De la "religion marketing" vers le marketing "religieux"
Dans les années 80, le marketing réussissait à s'imposer comme la "nouvelle religion" de la société de consommation, cherchant à fidéliser des individus avides de standing et d'innovations. Une assimilation entre marketing et religion qui ne cessera de se développer pour aboutir aujourd'hui à une convergence d'intérêts : les uns y trouvent une nouvelle forme de provocation, les autres un moyen d'élargir leur réseau de distribution, d'autres encore... des techniques modernes leur permettant de raviver un certain intérêt pour la vie spirituelle.
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Les attentats du 11 septembre 2001 ont à nouveau propulsé la question
religieuse au premier rang des préoccupations mondiales. Que ce soit pour les
Américains, avec le retour de la ferveur religieuse comme soutien moral pendant
ces temps de tragédie, ou pour les musulmans du monde entier, avec la remise en
question que de tels actes de violence ont pu susciter chez les pacifistes.
Au-delà des débats politiques, la religion, et plus particulièrement le
christianisme, fait depuis peu son entrée dans les stratégies marketing.
Opportunisme médiatique, nouvelle tendance de fond (cf. André Malraux) ou
simple coïncidence ?
La provoc-catho : l'après porno-chic ?
Après avoir exploré l'intégralité des registres et fantasmes
pornographiques, après avoir réduit à des panneaux publicitaires l'acte
d'amour, que restait-t-il aux marques, de suffisamment sacré, pour continuer à
entretenir la spirale inflationniste de la provocation ? La religion, et la
forme d'intimité à laquelle elle renvoie, ne pouvait que séduire les
publicitaires en quête d'un nouveau choc culturel.
Pub et religion
, un mariage consommé.
Ainsi, la dernière campagne Kookai (CLM/BBDO) met en scène un Christ version
disco-pizzaïolo ayant succombé au charme des légendaires "kookaïettes" qui se
veulent cette année "pleines de compassion et de repentir". Les images
religieuses étant tombées dans le domaine public, plus rien ne s'oppose à
mettre en scène des pietà ou autres représentations. Tant et si bien qu'au Pays
du Soleil Levant, où le catholicisme rime avec exotisme, le groupe UG Growing
Up, promoteur de bars à thème, a ouvert en avril dernier à Shinjuku, quartier
hype de Tokyo, le Christon Café. Le décor reproduit dans les moindres détails
l'intérieur d'une église occidentale avec statue de Marie, mobilier
ecclésiastique, véritables tuniques de prêtre et images pieuses à l'appui.
Fréquente cet établissement à la mode, la jeune génération tokyoïte cherchant à
vivre une expérience grandeur nature dans des lieux pourvoyeurs de sensations
fortes. En effet, comment ne pas considérer qu'affirmer aujourd'hui son
appartenance religieuse équivaut à affirmer, hier, son appartenance politique
et constitue ainsi un nouveau levier marketing pour industriels en quête de
bravade publicitaire ? Après le sexe par procuration des années sida, la
religion semblerait cristalliser les peurs de la société post-moderne et se
poser comme le nouveau tabou des années intégristes... Toutefois, au-delà du
simple impact médiatique, l'augmentation du nombre des mariages et des
naissances, de même que le retour des valeurs dites traditionnelles
sembleraient annoncer un certain regain d'intérêt pour la vie spirituelle. Une
tendance déjà perceptible au travers de la vague zen de la fin des années 90 et
confirmée par le salon Première Vision qui met en scène une femme romantique
pour l'hiver 2002/2003.
L'église : le nouveau réseau de distribution ?
Nouvelle normalisation de la société ou provocation
médiatique, il n'en reste pas moins que les communautés religieuses
représentent une cible marketing que les industriels n'avaient jamais osé
"travailler" en tant que telles.
Le Christon Café à Tokyo
, dont le décor reproduit l'intérieur d'une
église.
Même s'il existe depuis plusieurs années aux Etats-Unis des sociétés de conseil
spécialisées dans le développement et la fidélisation des paroissiens, à
l'instar de Manlove Church Marketing qui met en place des outils et stratégies
bien connus des lessiviers, le marketing se mettait au service du religieux et
le rapprochement s'arrêtait là. Mais, récemment, le pas a été franchi avec
l'ouverture d'espaces de restauration au sein même des édifices ecclésiastiques
: un Starbuck Café au sein de l'église Christian Family Church en Indiana (6
000 visiteurs par semaine), un restaurant, le Café St. Bart, au coeur de
l'église St. Bartholomew de Manhattan, où l'on peut également écouter de la
musique jazz, et prochainement, l'ouverture d'un McDo dans l'église Brentwood
Baptist, à Houston, qui accueille 7 000 paroissiens tous les dimanches (soit un
chiffre d'affaires estimé à 150 000 dollars par an). Ce projet prévoit
également un salon de coiffure, une salle de sport, une business school et un
centre d'affaires... Dans une société où le marketing est devenu religion et où
la religion est en passe de devenir un bien de consommation comme un autre,
rien d'étonnant à ce que se multiplient les partenariats en vue de maximiser la
visibilité des uns et le chiffre d'affaires des autres. Opportunisme ou
provocation... voire les deux ?