L'eau fait toujours des miracles
Enjeu du troisième millénaire, l'eau s'impose toujours comme une tendance marketing lourde. A la fois fonctionnelle et mythique, son territoire s'enrichit sans cesse. Les marques de cosmétiques n'ont pas encore épuisé le filon. Et les eaux en bouteilles multiplient les lancements innovants.
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Des bars à eaux chez Habitat. Dans le sillage de Colette, ce magasin
parisien branché propose une carte à eaux de plus de 80 marques dans son espace
de restauration. Le spécialiste de la maison s'est jeté à l'eau. Le temps de
quelques semaines, ses visiteurs ont pu découvrir les vertus et le goût de
plusieurs eaux minérales naturelles dans cinq magasins de la chaîne. Présence
d'une diététicienne, implantation d'un coin dégustation. Pour monter cette
opération temporaire et originale, menée en partenariat avec le groupe
Perrier-Vittel en appoint de la commercialisation du verre Perrier, les deux
partenaires avaient bien fait les choses. « Pour notre collection printemps-été
qui se compose de produits aux matériaux recyclés et organiques, nous avons
retenu plusieurs thématiques autour d'éléments naturels : le jardin potager,
l'air et l'eau. Habitat se veut lieu de vie et de séduction. Sans être trop en
avance, nous voulons être novateurs et surprendre », explique Stéphane Duc,
directeur du marketing de l'enseigne. Il faut dire que le sujet est
d'actualité. En cette fin de siècle frappée par les peurs alimentaires, la
pollution et la prise de conscience de sa raréfaction, l'eau n'a jamais été
aussi riche d'évocation. Valeur universelle et originelle - l'eau, c'est la vie
-, elle est au coeur des mouvements de fond actuels (naturalité, authenticité,
orientalisme) et constitue toujours un élément marketing porteur. La tendance
n'est pas nouvelle. Mais elle enfle avec le temps, rafraîchissant au passage
des concepts et des produits par la richesse d'un imaginaire, semble-t-il,
intarissable. Dans les hypermarchés, les nouvelles marques, les eaux étrangères
et les nouveautés se développent, portant à 75 le nombre moyen de références.
Après la thalassothérapie, qui séduit toujours plus d'adeptes (1,5 million de
journées de cure par an en France), et la vague des hammams, c'est au tour des
"Spas" de faire la couverture des magazines féminins, « façon moderne de parler
du thermalisme », estime Sabine Granier, directrice du marketing d'Uriage,
marque à base d'eau thermale vendue en pharmacies. Mieux : hissée au rang de
star, l'eau a désormais ses guides (Le Guide du Buveur d'eau, d'Emmanuelle
Evina ; Tout sur l'Eau du groupe Perrier-Vittel) et, depuis quelques mois, son
propre magazine. « Depuis plusieurs années, on redécouvre les grands éléments
fondamentaux, qui sont revalorisés par les menaces qui pèsent sur eux : l'eau
est devenue rare, l'air est pollué, etc. On s'aperçoit que tout ce qui est
nécessaire à la vie est précieux et d'une grande richesse, analyse Patrice
Beauchant, fondateur du cabinet d'études prospectives Beauchant Associés
Conseil. L'eau est à la fois fonctionnelle, plurielle et chargée de tous les
mythes. C'est un univers illimité de fonctions, de goûts, d'apparences, de
vertus et d'origines. Dans l'alimentaire comme dans les cosmétiques, elle est
perçue comme une énergie naturelle qui va aider le corps à relancer ses propres
fonctions. L'eau va encore se développer, car elle repose sur cette idée très
forte d'osmose et de non-ingérence. » Généralement associée à l'idée de pureté,
de bien-être et de fraîcheur, deux mots-clés en ce début de troisième
millénaire, l'eau a considérablement enrichi son registre. Eau dynamisante,
