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Outsourcing le Noeud Gordien des ressources humaines

Par-delà les scories de pratiques aussi instrumentalistes que déresponsabilisantes, l'externalisation reflète aujourd'hui une vraie démarche partenariale entre l'entreprise et son prestataire. Capacité d'investir, prise en compte des nombreuses opportunités de la sous-traitance, définition des finalités sont autant de symptômes de professionnalisation. Une pierre d'achoppement toutefois, et pas des moindres : les ressources humaines. Derrière les discours lénifiants, la réalité sociale détonne encore.

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Dans la notion même d'outsourcing, dans son interprétation et dans son intégration "culturelle", on peut identifier un certain nombre d'évolutions récentes, qui font écho à divers niveaux de maturité des entreprises. Tout d'abord, la maturité sociologique : les entreprises, du moins certaines d'entre elles, ont dépassé la stricte dichotomie externalisation/internalisation. Elles sont aujourd'hui conscientes de la nécessité de mettre en oeuvre des options à la carte, mêlant l'outsourcing, l'insourcing et le cosourcing. Ensuite, la maturité marketing : le tissu d'offres développé s'avère de plus en plus complexe, avec des stratégies de plus en plus ciblées et des opérations de plus en plus fréquentes qui, nécessairement, impliquent, à un moment ou à un autre, le recours à l'externalisation. Troisième niveau d'évolution : la maturité sociale. Si au déploiement des missions confiées à des prestataires extérieurs correspond, encore et toujours, un souci d'économie en matière de ressources humaines et d'emploi, ce souci est accepté comme une réalité de fait, un peu comme une fatalité. Enfin, les entreprises font preuve aujourd'hui d'une maturité technologique. Les outils existants permettent d'externaliser tout ou partie des services clients tout en conservant la parfaite maîtrise des opérations. Ces évolutions majeures prises en compte, quelle est sur le marché de la relation client, aujourd'hui, la part de l'externalisation ? Les données en circulation relèvent davantage de l'extrapolation intuitive que d'un rigoureux décompte. Néanmoins, on s'accorde à penser qu'au moins 90 % de l'activité est encore entre les mains de l'interne. Encore, ou plutôt toujours. Car il semble que ce ratio n'évolue pas. Et lorsque l'on parle du développement de l'outsourcing, on se réfère à des valeurs absolues et non relatives. L'externalisation est en croissance parce que le marché croît. Mais elle ne grignote pas nécessairement sur l'interne (voir article "Externalisation : la frilosité des entreprises" en page 94).

BANALISATION DE LA SOUS-TRAITANCE


Ce qui n'empêche pas les entreprises d'alimenter leur maturité en matière d'outsourcing. Aujourd'hui, elles ont intégré le service clients comme l'une des briques "naturelles" de leur édifice. « Se posent autour de la sous-traitance les mêmes questions fonctionnelles que celles suscitées par l'exploitation de la comptabilité, de la logistique ou de la communication : qu'est-on en mesure de traiter en interne, pour quelle profitabilité et pour quel bénéfice client ? », souligne Philippe Clogenson, directeur général développement de Bertelsmann Services France. Les interlocuteurs des outsourtcers sont de plus en plus souvent des directeurs achat, ce qui est symptomatique d'une "normalisation" de la démarche outsourcing au sein des entreprises. « Le débat ne consiste plus à discuter sur la prise de risque ou la non-prise de risque. Il s'agit de savoir quelles sont les solutions les plus profitables pour l'entreprise. De même, la question stratégique n'est ici plus vraiment à l'ordre du jour. Il s'agit plutôt de savoir quelle est l'efficacité des processus existants et choisis », résume Nicolas Arib, consultant manager centres d'appels chez Experian. Bref, le fonctionnel plutôt que l'essentiel, l'efficacité plutôt que la stratégie. Que les choses soient claires : lorsque l'on évoque ici le primat de l'efficacité sur la stratégie, c'est pour mieux dire que le "comment faire" (la stratégie) s'efface devant le "pour quoi faire" (l'efficacité). Ce qui n'enlève rien à la dimension stratégique des questions propres à l'externalisation. Bien au contraire. Les prestataires et leurs clients travaillent sur la base de terrains contractuels de plus en plus riches, voire alambiqués, reflets en tout cas d'une prise en compte approfondie de toutes les dimensions consubstantielles de l'outsourcing. « Le degré de complexité des contrats double tous les deux ans », précise Guillaume de Menthon, directeur administratif et financier de Multilignes Conseil.

