Comment Internet change le marketing du point de vente
Internet: cannibale ou allié du point de vente? Le débat qui divisait les experts il y a cinq ans est désormais dépassé. Car il est bien évident aujourd'hui que la vente est multicanal et le marketing aussi. Le click et le mortar interagissent de telle manière que le marketing du point de vente s'en trouve modifié.
Dix-sept milliards d'euros. C'est ce que devraient rapporter, cette année en France, les ventes sur Internet. Rien qu'au premier semestre 2007, le e-commerce a fait un bond de 38%. Certes, il n'est plus question de parler de disparition du point de vente. L'e-commerce ne concerne que 3% à peine du commerce de détail (INSEE) et le magasin est aujourd'hui largement réinvesti par les marques qui n'hésitent pas à installer des pas-de-porte et dépenser des sommes importantes dans l'aménagement de l'espace commercial. Mais, face à l'ergonomie de plus en plus confortable et esthétique des sites marchands ou la créativité des sites de marques, le point de vente doit rester un vecteur de lien et de sens entre la marque et son client. Et surtout coller davantage à ses nouvelles attentes. Car, au-delà de l'achat qu'il peut effectuer sur le Net, et ce avec de plus en plus de plaisir
Et dans certains secteurs, tels que le hightech, le bricolage, le textile ou l'automobile, les sites de marques proposent une véritable aide à l'achat.
Cédric Ducrocq (Dia-Mart):
«Acheter sur Internet demeure de Tordre du rationnel, les magasins doivent eux mettre en scène le produit et développer un merchandising de séduction.»
L'évidence du click & brick
Le prospect peut y configurer virtuellement sa voiture (Ford) , essayer un vêtement sur un mannequin virtuel personnalisé sur Laredoute.fr ou visualiser sa future cuisine en 3 D (Leroy Merlin). Une nouvelle façon de réfléchir l'achat qui comporte des implications pour le magasin. «Pour répondre aux attentes des clients, Internet ne doit pas être considéré comme un simple canal de distribution supplémentaire. Il doit s'opérer une synergie entre le site et le magasin. L'internaute doit retrouver les prix et les produits déjà repérés dans le magasin.», insiste Cédric Ducrocq, directeur de Dia-Mart. «Même si cela ne se fait pas en un clic, les espaces sont plus construits qu'avant, et l'aménagement des points de vente se fait de plus en plus dans une logique Internet», confirme Pierre-Alain Weill. Chez Surcouf, le site et le magasin ont été pensés comme apport mutuel de l'un à l'autre sachant que les internautes qui se fixent sur un produit en ligne montent en gamme lors de l'achat en magasin en se basant sur leur choix initial. Le site propose donc des offres exclusives et les magasins sont, eux, équipés de bornes internet. L'interaction entre réel et virtuel est donc évidente et inéluctable. Mais le bon mix entre les deux canaux dépendra de leur capacité à se différencier et à mettre en valeur leurs points forts. «La manière dont on achète dans les nouveaux canaux influe la façon dont on achète dans les magasins. Le lieu de vente doit sans doute se différencier du Net et de la façon que l'on a d'y acheter», soulignent Thomas Alix et Philippe Plunian, respectivement manager senior et directeur d'Orga Consultants.
Un avis partagé par de nombreux experts, comme Martine Croquet, directrice associée de l'institut d'études IOD, qui vient de réaliser une étude sur les nouvelles manières de consommer du fait d'Internet
Pierre Alain Weill (Weillrobert et Popaï France):
«Il faut se demander comment rendre une PLV plus clickable, comment trouver la même fluidité et rapidité dans le magasin que sur Internet.»
Le magasin, lieu d'émotion
Exemple phare: Ikea. Avant tout le monde, l'entreprise suédoise a su créer une expérience shopper inédite en mettant en scène tous ses produits, en instaurant un circuit de déambulation à la fois ludique et efficace, sans négliger ces services qui font que le magasin est aujourd'hui le lieu de promenade du dimanche à la mode. Darty a, lui, axé sa différence sur le service après-vente, un argument encore très fort pour la consommation en magasin ou sur les sites marchands d'entreprises d'abord connues dans le mortar. De son côté, Diesel a construit, pour sa marque DSL55, une sorte de magasin/ maison pour ados avec TV, Playstation et frigo, en totale adéquation avec sa cible déjeunes branchés. D'autres, avec en avant-poste les marques de luxe, ont su amorcer le virage. Mais, dans la majorité, les experts s'accordent pour dénoncer le manque de prise de conscience des marques et/ou enseignes dans ce domaine. Toutes y réfléchissent pourtant, à l'instar d'Auchan. A la manière du «clic and collect» de Darty ou de Leclerc, le distributeur vient de mettre en place «Auchan drive» - où les clients commandent sur le Net et viennent chercher leurs courses en magasin - et, surtout, se prépare à une refonte du merchandising dans ses supermarchés pour répondre aux attentes des consommateurs. Mais la mise en oeuvre n'est pas encore systématique et le résultat souvent décevant. «Nous ne considérons pas vraiment l'impact d'Internet comme une question ou une remise en cause de notre concept de point de vente, précise Philippe Vincent, responsable marketing point de vente de Système U. En B to B, cela a permis le raccourcissement des délais de livraison ou l'amélioration des relations avec le siège, mais cela a eu beaucoup moins de conséquences en B to C. Il faut dire que les grandes surfaces alimentaires sont beaucoup moins concernées que la grande distribution spécialisée.» Un avis que ne partagent pas forcément les agences d'architecture commerciale.