relaxante, ressourçante, énergisante, protectrice, embellissante, nourricière,
active ou pétillante. Quelle que soit son origine, pure ou dopée aux actifs
bienfaisants, ses représentations et son territoire semblent infinis. Le sport,
la décoration ou l'équipement de la maison y trouvent une source d'inspiration
parfois étonnante, à l'image de la chaise longue Blue Lagoon du designer
Christian Ghion et d'Everstyl, un prototype en structure aluminium recouverte
de petits coussins transparents en forme de bouées remplis de gel bleu. Plus
accessibles, certains fauteuils se fondent au corps grâce à de la mousse
expansée à l'eau utilisée traditionnellement dans le domaine médical (modèle
Boréal d'Everstyl). L'eau est également au centre de nouveaux concepts de
magasins comme "Un Tour en Mer", cette enseigne qui mixe les produits et les
services (réservation de croisière ou d'un séjour de thalasso, etc.) dans une
ambiance étudiée : mobilier en verre dépoli et en bois, ambiance sonore, odeurs
marines, etc. Dans le textile, les tissus enduits et les nouveaux touchers
mouillés et savonneux se juxtaposent à une offre basée sur la fluidité, la
transparence et les effets irisés ou pailletés, « comme si l'on jouait avec
l'effet de l'eau sur les matières », observe Caroline Bianzina, responsable
marketing produits au bureau de conseil en développement de produits Martine
Leherpeur. La protection contre l'eau constitue un axe fort avec le
développement des matières techniques "respirantes" ou hydrophobes.
Les cosmétiques rois
De leur côté, les produits de
beauté constituent un fantastique réservoir d'inventivité. Mais jusqu'à quand ?
Dans ce secteur d'activité, rares sont les segments qui échappent à ce courant
multiforme qui touche les textures, de l'eau transparente à l'eau saturée en
éléments actifs telle la boue (soin blanchissant Dark Willard Water), les
formules (actifs marins, eaux thermales, fleurs d'eau, etc.), la sémantique
("brumes"), les sensations (effets mouillés, sensation de fraîcheur ou de
chaleur, gels qui se liquéfient sur la peau, pétillance réelle ou suggérée) et
les couleurs, grandes gagnantes de cette fin de siècle. « Tout le monde cherche
son eau, soit en racontant une histoire sur ses origines et ses propriétés,
soit en travaillant sur le process et en tentant d'apporter de nouveaux gestes,
analyse Hélène Capgras, responsable beauté au cabinet Leherpeur. Les
représentations ont changé. D'une eau pure, claire et hygiéniste, porteuse
d'une neutralité bénéfique, nous sommes progressivement passés à un autre
imaginaire, celui de l'eau qui contient tout, qui est aux origines de tout.
Nous sommes passés d'une eau vide à une eau peuplée, traversée de lumière et de
bulles. » Une analyse qui vaut pour bien des secteurs. Les exemples foisonnent,
de la multiplication des soins à base d'eau thermale active (Evaux,
Saint-Gervais, Soin d'Eau) à la déferlante des eaux de soins corporels,
autobronzantes (brume thermale d'Uriage), coiffantes, maquillantes (eau teintée
de grenadine Colorwash de Nars). A la recherche de nouvelles racines, l'eau se
découvre des sources extrêmes et lointaines, vierges de toute dégradation (eaux
de pôles, de glaciers ou des profondeurs marines telles Depsea Water de Shu
Uemura), parfois millénaires ou millésimées (Eau de raisin Caudalie). Mariage
d'éléments essentiels, elle se combine à l'huile (gamme Ephémer aux minéraux de
la Mer Morte et aux huiles essentielles) et renouvelle les produits biphasés,
au lait (Eau Aroma-Lactée de Nuxe), à l'air (Oxygène de Lanvin) et à la lumière
pour un maquillage irisé et pailleté. Relaxante et source de bien être (gel de