NÉBULEUSE DE NOUVEAUX ACTEURS


A cette complexification contractuelle répond une multiplication de l'offre. L'outsourcing est en train de vivre, et ce depuis très peu de temps, l'émergence de nouveaux intervenants, qui, s'ils ne sont pas complètement exogènes, traduisent bien l'intérêt d'acteurs périphériques pour ce marché. A côté des sociétés de télémarketing, qui constituent le socle "historique" de la profession, évoluent des sociétés de plus en plus spécialisées dans l'intégration de métiers à fort niveau de qualification (Intracall, Elucydée, Synerfil, SV...), mais aussi des assisteurs, à l'instar d'IMA avec IMA Technologies, d'Europ Assistance avec Twinner, de Mondial Assistance avec Elucydée. Puis sont apparues les sociétés de commercialisation de services (SCS) comme CMC, Debitel, Motorola, Vodafon... Arrivent également des hot liners, comme Sitel ou Stream, qui cherchent à diversifier leurs prestations. Dans cette nébuleuse, tout le monde est un peu le prestataire de tout le monde. Par des voies directes ou plus détournées. C'est d'autant plus vrai que les opérateurs télécom, aujourd'hui, jouent sur tous les tableaux de l'exploitation des services clients : fournisseurs, clients, outsourcers. Mais, malgré la floraison de nouveaux acteurs, du moins de nouveaux prétendants, le marché devrait rapidement gagner en lisibilité par le jeu des rapprochements. « Cette année sera celle des fusions et de l'émergence de nouveaux leaders », lance Charles-Emmanuel Berc, directeur de Fi System Contact Center (nouveau nom d'Eos Télérelations).

PUISSANCE DE TIR ET CAPACITÉ D'INVESTIR


Pour les acteurs "historiques" du marché, la différence se fait déjà par la taille et la force de production. « Sur des budgets de l'ordre de 100 millions de francs, si vous sortez Téléperformance, Atos et Convergys, il n'y a plus personne. On retombe tout de suite sur des sociétés qui font 100 millions de chiffres d'affaires et qui seraient obligées de doubler leur taille pour pouvoir répondre à ce type de contrats », note Patrick Dubreil, P-dg de Téléperformance France. De fait, sur le marché de l'outsourcing, les gros vont avec les gros. Tous les prestataires ne sont pas en mesure de mettre sur la table des sommes importantes, qui plus est dans des délais rapprochés. Lorsque, fin 1999, Cegetel confie à Bertelsmann Services une partie de son service clients, c'est aussi parce que la filiale française du géant allemand est en mesure d'aligner 30 MF dans les deux mois. Ce, pour mettre en place à Laxou, dans l'agglomération de Nancy, un call center destiné à la gestion du débordement d'appels des abonnés SFR. A la clé : la création de 600 emplois d'ici l'été 2000. Le poids économique des prestataires, leur puissance d'investissement, constitue aujourd'hui un argument plus décisif que jamais. Et chacun de décliner avec fierté ses dépenses. Multilignes Conseil a pour sa part investi 4 millions de francs en un an et demi autour de la technologie. Téléperformance a déboursé 20 millions de francs dans l'ouverture à Paris et à Lyon de deux sites dotés de technologies récentes. Le groupe Havas Advertising, qui a récemment racheté 100 % du capital de la société de télémarketing Telog, vient d'investir à son tour 10 millions de francs dans un "customer center" high-tech de 600 positions à Versailles.

