« Les femmes, un vrai relais de croissance pour le bricolage »
La femme serait-elle l'avenir du bricolage ? C'est une cible qui crée une croissance notable chez Castorama. Le Prix de l'outil féminin créé par l'enseigne en 1998 et son baromètre Ifop/Casto, sur le thème "Femmes et bricolage", démontrent que la gent féminine a acquis une autonomie question travaux manuels. Christian Daudier, directeur des achats, et Peter Van Vliet, directeur des études, enfoncent le clou.
Je m'abonneComment a évolué votre marché ?
Christian Daudier
: Castorama est leader en France depuis une vingtaine d'années, nous
contribuons donc à faire avancer le marché. L'idée originelle était de proposer
tout ce qu'il faut au bricoleur, pour cela nous avons notamment beaucoup
travaillé avec nos fournisseurs pour vulgariser au bon sens du terme, en
participant notamment à l'élaboration de produits avec eux. Le bricolage est un
marché très atomisé au niveau de l'offre, on a souvent à faire à de petits
fabricants qui ont besoin d'être épaulés pour avoir une bonne connaissance du
consommateur. Castorama joue ce rôle d'interface entre fabricants, inventeurs
et marché final. Il n'y a pas de généralistes chez les fabricants. Prenez la
salle de bains, par exemple. Il y a d'un côté ceux qui font la porcelaine, de
l'autre ceux qui fabriquent la robinetterie et ainsi de suite. Il y a donc un
vrai rôle marketing au sens noble du terme de la part du distributeur qui vise
à composer une offre permettant à nos clients d'envisager leur chantier de
façon harmonieuse et complète. Peter Van Vliet : Cela nous oblige à être
extrêmement à l'écoute, voire à être en avance sur notre temps, pour suivre
l'évolution du comportement des bricoleurs. On est passé d'un bricolage factuel
sur de l'outil à un bricolage qui vise à améliorer la vie dans la maison. Nous
devons aujourd'hui être en avance sur ce thème et proposer à nos clients de les
accompagner, de les former, d'être à leurs côtés dans leurs projets
d'aménagement de la maison.
Ce nouvel intérêt des femmes est-il accompagné d'une moindre motivation du mari bricoleur ?
C. D : Il
n'y a pas de déclin du bricolage masculin mais un vrai relais de croissance par
les femmes. Et, même si le bricolage est toujours majoritairement le fait des
hommes, les femmes ont un rôle de prescriptrices évident. On est maintenant
dans une période de confort de consommation et d'esthétique et là, le rôle de
la femme devient tout à fait prépondérant. Peter Van Vliet : Cela nous oblige à
être extrêmement à l'écoute, voire à être en avance sur notre temps, pour
suivre l'évolution du comportement des bricoleurs. On est passé d'un bricolage
factuel sur de l'outil à un bricolage qui vise à améliorer la vie dans la
maison. Nous devons aujourd'hui être en avance sur ce thème et proposer à nos
clients de les accompagner, de les former, d'être à leurs côtés dans leurs
projets d'aménagement de la maison.
Comment se transmet aujourd'hui le savoir-faire ?
C. D : Comme pour le savoir-faire culinaire,
c'est l'usage des outils ou des produits qui doit être facilité et l'on ne peut
pas compter sur une transmission des bons gestes dans le cadre de la famille.
Comme il n'existe pas d'école de bricolage, nous organisons des "Castostages",
pour lesquels la demande est très forte. Le samedi, dans chaque magasin, un
professionnel démontre l'usage ou la mise en chantier d'un type de produit, ce
qui permet au client d'apprendre les bons gestes. Ce que l'on constate dans ces
stages, c'est une forte présence féminine. Les femmes veulent réellement
apprendre à faire des travaux de bricolage de plus en plus lourds et ambitieux
Les femmes vont donc devenir de nouveaux relais pour l'apprentissage ?
P. VV : Dans notre baromètre IfopCastorama, nous avons demandé
aux femmes si elles envisageaient d'apprendre le bricolage à leurs enfants et
l'on constate qu'elles ont une vraie volonté sur ce point. Avec ce chiffre
étonnant : elles considèrent que les enfants peuvent bricoler à partir de 9/10
ans. Ce qui peut paraître jeune, mais c'est à ce moment-là que les premiers
réflexes et l'aspect sécurité entrent dans l'éducation. De plus en plus,
l'éducation des enfants passera aussi par une éducation des gestes du bricolage
pris en charge par les femmes.
C'est un phénomène majeur. Autant c'était les hommes, il y a une dizaine
d'années, qui étaient les vrais bricoleurs, avec une transmission du père au
fils. Aujourd'hui, on a également une transmission de la mère aux enfants et
donc une ouverture complète du bricolage vers les enfants. C. D : Les gestes
du bricolage sont très vite nécessaires pour les enfants parce que leurs jouets
ou leurs jeux le nécessitent. Avoir un vélo, des rollers, nécessite de savoir
manipuler un certain nombre d'outils. Cela rentre très vite dans la vie d'un
enfant d'autant plus qu'aujourd'hui les bons outils existent.
