perception des femmes vis-à-vis de la campagne », avance
Delphine Peyrel. Pas plus que le groupe n'en a sur le retour sur
investissement.
The Body Shop, le précurseur
En septembre 1996, Anita Roddick, fondatrice de la chaîne The Body Shop donnait naissance à Ruby, une poupée antithèse de Barbie, qui célébrait déjà la diversité de la beauté des femmes. La marque, qui avait inscrit l'estime de soi parmi ses valeurs fonda-trices, interpellait alors la société avec cette simple affirmation : “Il y a trois milliards de femmes qui ne ressemblent pas à des top modèles, seulement huit qui leur ressemblent.” Quant au numéro deux de son magazine de marque, Full Voice, il mettait en image une Ruby sexagénaire, qui affirmait “je me sens la même qu'il y a trente ans”, et invitait à célébrer les années qui passent. Ruby a aujourd'hui disparu du site institutionnel de la marque, mais l'estime de soi demeure un de ses fondamentaux.