Les agences face à la mutation interactive
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les marques sont aveugles, ne voient-elles pas qu'Internet s'impose malgré elles et est devenu la colonne vertébrale de leurs stratégies marketing et communication ? » En appelant les marques à une prise de conscience salvatrice, Benoît Héry, vice-président de Grrrey !, déplore que l'on en soit encore à aborder Internet comme un arbitrage budgétaire, ou comme une simple déclinaison de dispositifs opérationnels et publicitaires. Mais si les marques sont aveugles, leurs agences ne seraient-elles pas sujettes à la même cécité ? Comment intègrent-elles la nouvelle donne numérique dans leurs structures, leur organisation, leurs investissements ? Jusqu'où se sont-elles prémunies pour répondre aux nouveaux modes de consommation, à la déferlante de l'interactivité ? D'aucuns argueront en toute bonne foi qu'in fine, Internet n'est qu'un média de plus - certes complexe, certes puissant - dans le champ des possibles qui s'ouvre aux professionnels du marketing et de la communication. Et que l'interactivité ne se réduit en rien au Web. La preuve : il y a quinze ans, dans les agences de marketing direct, on parlait déjà d'interactivité. Quant aux agences de markeLeting services, lesquelles ont résisté il y a quelques années à la lubie interactive ? Rappelons-nous les Grey Interactive, Wunderman Interactive, Tequila Interactive… Aujourd'hui, l'interactivité n'a plus à se proclamer. Elle est censée structurer toute stratégie de communication. Se revendique-t-on de l'évidence ? Internet et les technologies digitales appuient l'évolution du monde des agences de marketing services. Rien de fortuit à l'initiative des 16 agences de communication interactive de l'AACC Interactive qui ont édité un Livre Blanc pour expliquer leur démarche, leur méthodologie, leurs tarifs, leur éthique et les principes qui sous-tendent leur relation avec leurs clients. Avec l'interactivité sont apparus de nouveaux métiers au sein des agences : moniteur de campagne, acheteur de contenus, channel planneur, interactive managers. « Il est important d'entretenir des compétences au-dessus du niveau de prestations que l'on a tendance à demander. Cela permet d'anticiper », remarque Alexis Rollin, co-fondateur de RnD, agence créée en 2002, qui emploie aujourd'hui 13 personnes.
De nouveaux critères pour les annonceurs
Nouvelles techniques, nouvelles compétences qui appellent de nouveaux critères de choix pour les annonceurs. L'opportunité n'a pas échappé à Vincent Fournout, ex-président de Textuel/La Mine. En 2005, il crée l'agence Et Maintenant, qui conseille les annonceurs en choix d'agences spécialisées dans les nouveaux médias, venant ainsi compléter un micro-marché jusqu'alors monopolisé par les emblématiques Gibory et Vidéothèque. Même chez les pure players, ou au sein des agences qui se sont construites sur un socle numérique, il faut sans cesse créer ou intégrer de nouvelles expertises. Web, Intranet, contenus multisupport, mails, newsletters, alertes, messagerie instantanée, moteurs de recherche, webcasting, podcasting, blogs, flux RSS, SMS, MMS, services et réseaux sociaux, services et contenus mobiles, Audiotel, bornes interactives, communication par l'écran sur le lieu de vente ou dans l'entreprise, jeux vidéo, télévision interactive… Il y a dix ans, aucune web agency de la place n'aurait été en mesure de proposer une prestation en Search Marketing. « La convergence numérique fait converger les expertises. Le digital, c'est une diversité de métiers », note Franck Farrugia, co-fondateur de Co Spirit et de sa filiale en achat d'espace Média Track. Et Maintenant a publié début 2006 les premiers résultats d'un baromètre de la relation entre les agences “nouvelle génération” et leurs clients. Où il apparaît que les agences “interactives” sont surtout reconnues pour leur expertise dans des domaines liés à la publicité et au marketing direct (réalisation de campagnes publicitaires interactives, d'e-mailing, achat d'espace). Si la créativité n'arrive qu'en cinquième position des domaines d'expertise où les agences nouveaux médias semblent les plus efficaces aux annonceurs, elle remonte à la deuxième place dans les critères de motivation des entreprises en quête de nouveaux prestataires.