Ce nouvel intérêt des femmes est-il accompagné d'une moindre motivation du mari bricoleur ?
C. D : Il n'y a pas de déclin du bricolage masculin
mais un vrai relais de croissance par les femmes. Et, même si le bricolage est
toujours majoritairement le fait des hommes, les femmes ont un rôle de
prescriptrices évident. On est maintenant dans une période de confort de
consommation et d'esthétique et là, le rôle de la femme devient tout à fait
prépondérant.
Mais, qui dit esthétique suppose d'être capable d'aboutir à un rendu quasi professionnel... ?
P. VV : C'est la
grande évolution que l'on constate entre l'étude menée en 1998 et celle de
cette année. Aujourd'hui, les femmes se sont accaparées le bricolage de façon à
en comprendre l'ensemble du déroulement et des principes de fonctionnement. 9
femmes sur 10 bricolent et parmi elles, 20 % font de très gros travaux. On sait
également que 40 % de nos clients sont des clientes. Elles peuvent désormais
projeter non seulement en disant, suivant le schéma d'il y a une dizaine
d'années "Je voudrais que l'on refasse la cuisine", mais elles savent
aujourd'hui ce qui est possible. Qu'il faut mettre du carrelage ici, faire
attention à l'arrivée électrique... Elles ont une conception complète du projet
de bricolage qu'elles n'avaient pas il y a encore 4 ou 5 ans.
Une évolution à laquelle vous estimez avoir largement contribue...
C.
D : Cela a vraiment été notre rôle en expliquant avec une pédagogie simple et
en rendant le bricolage possible. Ça ne veut pas dire qu'elles vont tout le
temps faire du carrelage. Il ne faut pas non plus plonger dans une dérive qui
voudrait que les femmes soient désormais des poseuses de parpaings, ça n'est
pas le cas, mais elles savent ce qu'elles veulent. La maison est redevenue le
centre des préoccupations de la famille. Les femmes se sont accaparées la
technique pour pouvoir dire "Voilà ce que nous allons faire".
Cela fait-il évoluer le rapport de la gent masculine au bricolage ?
C.
D : Dans nos magasins, on constate des zones de consommation différentes entre
hommes et femmes. Pour caricaturer, l'homme est cantonné dans le rôle de la
mise en oeuvre du chantier alors que la femme prend tout le territoire du choix
des produits, notamment des produits finis, que nous appelons les produits
"visibles", mais aussi le territoire du budget. Il y a vraiment une répartition
des tâches. La femme définit le projet fini, le budget, c'est un peu le chef de
chantier. L'homme a plus un rôle d'exécutant. P. VV : Il y a une question
ludique dans l'étude Ifop : dans 9 cas sur 10, les femmes considèrent que le
bricolage aide à la discussion dans le couple. Il devient un sujet de
discussion, à la fois sur le présent mais forcément aussi une projection sur
l'avenir. On construit demain par le bricolage, on améliore son cadre de vie
avec une implication beaucoup plus forte. Il y a quelques années, la femme
était prescriptrice et l'homme bricolait. Il y avait une rupture nette entre le
passage de témoins. La femme disait "Je veux ça", l'homme le faisait.
Aujourd'hui, la femme dit "Non, je veux plutôt telle peinture, telle finition,
que cela ait tel aspect". Elle considère l'impact budgétaire alors qu'avant,
c'était les hommes qui achetaient. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Le bricolage serait donc un facteur d'évolution vers une vraie parité dans le couple ?
C. D : (rires). En tout cas c'est un
facteur de discussion entre hommes et femmes mais aussi pour toute la famille
parce qu'aujourd'hui, les enfants ont leurs parts de voix dans la décision. Un
des motifs également de bricolage c'est, par exemple, la conception nouvelle
des pièces de séjour, avec notamment l'arrivée de l'informatique et de la vidéo
qui poussent à en faire un vrai projet familial. L'accès à l'informatique, à la
vidéo à la chaîne hi-fi, concerne aussi bien les parents que les enfants. En
cela, le bricolage est un ciment de la famille.
Concernant votre Prix de l'outil féminin, quelles évolutions percevez-vous depuis sa création en 1998 ?
C. D : Côté fournisseurs, il y a un besoin de chiffrer ce
phénomène. Quand on parle seulement d'évolution, ils ne sont pas forcément
attentifs. Effectivement, c'est dans l'air du temps, mais ils veulent savoir
réellement ce que cela représente. Et là, on mesure très précisément, cela
devient un vrai développement de marché. Les fournisseurs ne dédient pas
spécifiquement des produits aux femmes. En revanche, la préoccupation de la
clientèle féminine commence à s'intégrer à leur R&D. Par rapport à d'autres
marchés, celui du bricolage est clairement en retard sur l'intégration de la
femme dans la conception des produits. Pour elles, l'ergonomie doit être
différente, l'esthétique aussi. P. VV : Nous avons poussé les fournisseurs à
concevoir des outils pour les femmes et ils ont traduit cela en faisant des
produits plus faciles, plus commodes et plus jolis. Mais c'est dans l'air du
temps et les hommes se les approprient au même titre que les femmes. Une
perceuse plus légère conçue pour la clientèle féminine, intéresse tout le
monde. C. D : Aujourd'hui, ce sont encore des hommes qui inventent pour les
femmes. Le vrai changement interviendra quand on verra des inventrices. Notre
action doit pouvoir créer des vocations. Le premier prix du Concours Lépine
2002 est un chariot électrique inventé par une femme, ça n'est pas un hasard.