massage hydratant Aqua-Relax de Biotherm, la marque qui promet les bienfaits du
spa chez soi), elle est aussi force (c'est la signature d'Uriage) et
énergisante. Une tendance montante si l'on en croit Patrice Beauchant. A côté
des cosmétiques, cette effervescence trouve un terrain d'expression naturel
dans le développement des eaux en bouteilles et dans la sophistication de
l'offre, packaging compris. Source de santé, mais aussi de plaisir, de
sensations ou encore de magie (Volvic Magique), l'eau a considérablement
enrichi son discours et le champ de ses fonctions. « Il s'agit d'un marché
mature, dont la croissance se fait surtout par l'augmentation des usages. Chez
Perrier-Vittel, nous essayons d'abord de tirer profit du capital de nos eaux et
de les valoriser en tant que boisson naturelle. Mais cela n'interdit pas
d'autres types de développement », explique Sylvaine Audrin, directrice du
marketing de Perrier-Vittel France. De fait, aux côtés des eaux embouteillées
destinées à un large public telle que la nouvelle marque Aquarel de Nestlé
(voir p. 28) ou l'eau minérale "minceur" Courmayeur (Neptune), se développe une
offre plus segmentante qui renouvelle la façon de parler du secteur. Couleurs,
ingrédients additionnels et nouvelles saveurs en prime. Les eaux aromatisées et
les boissons pour enfants (eaux aromatisées Volvic Magique de Danone, boissons
à base d'eau minérale et de sirop P'tit Vittel) ont ouvert la voie.
Des eaux aux vertus multiples
Aujourd'Hui,
Perrier-Vittel pousse la logique plus loin avec le lancement en grandes
surfaces de Contrex "Beauté" et de Contrex "Ligne et Tonus". Empruntant aux
codes cosmétiques et diététiques, ces deux boissons à base d'eau minérale
naturelle à plus de 80 %, de jus de fruits (eau "vitaminée") et d'ingrédients
divers - ginseng, fucus, fibres, etc. - élargissent de façon radicale le
territoire traditionnel des eaux et cassent les codes du rayon. Tendance
holistique oblige, la première promet de "préserver le capital beauté de
l'intérieur" et communique sur l'hydratation et l'anti-vieillissement de la
peau, tandis que la seconde se propose "d'aider à rester mince et en forme",
dans la lignée de Contrex. Elles ne sont pas sans évoquer les "near waters"
japonaises, breuvages à base d'eau auxquels on rajoute divers ingrédients et
actifs (vitamines, minéraux, édulcorants, etc.). Leurs revendications sont
variées : certaines se disent efficaces contre la migraine, d'autres pour
entretenir la mémoire ou accroître les performances sportives grâce à un apport
massif en oxygèn... « Les near waters sont devenues un marché à part entière.
Au début, il s'agissait uniquement d'ajout d'arômes. Aujourd'hui, on va jusqu'à
additionner des polyphénols de vin, sous prétexte que ce dernier est bon pour
la santé. Au Japon, l'eau devient presque un complément alimentaire », témoigne
Christine Dubost, responsable de la veille marketing internationale au cabinet
XTC. La tendance ne se limite pas à l'Asie. Energisantes, les eaux se dopent à
la caféine en Allemagne et aux Etats-Unis, où les consommateurs trouvent
également des eaux enrichies en minéraux, vitamines et oxygène, antithèse de la
nouvelle eau minérale Talians (groupe Danone) qui communique clairement sur sa
haute teneur naturelle en calcium. Eau biologique en Australie, eau pure des
glaciers en Amérique du Nord, voire synthétique. Autant de pistes certes
adaptées aux cultures locales, mais qui en disent long sur le potentiel du
marché en termes de promesses, de textures et de packagings. Les idées ne
manquent pas : dans le nouvel espace parisien Daniel Jouvance, les visiteurs ne
peuvent-ils pas déjà déguster un jus de fruits ou de légumes enrichi à l'Eau
marin... ?