LE BIEN FONDÉ DE L'EXTERNALISATION


Des investissements qui, la plupart du temps, répondent à une nécessité de s'adapter aux évolutions de la technologie et opportunités induites en termes d'optimisation de la fonctionnalité et du service. « On entend beaucoup parler de moyens. Et beaucoup moins de bénéfice client, insiste Patrick Dubreil. La vraie question n'est pas celle des moyens. Les vraies questions, pour les entreprises qui veulent optimiser leur service client, c'est "pour quelles raisons externaliser ?" "dois-je outsourcer ou pas ?" Par ailleurs, une fois que le choix de l'externalisation est fait, il faut considérer les trois dimensions majeures de l'exploitation d'un centre d'appels : les process marketing client, la gestion des ressources humaines, la technologie. Et se poser, pour chacune d'elles, la question du bien fondé de l'outsourcing. » Mais ce souci (cette obsession ?) des moyens qui transparaît dans les cahiers des charges reflète aussi sans doute la maturité du marché. De fait, les responsables de centres d'appels sont aujourd'hui plus que jamais rodés aux questions technologiques, aux questions d'organisation ou encore aux questions relevant de la gestion des ressources humaines. Par ailleurs, force est de constater qu'en externalisant, les entreprises veulent trouver ailleurs ce qu'elles ont chez elles. « Cela permet à des sociétés comme la nôtre de valoriser leurs investissements en matière d'infrastructures et d'environnement de travail, remarque Nicolas Arib. Il y a une époque où nous perdions des parts de marché parce que nous étions trop chers. Aujourd'hui, les entreprises récompensent les investissements. Par ailleurs, tout cela ne peut que contribuer à mener la profession vers le haut. »

LES RISQUES D'UN "ISO-ENVIRONNEMENT"


Ce nomadisme identitaire, cette volonté de projeter à l'extérieur leur propre environnement, n'est pas sans risque pour les outsourcers. Notamment si l'on considère la propension au sur mesure technologique. Comment en effet une société peut-elle déployer des architectures dédiées dès lors que sa vocation est de mutualiser son équipement pour apporter un service à moindre coût à diverses entreprises ? Car investir dans une solution Lucent, Nortel ou Alcatel coûte très cher. Et faire un choix multiple est économiquement ruineux. Même si, chez certains acteurs du marché, on affirme jouer à fond la carte du sur mesure. « S'il faut acheter du Lucent, j'achète du Lucent. S'il faut du Nortel, j'achète du Nortel. C'est là l'un des atouts des sociétés suffisamment puissantes pour répondre aux attentes de leurs clients », avance Philippe Clogenson. « Nous nous orientons vers des relations d'opportunisme, de partenariat avec nos clients, souligne Nicolas Arib. Les appels d'offres sont de plus en plus fermés, écartant d'emblée les outsourcers qui ne pourraient pas fournir l'architecture exigée par l'entreprise. Le risque serait une dérive vers la filialisation, vers un iso-environnement, qui remettrait radicalement en cause la raison d'être des sociétés prestataires. » Paradoxalement, le remède à cette perversion de la technicité se trouve sans doute dans la technologie. Banalisation, virtualisation, légèreté, l'évolution des outils va permettre de dépasser les problématiques de clonage entre l'univers de l'entreprise et celui de son outsourcer. « Demain, avec un browser, on pourra attaquer le système d'information de l'entreprise et ses applicatifs sans avoir à les dupliquer », note Nicolas Arib. Mais la technologie est aussi le vecteur d'émancipation pour les téléconseillers. Une émancipation qui habite tous les discours, chez les outsourcers comme chez leurs clients. Et pour cause. La dimension ressources humaines est au centre de la relation entreprises/prestataires. « 35 heures, statuts, code du travai... Ce que l'on appelle le "travail précaire" et qui n'est en fait que de la flexibilité, s'avère très complexe à gérer, souligne Guillaume de Menthon. C'est pourquoi l'outsourcing constitue, pour certaines entreprises, un vecteur de transfert du risque social. » Si le risque social est latent, les mouvements de mécontentement sont paradoxalement plus fréquents sur les centres d'appels gérés en interne que chez les outsourcers (temps partiels et turn-over obligent).

