Comment la SNCF joue la carte fidélisation
Si la SNCF n'a pas joué les pionniers en matière de fidélisation, elle a mis tous les atouts de son côté pour bâtir son programme relationnel Grand Voyageur. Lancé en 1999, et récent lauréat du Prix Icar 2000*, il se révèle à la fois complet et évolutif.
Je m'abonne
C'est en 1997 que s'est concrétisée la volonté de la SNCF de mettre en
place une véritable politique commerciale orientée clients avec, en premier
lieu, une démarche au niveau des tarifs. Une démarche à la fois de
simplification et de segmentation par cible (jeunes, seniors, à deux...).
Objectifs de la nouvelle gamme lancée à partir de mi-97 : rendre le train plus
souple, plus accessible et moins cher. Dans la même logique de segmentation, la
question de mettre en place un programme relationnel destiné à valoriser ses
"meilleurs" clients s'est posée début 98. Et, c'est après un an d'études et de
tests qu'a été lancé officiellement en juin 1999 le programme "Grand Voyageur",
suite à une décision prise par Guillaume Pépy et Mireille Faugère,
respectivement directeur général et directrice adjointe Grandes Lignes.
UNE DÉCISION STRATÉGIQUE
« Il s'agissait d'une décision
forte, éminemment stratégique, estime Sylvie Latour, responsable marketing
Grandes Lignes. Dans le sens où, culturellement, la SNCF est une entreprise
publique devant offrir les mêmes avantages, les mêmes tarifs, la même
accessibilité à tous. » Mais en analysant sa clientèle, la SNCF, qui se
préoccupait peu du "panier moyen" avant 1997, s'était rendue compte qu'un petit
nombre de clients réalisaient un chiffre d'affaires pour le moins conséquent :
5 % de clients représentant environ un tiers du chiffre d'affaires Grandes
Lignes. « Un enjeu considérable, commente Jérôme Laffon, responsable du
programme Grand Voyageur. D'autant plus qu'une partie de nos clients, qui nous
étaient anonymes, nous quittaient, ou risquaient de le faire, au profit de la
concurrence. » A noter que pour la SNCF, la notion de "meilleurs clients"
correspond à la fois aux voyageurs les plus fréquents, et comme pour toute
entreprise, à ceux qui ont le plus de potentiel, de valeur. En sachant
également que le programme mis en place n'est pas spécifiquement destiné à ceux
qui voyagent à titre professionnel et ne repose ni sur le motif de déplacement
ni sur le tarif ou le type de train. « Nous ne recherchons pas spécialement les
voyageurs TGV ou Corail, précise Jérôme Laffon. Le dénominateur commun, c'est
la fréquence de voyage et le budget train. » Une fréquence qui s'établit en
général à deux ou trois allers et retours par mois, ou une cinquantaine de
voyages par an. Même si la clientèle apparaissait a priori comme très
demandeuse d'un programme de fidélisation, la SNCF a tenu à s'entourer de
toutes les garanties nécessaires et à ne pas décalquer un programme existant
par ailleurs. « Nous avons eu la volonté de nous dire "si on y va, nous ne
pouvons pas nous tromper", explique Sylvie Latour. D'autre part, nous voulions
absolument que le réseau adhère à cette démarche. Il fallait lui donner envie
de valoriser ses clients et de vendre le programme. C'est pour cette raison que
toute la construction s'est effectuée avec des groupes témoins de vendeurs et
de contrôleurs, qui ont réagi à chaque avancée marketing. Et notamment au sein
de deux régions pilotes, Paris Sud-Est et Lyon. C'était d'autant plus important
qu'il s'agissait là d'une vraie rupture culturelle. » La construction du
programme a également été guidée par le fait que la clientèle, se sentant
anonyme, attendait clairement de la reconnaissance, au-delà de services
spécifiques.
UN PROGRAMME VOLONTAIREMENT PAYANT
Avant
le lancement officiel, une série de tests ont été menés entre avril et juin
1999 auprès d'environ 1 500 clients, essentiellement Paris et Lyon, qui
s'étaient déclarés volontaires pour expérimenter le programme. En parallèle, le
réseau a été mobilisé afin de faire remonter d'éventuels problèmes. Le tout
afin d'ajuster le positionnement marketing, de valider les dimensions
techniques, et de rectifier les points défaillants. Des tests avaient également
été menés en interne au mois de mars, en particulier au niveau du back-office.
