On line : au-delà du simple mode de recueil
D'année en année, les études en ligne prennent de plus en plus de poids. Mode de collecte complémentaire, l'Internet est aussi devenu un nouvel outil d'expertise.
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Acquérir rapidement une expertise dans les études internet et avoir accès
d'emblée à l'un des plus grands panels d'internautes aux Etats-Unis ont figuré
parmi les facteurs déterminants du rachat, l'an dernier, de NFO par le groupe
TNS. Il y a quelques mois, l'américain Harris Interactive a racheté le français
Novatris dans le but d'atteindre la taille critique nécessaire à la réalisation
d'études à grande échelle ou à faible incidence, aussi bien en Amérique du Nord
qu'en Europe occidentale, grâce à la fusion de leurs panels. D'année en année,
les instituts ne cessent de faire grossir leurs access panels on line, en
taille (pour permettre de joindre des cibles rares ou à faible pénétration)
comme en couverture géographique. La demande dépassant l'offre actuelle, des
accords de partenariats ont proliféré entre sociétés d'études généralistes et
spécialisées dans la fourniture de panels on line, ou entre ces dernières, et
ce, afin d'accroître leur base d'internautes, notamment à l'international et de
permettre d'interroger des cibles rares. Le groupe WPP a décidé de créer une
filiale, Lightspeed Research, qui gère et commercialise un access panel
international pour l'ensemble des filiales du groupe Kantar. « Il est
aujourd'hui possible d'utiliser les études en ligne pour représenter l'ensemble
de la population, à condition de disposer de panels suffisamment puissants et
qualifiés pour échantillonner toutes cibles (actifs/inactifs, CSP +/CSP -, âge,
ruraux/urbains, etc.) », explique Patrick van Bloeme, directeur associé de
Novatris. Les instituts ont multiplié les travaux de R&D (tests en parallèle)
aux Etats-Unis comme en Europe, pour démontrer la fiabilité des recueils en
ligne, sur de très nombreux sujets. Déjà apparaissent des panels thématiques
“grand public” en ligne (voir “Les principaux panels on line”, page suivante).
L'access panel de Lightspeed Research dispose de sous-groupes sur la finance,
la téléphonie mobile, l'automobile, la santé. « Nous réfléchissons sur un panel
on line d'enfants en Europe, indique Alexander J. Olivier, SVP Global New
Business Development de Lightspeed Research. Nous l'avons déjà monté avec
succès aux Etats-Unis. » Parallèlement, se mettent en place des panels de
professionnels de la santé, de décideurs informatiques…
Le développement des panels propriétaires
De la constitution
d'access panel en ligne à la création de panels propriétaires à l'usage
exclusif d'un client, la frontière a été rapidement franchie. Double avantage :
une façon pour les instituts de rentabiliser les investissements dans ce
domaine, et pour les entreprises une façon de suivre au fil de l'eau l'opinion
de leur consommateurs, pour un coût attractif et qui s'inscrit bien dans de
l'opérationnel. « La demande des clients se tourne de plus en plus vers les
panels propriétaires, une démarche encore plus intéressante si l'on y ajoute du
data mining », note Edouard Servan-Schreiber, directeur data mining de FullSix.
Ainsi, To Luna a monté un panel propriétaire pour Go Sport et Aventis Pasteur ;
Direct Panel un panel B to B pour les Pages Jaunes. Les journaux et magazines
sont très intéressés par ce type d'outil afin d'ajuster leur politique
éditoriale ou pour obtenir des résultats de sondage qu'ils peuvent publier (BVA
pour Le Nouvel Economiste, par ex.). Novatris a monté pour France Télévisions
un panel en ligne tournant de 10 000 téléspectateurs internautes permettant
d'interroger chaque soir 500 personnes afin de connaître en continu leurs
perceptions des grands genres de programmes. Chaque soir, pendant sept jours
consécutifs, ils remplissent un carnet d'écoute et indiquent la raison de leur
choix de programmes. Tous les lundi, l'institut remet à France Télévisions un
bilan avec des questions de satisfaction sur le genre et les chaînes. Un panel
qui est devenu un véritable outil stratégique. Autre extension : les omnibus en
ligne, locaux (Ifop, Novatris, Harris Interactive, HI Europe) ou internationaux
(Ipsos).