LES RESSOURCES HUMAINES AU COEUR DE LA PROBLÉMATIQUE


Certaines entreprises considèrent que la gestion humaine d'un call center n'est pas forcément valorisante. Mieux vaut alors opter pour l'externalisation. « Dans le cas contraire, il n'est pas rare de voir les responsables de plateaux, à force de vouloir "valoriser" le travail de leurs téléconseillers, mettre en place des modes d'exploitation peu productifs, remarque Anne Bendler, directrice commerciale de H2A. Il faut d'ailleurs reconnaître que, là où des sociétés comme la nôtre traitent des services clients avec 30 personnes, certaines entreprises mettront en place des équipes trois fois plus importantes. » Risque social, impératifs de productivité, charges sociale... les ressources humaines restent toujours au coeur de la problématique d'outsourcing. Malheureusement pour des motifs souvent plus négatifs que positifs. L'opérateur, le téléacteur, le téléconseiller, quel que soit le titre qu'on lui prête, reste "Le" problème. Lorsque les entreprises externalisent, c'est toujours, peu ou prou, pour se décharger dudit problème. Car, par-delà les discours aujourd'hui courus, tous plus angélistes les uns que les autres, il faut regarder les choses en face. Prenons la question des salaires, symptomatique d'une évolution plus théorique que réelle. Le niveau de recrutement moyen des téléconseillers est à bac + 2. Avec, chez la plupart des outsourcers, des salaires effectifs qui ne décollent pas, affectant tout au plus quelques variations entre le Smic et les 8 000 francs. Pour des tâches répétitives et, le plus souvent, peu valorisantes. Les outsourcers avancent pour leur part que la croissance du marché, doublée des opportunités technologiques (automatisation et diversification des tâches), constitue un mouvement forcément propice à la valorisation des postes et des métiers. De fait, les outsourcers sont depuis peu le berceau de nouvelles fonctions dans l'exploitation des services clients. Non seulement dans la stratification des compétences : téléconseillers juniors, confirmés, seniors ; tuteurs ; superviseurs juniors, confirmés, senior... Mais aussi dans la définition de nouveaux postes : responsable des FAQ (questions les plus fréquemment posées), responsables des scripts, responsables des bases de connaissance... « Cette tendance répond à deux besoins, note Eric Dadian, président de l'AFRC (Association Française des Centres de Relation Clientèle) et d'Intracall. Premièrement, le souci de proposer d'emblée aux nouveaux arrivants des plans de carrière. Ensuite, la complexification des missions qui sont confiées à des outsourcers de plus en plus professionnels et de mieux en mieux dotés en matière technologique. »

VALEUR D'USAGE ET TEMPS "INVISIBLE"