Pour celles-ci, le produit frais que le consommateur aime voir, sentir et toucher, est certes encore peu menacé par l'e-commerce, mais il s'agit de voir plus loin. L'impact du Net ne se limite pas à l'achat en ligne. «Aujourd'hui, les supermarchés sont encore d'une linéarité et d'une neutralité parfaites, regrette Marc Codaccioni, directeur de création pour le département Retail de Team Créatif. Or, il faut créer desfocus, des pôles avec différentes ambiances... C'est notamment ce que nous avons fait pour Ecomarché où les magasins pilotes ont vu une progression de leur chiffre d'affaires de 30 à 35% dans les six premiers mois qui ont suivi les nouveaux aménagements réalisés sur les zones de produits frais.»
L'architecture commerciale, le merchandising et le marketing sensoriel ont donc leur rôle à jouer. Et ce, avant que le marketing «expérientiel» ne s'installe sur la Toile. «Les magasins doivent offrir autre chose que la mise à disposition des produits s'ils veulent que le consommateur face un effort pour se déplacer sur le lieu d'achat. Offrir quoi? Le plaisir des sens: toucher le produit, déguster, sentir, découvrir une ambiance spécifique, discuter avec les vendeurs. Le commerce électronique doit pousser les entreprises à travailler l'aménagement de leur point de vente, réel vecteur d'image et d'expériences sensorielles», écrivent les auteurs
Martine Croquet (IOD):
«Avec Internet, le consommateur a repris du pouvoir. Du coup, il a une relation beaucoup plus d'adulte à adulte avec le magasin.»
Le point de vente 2.0
Des expériences qui peuvent passer par les nouvelles technologies. Celles-ci existent, mais sont finalement peu ou mal utilisées. Le digital média, qui connaît une progression fulgurante, en est une bonne preuve. Certains distributeurs vont par exemple utiliser des écrans en 3 D mais, seuls, l'impact paraît limité. «Je ne pense pas que cela change fondamentalement l'expérience dans le magasin. Ce qui est intéressant, c'est de réaliser une expérience polysensorielle qui crée une identité de marque ou une sensation de bien-être», souligne Anthony Giannini, chef de projet de l'agence ByVolta spécialisée dans l'identité et le design sensoriel ainsi que l'aménagement des espaces de vente. Sur le marché pourtant, les agences sont nombreuses à proposer des aménagements novateurs sollicitant l'ensemble des cinq sens du shopper. Tapis en imagerie interactive (ByVolta), meubles intelligents équipés de la technologie RFID diffusant des informations sur le produit dès la prise en main et pouvant déduire le sexe et l'âge du shopper (Supertec), travail sur le parfum ou la musique comme identité de marque... Le magasin du futur est déjà là, mixant le physique et le virtuel, comme avec le «social retailing». Ce concept, développe par l'éditeur américain Icon Nicholson, est l'exemple le plus abouti de la synergie entre le Net et le point de vente, l'expérience émotionnelle et la technologie. Le principe? Sans avoir à essayer le vêtement, la cliente peut visualiser sa tenue dans un miroir qui, connecté à Internet, permet à ses amies connectées de donner leur avis... Les marques sont encore peu nombreuses à avoir testé ce genre d'appareil. Pour l'instant, il s'agit de marques de luxe comme Prada ou Chanel pour des one shot. Reste que l'on peut voir l'un de ses dérivés dans le flagship parisien d'Adidas, sur les Champs-Elysées où trône un appareil à personnaliser ses chaussures; le «MI innovation center». Autre avancée, l'animation sur le point de vente, qui mixe démonstrations en magasin, renvois sur le site de marque, présence physique et technologie Bluetooth ou Internet. «Plus le monde virtuel prend de l'importance, plus les consommateurs ont besoin d'être mis en contact dans la vie réelle», résume Frédéric Bernard, président de l'agence de marketing expérientiel Stella.
Internet ne provoquera pas la disparition des magasins. Pour autant, ce dernier, vecteur par excellence de socialisation et de relation avec la marque, perd du terrain. Le point de vente doit donc se réinventer en coordination avec les marques et les distributeurs, en se différenciant du Net tout en intégrant ses vertus. Sous peine de décevoir le shopper.
Pixmania a tenté dans ses showrooms de mixer les atouts du click et du mortar grâce au merchandising et a la technologie.
Les pure players précurseurs?
- Et si le nouveau point de vente était imaginé par les pure players? Il y a deux ans, Ing-direct a ouvert, dans les principales capitales européennes, des Ing-direct cafés où les clients peuvent obtenir des conseils, gérer leurs comptes ou s'informer sur la Bourse. La relation avec la banque y devient plus naturelle, démythifiée et personnelle. De même, l'an dernier, Pixmania a ouvert un showroom de 400 m2 à Boulogne-Billancourt. «Les clients ont encore besoin d'une dimension physique, argumente Patrick Oualid, directeur marketing de Pixmania. Nous avons 14 points conseils et de retrait dans toute l'Europe.» Le showroom est un mix entre Internet et le magasin: il est à la fois possible d'être tout à fait autonome ou de bénéficier de conseils de vente classiques. «En faisant du e-commerce, nous nous sommes rendus compte des limites rencontrées par les pure player: il n'y a pas de dimension tactile dans l'ecommerce ni d'explication de vendeurs. Parallèlement, dans un magasin, nous n'avons pas les avis consommateurs...», reprend Patrick Oualid. Le showroom a donc été pensé pour les internautes. Il correspond à leur univers: numéro de réservation, mise à disposition de l'intégralité des avis consommateurs et des fiches produits sur des écrans tactiles LCD, prix similaires à ceux du site... D'un autre côté, sur le site nous avons mis en ligne des vidéos de démonstration produits et d'avis de consommateurs.»
Des exemples à suivre, même si ces espaces commerciaux sont plus des vitrines que des purs points de vente qui s'affranchissent des impératifs de vente que doivent remplir les pure mortars.