La montée en puissance
L'investissement dans
le on line fait partie de la stratégie de développement du groupe Ipsos. « A
terme, d'ici 2007, nous comptons réaliser plus de 50 % de notre chiffre
d'affaires nord-américain en on line et plus de 20 % de notre chiffre européen,
contre, respectivement, 20 % et 1,5 % en 2003 », prévoit Didier Truchot,
coprésident du groupe. En Amérique du Nord, le on line continue de connaître
une croissance rapide, et tend à remplacer significativement les modes de
recueil traditionnels. Selon Inside Research, les dépenses américaines en
études on line sont passées de 641 M$ en 2002 à 797 M$ en 2003 (+ 24 %), et
devraient progresser de 18 % en 2004 à 939 M$ (mesures d'audience exclues). En
2006, elles devraient représenter le tiers des dépenses totales en études de
marché, une progression remarquable pour une technique qui n'a commencé à se
développer qu'en 1997. En Europe, la situation est encore émergente. La part
des études on line sur le total des études par enquête reste bien inférieure à
la situation américaine mais les taux de progression sont significatifs. Chez
RI, en un an, la part du on line en Europe a doublé, passant de 5 à 10 % en
2003. « Aux Etats-Unis, note David Walker, Dg du Marketing Science Centre
(Londres) de RI, nous réalisons plus d'interviews en ligne qu'avec les méthodes
traditionnelles. Une grande partie de notre business passe en on line et les
projets via Internet ont augmenté de 150 % en 2003. » Le chiffre réalisé on
line a doublé en un an au sein du groupe CSA, atteignant 1,5 ME en 2003, soit 5
% du CA. Au Canada, 6 % des activités d'Ifop sont on line. Parmi les types
d'études qui sont de plus en plus souvent réalisées en ligne, les tests de
concept viennent en premier, suivis des tests de pack, de logo, des suivis de
lancement de produit, des tests de publicité et de communication (Millward
Brown réalise déjà 20 % de ses trackings en ligne et passe tout de suite aux
nouvelles technologies avec la plupart des nouveaux clients). « Tout ce qui est
baromètre ou tracking tend à se développer on line, signe de la maturité de
cette technique de collecte », constate Hugues Cazenave, président d'Opinion
Way. « Pour toutes les problématiques de l'innovation, ajoute Helen Zeitoun, Dg
de GfK Sofema, la montée du business on line est flagrante, même si la valeur
diminue légèrement du fait du différentiel prix entre Internet et les autres
techniques de recueil. » Potentiellement, la plupart des secteurs sont
aujourd'hui concernés par le on line, jusqu'aux études de satisfaction et même
aux marchés tests simulés, en passant par les études comportementales et les
études internes. « Dans le groupe Lafarge, nous utilisons de plus en plus
souvent Internet pour nos enquêtes internes », indique Vincent Mages, directeur
de la communication interne. La facilité de mise en œuvre d'une enquête
multipays est l'un des grands atouts du on line. RI a réussi à mener un test de
concept en huit heures en Australie : le questionnaire a été réalisé en
Grande-Bretagne, hébergé aux Etats-Unis, d'où il a été envoyé à des panélistes
australiens et les résultats ont été analysés en Grande-Bretagne. « Internet
est un moyen d'améliorer la productivité, y compris des études réalisées de
façon traditionnelle », constate Gilles Achache, directeur du département
Internet du groupe CSA. Pour Ernst & Young - concernant l'attractivité de
l'Europe, de la France, de l'Italie, de l'Allemagne, de la Grande-Bretagne et
de l'Espagne -, CSA a interrogé par téléphone 1 700 décideurs d'entreprise,
avec un questionnaire très complexe, à partir de centres d'appels situés à
Vilnius, Groningen, Latvia, Casablanca et Nice. L'ensemble de ces centres
étaient reliés par Internet. « La notion de localité perd son importance,
souligne Gilles Achache, et permet de constituer un centre d'appels virtuel, à
condition que le travail soit partout fait selon nos normes ; ce qui nécessite
un travail de formation et les mêmes logiciels. »
Du Web Collecting au Web Reporting
La plupart des méthodologies, quali
comme quanti y compris le trade-off, sont adaptables en ligne. Mais, peu à peu,
une nouvelle expertise se met en place au sein des instituts : le travail sur
les questionnaires, afin de les rendre plus attractifs, plus faciles à
compléter et ce, afin d'améliorer les taux de réponse. Les questionnaires
permettent aujourd'hui de simuler des rayonnages afin de proposer au répondant
de “faire ses courses”, de simuler de manière interactive un achat de véhicule
(marque, couleur, modèle, options…). Ou encore permettent de demander au
répondant de sélectionner les mots qui l'ont marqué ou influencé au sein d'un
texte qui lui est proposé. « La montée en puissance de l'équipement des foyers
en ADSL est un vrai saut qualitatif pour les études en ligne », souligne Van
Terradot, Dg de Novatest. « Les études en ligne sont une opportunité pour
réfléchir à la pratique des sondages », estime Daniel Bô, Dg de QualiQuanti.