Des défricheurs
Contrex "Beauté" et "Ligne et tonus" : à base d'eau minérale naturelle de Contrex (plus de 80 %), de jus de fruits et d'ingrédients divers (germe de blé, fucus, ginseng, etc.), ces boissons à la fois légères et riches en actifs ouvrent un nouveau marché au rayon eaux.
Des Précurseurs
L'Eau Dynamisante de Clarins (1987) : la première "eau de soin" en France qui allie la fraîcheur d'une eau parfumée aux bienfaits d'un soin corporel à base d'huiles essentielles et d'actifs végétaux. L'Eau d'Issey d'Issey Myaké (1992) : le premier parfum (en termes de concentration alcoolique) qui se réfère à l'eau et à ses valeurs de transparence et de pureté via son nom, son jus translucide (une première), ses notes aquatiques et son flacon épuré.
Des jusqu'au-boutistes
Depsea Water de Shu Uemura : ces eaux parfumées intègrent la "Deep Sea Water", une eau unique et préservée de la pollution, puisée à grande profondeur dans la mer du Japon et riche en nutriments, oligo-éléments et sels minéraux. Eau No de The Body Shop : version militante et antigaspi, cette gamme pour les globe-trotters se compose de produits d'hygiène compacts ou en poudre nécessitant peu, voire pas d'eau, pour leur composition et leur utilisation.
Espace Daniel Jouvance : la mer fait escale à Paris
Les Parisiens en quête de bien-être ont une nouvelle adresse. Début juin, la marque de cosmétiques Daniel Jouvance a inauguré son premier espace "physique" à Paris, sur les Champs-Elysées. Vente de produits aux actifs marins, soins d'institut "ethniques" et inspirés de la thalassothérapie, lieu de restauration rapide à base d'algues et de plancton réservé aux clients de l'institut, espace de communication et d'exposition d'art. Véritable concentré des passions du fils de Yves Rocher pour la mer, la cosmétologie et l'art, ce bien-nommé "vaisseau amiral" de 600 m2 plonge les citadins dans un univers zen et marin reconstituant avec l'eau pour fil directeur. Colonnes bleues à bulles, plans d'eau d'où émergent des sculptures, odeurs de mer, sons aquatiques, ambiance minérale et transparente. Dès l'entrée, les visiteurs découvrent dans un univers polysensoriel les produits de la marque, des cosmétiques et des compléments alimentaires, mais aussi la gamme de produits diététiques Thalasso-Diététique lancée en janvier 2000. Ce lieu de vie est également prétexte à présenter les actions scientifiques, humanitaires et artistiques menées par la marque dans un espace de détente et de communication aux couleurs chatoyantes de coraux, d'éponges et de gorgones. Les "promeneurs" peuvent visionner la mer en direct grâce à l'installation d'une web-cam sur les côtes d'une île bretonne, déguster au sea-bar un verre de jus de fruits enrichi d'Eau marine, un concentré d'oligo-éléments et de sels minéraux, ou s'abandonner à des soins aux noms évocateurs : soin Aqua-zen, massages aux galets océaniques chauds, brumisations marines, gommage du corps à l'aide d'huile douce et de sel de Guérand... L'inauguration de l'espace Daniel Jouvance coïncide avec les 20 ans de la marque, dont le chiffre d'affaires atteint désormais 500 millions de francs (+ 20 % par rapport à 1998). Réparti sur trois niveaux (Mer-Terre pour l'accueil, Mer-Mer pour les soins inspirés de la thalasso, Mer-Air pour les soins rapides et revitalisants), il constitue une formidable vitrine pour cette signature diffusée jusqu'ici au centre de thalassothérapie de Pornichet et par VPC. Les CSP + âgées de 29 à 45 ans vivant dans les grandes agglomérations constituent, actuellement, le coeur de sa clientèle. Avec son navire amiral, Daniel Jouvance se donne les moyens d'augmenter sa visibilité et d'élargir sa cible, à un moment où la recherche de naturalité et de bien être n'a jamais été aussi forte. Avant d'ouvrir des vitrines similaires à l'étranger ?