Certes. Il n'en demeure pas moins que les salaires ne suivent pas. Et pour cause. Traiter un problème par téléphone est plus rapide qu'en face à face. En tout cas, le temps de contact en lui-même s'en trouve réduit. Or, ce temps de contact, c'est ce que voit l'entreprise, qui ne voudra payer son prestataire que sur cette valeur d'usage, et non sur le temps total induit (mais rendu "invisible" du fait de la mutualisation). D'où l'écart qui persiste entre les pratiques salariales des outsourcers et celles en cours dans des configurations d'internalisation. Quant à l'émergence de métiers à fort niveau de qualification sur les services clients, si elle est indiscutable, elle n'infirme pas pour autant la tendance au niveau de ces coutumes salariales, y compris cette fois-ci en interne. « Il est clair que la distance est, en matière de salaires, un facteur de dévalorisation. Ce qui est regrettable. Exercer son métier d'avocat au téléphone est sans doute plus difficile que dans des conditions plus "classiques" », souligne Eric Dadian. Le remarquable développement des help-desks techniques en général, et de l'assistance informatique en particulier, a orienté sur les plateaux des armées d'ingénieurs hot liners. De plus en plus demandés, difficiles à recruter, difficiles à fidéliser, ils peuvent débuter à des salaires qui feraient pâlir d'envie tous les téléacteurs de la terre. Mais 190 KF, 200 KF, c'est toujours moins que ce que pourraient espérer des ingénieurs de même qualification dans un contexte plus "traditionnel". « Un ingénieur hot line sera payé entre 10 et 20 % de moins que son homologue avant-vente. Mais il sera assuré d'avoir des horaires fixes, et au final, moins de stress parce que moins de responsabilité commerciale directe », remarque Nicolas Couraud, directeur du service clients de SER, leader européen de la gestion électronique de documents. Si le call center est dévalorisant en termes d'émoluments jusque dans le cadre de structures internalisées, on devine combien il l'est chez les outsourcers. Certes, les différences existent entre les petites (et grosses) sociétés à forte culture télémarketing et des entreprises plus orientées sur des budgets à long terme et à forte valeur ajoutée. Chez Victoria Line, on annonce des salaires de départ à 130 KF, avec des variables mensuels de 1 000 à 4 000 francs et une participation aux résultats du groupe. Chez Experian, on affiche une norme de démarrage à 110 KF. Chez d'autres, on n'affiche rien du tout. « Il ne faut pas faire de démagogie. Le fossé se creuse entre les sociétés de télémarketing et les outsourcers à plus forte valeur ajoutée », relève Nicolas Arib. Par ailleurs, il existe des corollaires entre la taille des sociétés et leur maturité dans la gestion des ressources humaines. Difficile en effet de revendiquer une politique d'évolution des carrières pour une entreprise de 200 salariés à temps plein. Impossible de concevoir une filière sans effet de taille. L'étendue des effectifs est la condition première à la diversité des métiers et des statuts.

LA PLACE DES RH DANS LES APPELS D'OFFRES


Malgré la faiblesse de certaines rémunérations, et par-delà les différences de niveau existant dans la profession (quand bien même, effectivement, celles-ci se combleraient), les entreprises, lorsqu'elles s'adressent aux prestataires, insisteraient plus que jamais sur la dimension ressources humaines. « Dans la réponse aux appels d'offres, nous détaillons le CV des formateurs, et décrivons le profil d'un certain nombre de responsables, sans oublier de mentionner le salaire des collaborateurs », note Nicolas Arib. Une perception du marché qui ne fait pas l'unanimité. Pour la directrice commerciale de H2A, on est non seulement loin d'une valorisation des ressources humaines dans la rédaction des appels d'offres, mais on s'en écarte chaque jour davantage. « Je vois des appels d'offres de 30 pages, dont cinq décrivent le menu contractuel, une demi-page les aspects ressources humaines et le reste toute la dimension technologique. L'accessoire prend de plus en plus de place sur l'essentiel », remarque Anne Bendler. Dans cette critique, qui trouve écho chez d'autres prestataires, les cabinets conseils ne sont pas épargnés, qui s'avèrent très sollicités par les entreprises pour jouer les intermédiaires auprès des outsourcers. Des consultants plus versés dans le concept que dans le pragmatique et qui serviraient en fait à leurs clients de paravent en matière sociale (la rédaction d'un cahier des charges constituant les prémices du risque social) et en termes d'image (la conceptualisation est toujours valorisante). Mais le développement du marché ne pourra se faire de façon viable si les ressources humaines sont d'abord un objet de crainte et, partant, de transfert. Or, ces derniers mois ont sans doute été les plus agités en matière de mouvements sociaux sur les centres d'appels. « La profession et le marché vont connaître, avant deux ans, de fréquents et d'importants conflits sociaux, avance Bernard Caïazzo, président de Call Center Alliance. La seule solution, en l'occurrence, c'est de déporter et de développer l'activité en province, où la situation est vingt fois moins tendue. Or, cela ne peut se faire que via l'outsourcing. » De fait, et par la force des choses, les entreprises développant d'importants services clients, à commencer par les trois plus importants que sont les opérateurs de téléphonie mobile, déploient tous leur activité en province. Et le concert des collectivités, régions, départements, villes, entame depuis quelques mois un chant des sirènes à l'attention des sociétés susceptibles de s'installer sur leurs terres. « Le meilleur moyen pour une collectivité de s'attaquer sérieusement et sûrement au marché, c'est d'avoir sur place un outsourcer, qui fasse en quelque sorte office d'incubateur », remarque Eric Dadian. L'outsourcer comme incubateur institutionnel, autrement dit comme relais entre la croissance d'un marché et le développement du tissu social, voici un beau projet pour une profession en manque d'image. A condition de respecter les règles.