Dans quelques années, ce phénomène existera dans le bricolage.
Des produits plus performants, cela va vous permettre de réduire le nombre de références ?
C. D : Oui, car la qualité des produits évoluant, on
va effectivement pouvoir constituer une offre satisfaisante avec moins de
références et donc proposer au client plus de disponibilité en quantité
notamment. P. VV : L'augmentation de la lisibilité est notre souci majeur. Nous
voulons, pour notre client confronté à un choix, que ce choix soit limpide.
Qu'il puisse faire facilement la différence entre les produits et qu'il
continue de trouver chez nous les différents segments, un premier prix, un
produit haut de gamme, un milieu de gamme. A ce dernier niveau, on injecte
beaucoup de produits à nos marques. Notre objectif étant d'atteindre 20 % de
références Castorama dans nos magasins, sachant que ces produits sont vendus en
moyenne entre 15 et 20 % moins chers que la marque de référence. C. D : Nous
sommes également très présent sur les grandes marques. Leur présence est très
importante pour les femmes car elles sont un vrai repère et, quand on démarre
dans le bricolage, elles rassurent.
Comment s'organise votre veille des tendances ?
C. D : Nous avons une organisation en
category-management avec 29 "Catmen" et "women" qui sont en contact direct avec
les fournisseurs. On travaille en partenariat avec eux et l'on demande même à
certains d'entre eux de réfléchir avec nous sur les produits. P. VV : Nous
sommes très à l'affût. Une personne au sein de notre équipe est chargée tous
les trois mois de sortir un book de plusieurs centaines de pages sur la mode,
les couleur... On cherche à alimenter nos category-managers car il faut qu'ils
aient cette perception complète de l'offre présente et aussi de ce qui peut
venir demain. On ne peut pas aujourd'hui avoir les yeux fermés sur ce que sera
la maison demain, sur l'évolution des tendances bricolage. Même dans la vis, il
y a des évolutions, on doit être très vigilant là-dessus.
Casto c'est toujours "Y'a tout c'qui faut !" ?
P. VV : Oui. Cela a été
l'un des éléments fondateurs de la marque. Il n'y a pas une personne que vous
interrogiez qui ne vous la cite. Même parmi les enfants de 10-12 ans, ce qui
est étonnant. Cela fait partie du patrimoine génétique français, au même titre
que notre jingle. Aujourd'hui, on aurait tort d'essayer d'annihiler ça. Comment
le traduire demain dans cette phase d'accompagnement du projet de nos clients,
de l'aménagement de leur maison et d'amélioration de leur logement ? Nous
travaillons beaucoup sur les concepts et la communication et nous dévoilerons
tout cela d'ici à la fin de l'année.
L'attitude de Kingfisher est-elle une menace ?
C. D : Il semblerait qu'il y ait une OPA !
Ils ont 56 % des actions et 50 % du droit de vote du fait du système de
commandite. Dans les accords initiaux, il était prévu que Kingfisher puisse
accéder à la voix majoritaire à condition de lancer une OPA et c'est ce qu'ils
ont annoncé. Les cadres dirigeants français ont demandé des précisions sur les
intentions managériales de Kingfisher.
Biographie
Christian Daudier (à gauche) a 46 ans, il est marié, trois enfants, maîtrise de gestion à Dauphine, rentré chez Casto en 1978 en tant que chef de rayon, puis directeur de magasin sur Paris, puis directeur de produit électricité avant de devenir il y a trois directeur achats. Peter Van Vliet (à droite), 40 ans, marié, deux enfants. Diplômé de l'Edhec, il dirige tout d'abord un cabinet de conseil en marketing à Lille. Il est entré chez Castorama en 1999 en tant que directeur des études, fonction qu'il occupe toujours.
L'entreprise
3e enseigne mondiale de bricolage derrière les Américaines Loft et Home Depot, Castorama est leader en France avec un chiffre d'affaires de 2,51 milliards d'euros (CA monde : 8,38 MdE). La marque est également présente au Brésil, Canada, en Belgique, Angleterre, Allemagne, Italie, Pologne, Chine, Turquie, à Taïwan, sous enseignes B&Q, Castorama, Brico Dépôt, Réno Dépôt ou Dubois Matériaux. La part de marché France est de 29,3 % ; son principal concurrent Leroy-Merlin est à 23 %. L'enseigne compte 107 Castorama en France et emploie 15 000 personnes (et environ 60 000 dans le monde entier).