Ainsi, il est intéressant d'interviewer parallèlement deux ou trois populations
dont on compare les résultats en quali et en quanti, de compléter par des
études en ligne très ouvertes sur 200 individus afin de couvrir le champ
d'expériencse sur un sujet donné. « Nous pratiquons de plus en plus les
interrogations en plusieurs vagues, grâce à la possibilité de réinterroger
facilement les mêmes personnes », poursuit-il. « Ce qui est intéressant, c'est
que l'on va pouvoir inventer de nouveaux protocoles études en utilisant le on
line. Mais aussi inventer une nouvelle façon de travailler avec nos clients et
de communiquer les résultats », s'enthousiasme Didier Truchot. Chez Audirep, on
a l'habitude de dire qu'un rapport fiable est un basique, mais qu'un rapport
lisible, pédagogique, facile d'accès, simple et que l'on peut s'approprier
rapidement en off et on line, est une réelle compétence métier. Les instituts
multiplient les sites dédiés, Intranet et Extranet, et les logiciels de tris on
line à l'usage exclusif de leurs clients. Les tableaux de bord en ligne
développés par Agicom pour les baromètres de satisfaction ne sont pas pour rien
dans l'opérationnalité de l'outil. « Internet ne doit pas être considéré comme
un simple mode de recueil, renchérissent Laurent Florès et Guillaume Weill,
président et Dg de CRM Metrix, mais aussi comme un fantastique moyen de
distribuer l'information de manière plus décisionnelle. » La créativité que
permet Internet n'en est encore qu'à ses débuts, d'autant que se profile la
convergence des technologies. « Nous sommes vraiment ici au début de quelque
chose qui va changer le métier des études », prédit Didier Truchot.
Access panels et études internationales
« Les access panels en ligne sont intéressants lorsqu'il s'agit d'études internationales, estime Philippe Jourdan, P-dg de Panel on the Web. Leur forte croissance s'est accompagnée d'une modification des procédures de pilotage. L'annonceur a désormais la garantie que le support d'interrogation est identique et homogène pour l'ensemble des participants. En cas d'aménagements ou de modification du questionnaire, l'intervention peut être faite rapidement et sur l'ensemble des pays de façon parfaitement contrôlée. » Toutefois, selon Philippe Jourdan, des précautions doivent être prises :l La possibilité qu'offrent certaines plates-formes de gérer séparément la logique programmée du questionnaire et les traductions des questions et des modalités de réponse dans les différentes langues présente un indéniable avantage. L'annonceur a ainsi la certitude que le questionnaire est identique pour l'ensemble des répondants et une reprise de programmation dans une langue est automatiquement reportée dans l'ensemble des questionnaires, quel que soit le pays. l Il est nécessaire de disposer de plates-formes logicielles permettant de gérer les caractères étrangers à deux stades critiques de l'étude : l'envoi du mail d'invitation à répondre à l'étude et l'affichage des pages web du questionnaire. Les langues asiatiques en particulier nécessitent des outils de développement spécifiques en même temps qu'une mise en page du questionnaire adaptée au format de lecture de ces pays. l S'il existe une certaine globalisation des comportements des internautes au niveau mondial, il n'en reste pas moins que certaines pratiques culturelles doivent également être prises en compte dans la gestion d'une étude internationale en ligne. Si, théoriquement, il est aujourd'hui possible de mener des études en ligne dans un très grand nombre de pays, il convient de prendre en compte le critère de pénétration d'Internet pour s'assurer que les échantillons interrogés sont directement comparables en termes de profils ou de maturité par rapport au Web.
Trois questions à Jean-Claude Dubost (Carrefour)
Après avoir été réticent face aux études sur Intenet, le groupe Carrefour s'est converti à l'outil. Directeur des études marketing client du distributeur, Jean-Claude Dubost explique pourquoi.Depuis quand faites-vous des études sur Internet ? Jean-Claude Dubost : Dans nos métiers de l'hypermarché et du supermarché, la question de la représentativité a longtemps été un frein à l'utilisation d'Internet comme mode de collecte de l'information. D'année en année, nous avons suivi la montée de l'équipement des foyers et, en 2003, nous avons commencé à faire des études en ligne auprès des consommateurs, essentiellement des tests d'évaluation de nos sites et des post-tests de communication et de packaging. Quels en sont les principaux avantages ? Jean-Claude Dubost : Obtenir rapidement des réponses opérationnelles à des problèmes de marque, de communication, de logo, et ce, immédiatement à l'international. Par exemple, avec Panel on the Web, nous avons testé différentes marques et logos simultanément au Brésil, en Chine, en Espagne, en Italie, en France et en Belgique. En quatre semaines, nous avions des résultats fiables et utiles. Parce que le coût de la collecte des informations sur Internet est inférieur à celui des techniques traditionnelles, nous pouvons nous permettre, dans une même enveloppe budgétaire, d'augmenter la taille des échantillons d'une étude et de la mener tout de suite à l'international. Pour une enseigne comme Carrefour, permettre une approche plus internationale dans la prise de décision est indispensable. Pensez-vous switcher certaines autres études sur le on line ? Jean-Claude Dubost : Internet monte en puissance chez nous. Nous réfléchissons sur son utilité dans certaines autres problématiques comme les baromètres de satisfaction, par exemple. Internet est désormais intégré comme une autre manière d'interroger nos consommateurs.