Jouer sur les structures
En quelques mois, le Web est passé de la dominante hyper-texte à l'omniprésence de la vidéo à 8 et 20 gigaoctets. Pour des entreprises, pour des agences qui se sont construites autour de la culture de l'écrit, le virage est délicat à négocier. « Autour de 30 personnes, on reste créatif. Au-delà, mieux vaut créer de nouvelles business units », conseille David Creuzot, fondateur de Pékin, qui vient de s'engager dans un processus de fusion au sein de La Chose. Pierre Désangles, co-président de Rapp Collins Paris (200 personnes), balaie l'induction “naturelle” entre créativité et petites structures. A la créativité tout court, il oppose la créativité appliquée. « Les idées ne suffisent pas. Il faut avoir la structure pour les porter. » De fait, la créativité des petites agences est en partie une créativité subie : une agence qui se lance n'a pas d'autre argument que celui de la créativité. «Les clients ont besoin d'agences qui puissent gérer les problématiques dans leur intégrité », soutient Pierre Désangles. Et son homologue chez Rapp Collins Paris, Hervé Cuviliez, d'ajouter : « Les “coups” remportés par certaines petites agences ne sont qu'une bouffée d'air pour des entreprises réclamant des visions globales et des approches sécurisées ». Pour les agences évoluant dans le giron de grands groupes, l'intégration n'est pas seulement une réponse construite à une demande axée sur des prestations de plus en plus globales. Elle est l'expression d'une logique économique et financière. Pour satisfaire les exigences de leurs actionnaires, pouvoir investir et tenir leur place dans le jeu concurrentiel, les prestataires doivent générer du chiffre, vendre du volume, accroître le portefeuille de leurs clients. Et, pour ce faire, se développer, parfois tous azimuts, quitte à céder à une diversification plus opportuniste que réfléchie. L'intégration, ensuite, procède d'un enrobage commercial et marketing. Cette intégration revendiquée par la plupart des acteurs de la place n'a parfois de valeur qu'argumentaire. Le modèle de “boîte à outils” prévaut encore souvent : agrégation de compétences multiples, et complémentaires, mais régies par des comptes de résultats propres et animées par des logiques concurrentielles. « Franchement, qu'on m'explique en quoi les entreprises ont besoin de travailler avec une et une seule agence, lance Matthieu de Lesseux, co-président de Duke. Ce discours qu'on nous serine depuis des années, c'est du n'importe quoi. L'important pour nous, c'est de choisir des clients qui savent faire travailler ensemble différentes expertises. Mc Donald's le fait depuis des années et ça marche très bien. »
Les grands groupes cherchent à se positionner
Alors que les agences interactives affichent des taux de croissance de 30 à 40 %, les grands groupes ont besoin d'affirmer une légitimité sur le marché de l'interactivité. Internet et plus largement la sphère du marketing digital vont accélérer la course à la concentration. Le 6 avril dernier, PGM (Publicis Groupe Media), qui réunit les activités médias de Publicis Groupe en France, a annoncé le rachat à 100 % de Pôle Nord, agence spécialisée dans les médias digitaux et notamment le Search Marketing. L'agence rejoint ainsi Zed Digital et Starcom Digital, les deux agences du pôle digital de PGM, qui emploient désormais 60 personnes pour un objectif 2006 de 10 millions d'euros de marge brute. « Il y a chez Publicis une culture de réseau. On est encore dans la semi-intégration », remarque Thanh Nguyen, directeur du département e-services chez Publicis Consultants RH. Fin avril, moins d'un mois après sa création, c'était au tour de La Chose de s'offrir une expertise dans les nouveaux médias, en rachetant Pékin. L'agence de Pascal Grégoire et Eric Tong Cuong, qui a doublé son chiffre d'affaires chaque année depuis sa création en 1997, visait pour 2006 une marge brute de 4 millions d'euros. Cette acquisition traduit l'intérêt économiquement structurant de l'interactif pour La Chose. Les petites structures doivent nécessairement se développer pour prétendre à une croissance organique. Et pour les agences interactives indépendantes, portées par une rapide croissance, se pose la question de la taille critique. « Pipeau !», balaie Matthieu de Lesseux. « On nous avait dit, la taille critique, c'est trente personnes, puis cinquante. Nous, on est cent et ça va très bien. Tout est une question de recrutement, de partage d'une même culture, de gestion des ressources humaines. Et puis, on peut être très rentable sans être obsédé par le fric », affirme-t-il.
Internet modifie la donne
Le développement du média internet et sa prise d'influence par capillarité ont modifié la donne et les schémas classiques d'appropriation du marché par les agences. D'où l'émergence de positionnements aux contours flous et sans cesse réaménagés, sous-tendus par une obsession généraliste ou multispécialiste. Dans cette course au “tout-savoir-faire”, les postures plus spécialistes renforcent sinon leur légitimité, en tout cas leur différence. ETO (120 salariés, 8 ME de marge brute) revendique une expertise dans la gestion des données construite depuis vingt ans. Pour Yan Claeyssen, responsable du pôle agence, les agences se trouvent sur la route de leur positionnement face à un embranchement : d'un côté le marketing de l'influence, où les web agencies ont toute leur place, de l'autre le marketing du consensus, qui scelle le rapprochement des marques avec leurs clients, où ETO a choisi de poursuivre sa marche. « Internet a bien sûr ici une place centrale, mais il va s'agir d'un Internet élargi, note Yan Claeyssen. Avec l'IP, la relation se fera au travers du Web, de la télévision, du mobile… La gestion des bases de données va devenir de plus en plus essentielle et complexe. Or, les web agencies n'ont pas ici de réelles compétences.» ETO doit annoncer prochainement un partenariat avec l'une des web agencies majeures du marché avec laquelle elle travaille à la construction d'une offre susceptible de répondre aux appels d'offres internationaux.
Internet en France
51,63 % des Français de plus de 11 ans et 86 % des 13-24 ans sont des internautes. 83,9 % des internautes sont abonnés au haut débit à leur domicile. En mars 2006, les internautes ont surfé 23 h 15 en moyenne, soit 4 heures de plus qu'en mars 2005 (source Médiamétrie - mars 2006). En 2007, les femmes passeront plus de temps en ligne que les hommes (source European Interactive Advertising Association). En 2005, les annonceurs ont dépensé 1,1 milliard d'euros sur le Net (hors liens sponsorisés), soit 74 % de plus qu'en 2004. Internet représente 6 % des dépenses plurimédias, contre 3,7 % en2004 (source TNS Media Intelligence/IAB).