Pour une innovation de sens
Il est important que l'innovation, désormais nécessaire, puisse être questionnée. D'une part, dans sa nature. D'autre part, dans sa fonction, ses objets, ses rythmes et sa temporalité. Car l'heure est peutêtre venue de tirer un trait sur les erreurs du passé et de s'enthousiasmer des possibilités à venir. Surdose de «nouveau pour le nouveau», dissonances dans les produits et services qui vantent leurs mérites «verts» sans les appliquer, oubli du «service inclus» dans le produit, stimulus émotionnel comme seule valeur ajoutée, surpromesses mirobolantes et peu crédibles... Nombreuses sont les erreurs qui contribuent à embrouiller les repères, faire monter les prix et décrédibiliser les marques. Celles-ci oublient que les vrais besoins sont ceux que les individus verront satisfaits à partir d'une offre bien positionnée, cohérente, en phase avec une marque qu'ils seront tentés de choisir.
Identifier les axes d'innovation
L'innovation d'aujourd'hui peut se jouer pour demain comme source de dépassement de la posture «consommatoire», de la part de l'offre comme de la demande. Elle s'alliera les métamorphoses des individus qui n'ont cessé d'innover pour eux-mêmes depuis que les crises existent, afin d'y préserver leurs plaisirs et leur désir. Quelles sont ces métamorphoses, qui sous-tendent au passage quelques axes possibles d'innovation
- Le besoin de simplicité: avoir un accès facile et lisible à ses produits et services, comprendre leur fonction pour en valoriser les usages, sentir la «vérité» d'un produit qui soit bon à penser, à s'approprier...
- Conforter son quotidien dans un hédonisme mesuré: pouvoir s'y exprimer, tisser des liens, y vivre des petits luxes accessibles...
- Se faire du bien, dans un concept de santé globale qui dépasse les injonctions (nutritionnelles et autres) «rationalisantes».
- Favoriser l'ouverture aux autres, par la capacité qu'auront les produits et services à être mis en partage, initier les formes de «dépossession» pour privilégier la relation et l'accès à l'offre...
- Stimuler l'imagination et l'intelligence pour «faire grandir», décloisonner les cibles et valoriser le jeu intergénérationnel...
- Permettre d'y mettre «sa patte» en valorisant le «faire soi-même», quand on sait le besoin de minimiser l'espace entre production et consommation, et de s'approprier les produits pour qu'ils trouvent leur place dans la vie de chacun...
- Répondre aux exigences incontournables, essentielles, du «développement durable», par l'accessibilité, la démocratisation des produits, la cohérence de l'offre. Car les préoccupations des risques liées aux changements environnementaux sont bien présentes (sondage LH2/Comité 21 de février 2009) tout comme l'état d'impuissance d'individus «prêts à y aller», auxquels il manque le coup de pouce financier et psychologique pour y croire.
Explorer tous les usages
Mais attention aux dérives du filon vert, comme autant «d'éthiquesdrapeau», décrédibilisantes et banalisantes. Gare aussi aux dérives potentielles du «marketing du sens», qui institue le sens «a priori», alors que ce sont les individus euxmêmes qui l'attribuent, a posteriori et selon leur bon vouloir. Il faudra néanmoins leur faciliter la tâche, en offrant des concepts-produits plus «ouverts» pour qu'ils y construisent une valeur de sens ajoutée. Conjuguer l'innovation à la crise amène aussi à questionner le «nouveau» par rapport au «neuf. L'habileté des individus à redonner à ce qui est usagé d'autres temps de vie, à recréer du neuf et du désir par leur»débrouillardise«, invite à l'interrogation critique du rythme effréné des innovations, qui empêche l'appropriation et l'inventivité pour en explorer, avec le temps, tous les usages.
L'innovation d'aujourd'hui doit aussi être bonne à penser pour demain. En donnant de la ressource créatrice aux dirigeants et à ses troupes pour devenir les passeurs de changement, dans les manières de faire et les mentalités. En apprivoisant les mutations conséquentes à venir et transformer l'anxiogène en jubilatoire. Interroger le sens de l'innovation - pour chaque marque - permettra des innovations de sens.
Danielle Rapoport psychocosiologue, directrice de DRC, études conseil et innovation.