Dix raisons d'externaliser


- Passage d'une logique de coûts fixes à une logique de coûts variables (tant en matière de ressources humaines qu'en termes technologiques, immobiliers et mobiliers). En interne, un contact téléphonique coûte environ 20 % plus cher. - Incapacité en interne à recruter, former, faire les bons choix technologiques, mettre en place les process adaptés dans un temps donné. L'outsourcing est souvent une solution de réactivité. - Opportunisme économique : l'entreprise réalise qu'elle rémunère ses téléconseillers au-dessus des prix du marché global de l'outsourcing. - Incapacité à gérer en interne la fluctuation des flux et à y affecter les ressources adaptées. - Impossibilité de gérer les crêtes de trafic. On parle alors d'outsourcing en écrêtage. - Apprentissage du call center. Une société pourra externaliser son centre d'appels le temps d'en comprendre les mécanismes et de les copier en interne afin de rapatrier les activités au bout d'un an ou deux. - Transfert du risque social : la gestion des équipes sur une activité aussi fluctuante qu'un centre d'appels est plus que délicate. Et les risques de mécontentement sont nombreux. - Le casse-tête des 35 heures, très délicates à mettre en oeuvre sur les centres d'appels. - La désignation et l'identification en interne d'un interlocuteur unique, qui, en tant que responsable de l'exploitation du centre, en sera le maître d'oeuvre. - Les évolutions de la technologie permettent aujourd'hui de déporter un service clients à l'extérieur tout en en conservant la totale maîtrise.

Partenariat et responsabilisation, des intentions aux actes


« La sous-traitance responsabilise le prestataire dès lors qu'on lui confie une mission, et pas seulement une tâche. Chez nous, les plateaux qui tournent le mieux sont ceux sur lesquels on a fixé des objectifs avec le client », souligne Nicolas Arib, consultant manager centres d'appels chez Experian. Cette responsabilisation des outsourcers, appelée de ses voeux par l'ensemble de la profession (du moins par tous ses acteurs sérieux), constitue sans doute une condition sine qua non du décollage annoncé de ce marché de l'externalisation. « Le partenariat réel, c'est quand on joue à fond la transparence, que l'on se dit ce qui va et ce qui ne va pas, les difficultés que l'on rencontre comme les bons résultats enregistrés, note Anne Bendler, directrice commerciale de H2A. Par-delà toute considération de sympathie ou d'antipathie. Et sans aucun compromis. » A cet égard, il est révélateur de noter que l'association "qui monte" sur le secteur des centres d'appels, jusqu'alors quasi exclusivement réservée aux représentants de call centers internalisés, s'ouvre désormais aux outsourcers. Depuis quatre mois en effet, l'AFRC (Association française des centres de relation clientèle) a souhaité s'ouvrir aux divers acteurs de ce marché, pour peu qu'ils présentent une réelle valeur ajoutée : collectivités locales, instituts et organismes de formation, outsourcers. Mais, pour ces derniers plus peut-être que pour les autres, il faudra montrer patte blanche. C'est-à-dire répondre à tous les critères qualitatifs, déontologiques et éthiques imposés par l'association. Mais aussi convaincre l'unanimité des quatre membres du bureau. Enfin, accepter d'acquitter la somme annuelle de 4 000 francs par personne adhérente (soit deux fois plus que pour les structures internalisées). L'AFRC, qui compte aujourd'hui une centaine de membres, devrait ainsi rapidement grossir ses effectifs.

Le marché européen de l'outsourcing


Selon le cabinet d'études britannique Datamonitor, le marché européen de l'outsourcing, qui s'élève à 46 milliards de francs, devrait plus que doubler dans les trois ans pour atteindre les 100 milliards en 2003. Parmi les secteurs les plus "externalisateurs", les télécoms, qui représentent d'ores et déjà 24 % du marché devant les services financiers (20 %) et l'industrie, la distribution, les produits de consommation (16 %). Suivent la technologie avec 13 % du marché, les services publics avec 10 %. Le secteur du voyage et du tourisme (5 %) et les services gouvernementaux (4 %) fermant la marche. Le cabinet d'études évalue à 74 000 le nombre de postes actuellement externalisés en Europe. Et estime qu'ils seront 127 000 fin 2003. Des chiffres qui traduisent, sur le terme, une baisse relative du taux de croissance de l'externalisation, celui-ci demeurant néanmoins toujours positif : 27 % en 1999, 22 % prévus cette année, 15 % fin 2001 et 9 % fin 2003. Toujours selon Datamonitor, le marché britannique reste le plus important, devant les marchés allemands et français qui connaissent les plus forts développements. Mais la pratique de l'outsourcing serait davantage acquise aux Etats-Unis, où elle représenterait environ 20 % du marché.

Entre "in" et "out", la (les) troisième(s) voie(s)


L'une des caractéristiques de l'externalisation se traduit par le dépassement de l'alternative exclusive : sous-traiter ou traiter en interne. Les choses, aujourd'hui, sont plus nuancées. Il est admis que l'on puisse d'une part externaliser une partie du service clients, d'autre part outsourcer provisoirement. « La meilleure manière de traiter en interne, c'est de commencer par outsourcer », lance Patrick Dubreil, P-dg de Téléperformance France. Développer les process, obtenir l'imprimatur de la maison mère quant à l'ensemble des options qui seront prises, recruter, former et mettre en place les équipes dans des délais d'autant plus brefs que l'entreprise connaît une forte croissance, faire les bons choix technologique... autant de savoir-faire qui sont rarement déployables dans leur totalité en interne. D'où la nécessité, bien souvent, a fortiori sur des grosses structures, de confier la conception, la construction et le lancement du centre d'appels à des professionnels. Les entreprises sont d'ailleurs de plus en plus nombreuses à faire ce choix dans le cadre d'une prestation à durée limitée, le temps du moins de stabiliser les process d'exploitation et de créer des référents. Intracall a traité un an durant la hot line de World on Line, avant que le fournisseur d'accès Internet se sente apte à gérer le service en interne. Ensuite, plusieurs options se font jour : le rapatriement global en interne, ou bien une appropriation plus progressive, via une première étape de mixité des équipes par exemple. « En général, dans ce type de configuration, l'internalisation se fait au bout de deux ans », souligne Patrick Dubreil. Chez Téléperformance, ce type d'approche fait l'objet d'une modélisation, où l'entreprise peut choisir les niveaux d'accompagnement dans le processus d'internalisation : aide en matière de ressources humaines (recrutement, formations initiale et continue), coaching, aide à l'achat technique, définition des process, constitution et gestion de la base de connaissances, scriptin... L'option du pré-outsourcing est celle qu'a retenue TPS pour le lancement de son activité service clients, concomitant au lancement de l'offre même de l'entreprise. Confiés à H2A, le montage et l'exploitation de la structure initiale se sont soldés, une année et demie plus tard, par un processus d'internalisation. Entre temps, les équipes avaient grossi de 40 à 250 personnes. « Il était d'emblée précisé dans le contrat que si le service correspondait aux attentes de notre client, il serait transféré à terme en interne, avec, pourquoi pas, l'embauche de nos équipes par TPS. Ce qui a été le cas », commente Anne Bendler, directrice commerciale de H2A.

Muriel Jaouën

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