Et, comme prévu, le lancement est intervenu en juin 1999. Première
caractéristique du programme Grand Voyageur : il s'agit d'un programme payant
(100 F pour trois ans), en raison de son caractère ciblé et de la volonté de la
SNCF de mettre en place une base de données très qualifiée. Une caractéristique
qui a été testée et n'a pas rencontré de freins particuliers. Le programme,
matérialisé par une carte, offre à la fois des services et des avantages qui,
pour certains, ont nécessité la mise en place de structures spécifiques.
Placement prioritaire par le contrôleur en cas de sur-réservation, souplesse
d'accès à bord, échange direct de réservation TGV sans passer par le guichet,
ces espaces dédiés constituent les premiers services immédiats destinés à
faciliter les voyages des adhérents. L'échange direct s'effectue en joignant la
"Ligne Directe Grand Voyageur", l'un des deux centres d'appels mis en place
pour le programme, qui permet également d'obtenir des informations, de réserver
et acheter des billets... A la différence du second centre, SNCF Grand Voyageur
Contact, qui traite les points techniques et administratifs du programme et est
sous-traité chez Experian, Ligne Directe est géré en interne. Quant aux espaces
dédiés, il s'agit de salons destinés à la détente (rafraîchissements,
magazines...) et au travail (téléphone, fax, photocopieuse...), présents dans 9
grandes gares françaises (10 en 2001 avec Marseille à l'occasion du TGV
Méditerranée) et accessibles sur simple présentation de la carte. Encore
dénommés Grand Voyageur Euraffaires, du nom de la carte destinée aux
professionnels (supprimée depuis au profit de Grand Voyageur), ils seront tous
rebaptisés Espace Grand Voyageur à partir de 2001. « Ces espaces sont très
importants, constate Jérôme Laffon, car ils constituent un plus tangible pour
les clients et ont un caractère très fidélisant. » Toujours au niveau des
services, la carte Grand Voyageur peut être utilisée comme moyen de paiement,
avec débit différé mensuel gratuit, auprès de la SNCF, si le client a choisi de
bénéficier de l'option paiement lors de son adhésion. Le programme permet par
ailleurs de bénéficier de cadeaux auprès de la SNCF même et d'avantages et/ou
de cadeaux auprès de partenaires. En ce qui concerne les cadeaux, il fonctionne
avec un système de points : un franc dépensé (au-delà de 50 F) en achats de
billets pour la France et certains trajets internationaux donnant droit à 1
point ; les points étant doublés en cas d'achats au plein tarif. Des points
peuvent également être acquis lors d'achats de coupons Fréquence, de cartes
12-25, Seniors, de prestations couchettes... et auprès de certains partenaires.
Pour pouvoir transformer ces points en cadeaux, il est tout d'abord nécessaire
de cumuler un minimum de 16 000 points, seuil à partir duquel le client obtient
le statut de "Très Grand Voyageur". Ce seuil atteint (une fois pour toutes), il
pourra obtenir des "billets-primes" gratuits ou des primes partenaires,
fonctions de son nombre de points. « Le choix de nos partenaires répond à une
logique, commente Jérôme Laffon. Ils sont toujours liés au domaine du voyage,
soit sous un aspect pratique (location de voiture, taxi, parking...), soit au
niveau de l'évasion (week-ends, baptême en montgolfière...). Sachant que nous
sommes sur un positionnement haut de gamme, pour offrir des cadeaux à valeur
ajoutée, mais non luxe. » « Aujourd'hui, nous constatons que ce sont les primes
SNCF qui sont les plus appréciées, ajoute Sylvie Latour. L'important, c'est
bien ce que l'entreprise est capable d'offrir à sa clientèle. »
VERS DES OFFRES ET UNE COMMUNICATION DE PLUS EN PLUS PERSONNALISÉES
La communication autour du programme a été mise au
point à la fois par l'équipe Grand Voyageur, forte de cinq personnes et
intégrée au sein de la direction marketing Grandes Lignes, et par Impiric qui
est intervenue sur tout l'habillage de la réflexion marketing. Elle s'est
appuyée pendant la période de test, sur des mailings auprès de la cible témoin,
puis, à partir de 1999 sur des mailings de recrutement ciblés. Depuis
février-mars 2000, c'est une véritable stratégie de communication externe qui a
été mise en place, avec de la PLV, de l'affichage en gares... Stratégie qui va
s'intensifier dans les mois à venir, avec en particulier des
publi-rédactionnels dans des supports grand public... Au niveau de la
fidélisation, l'adhérent reçoit un welcome pack contenant sa carte, un guide
lui présentant le fonctionnement et les avantages du programme, avec un système
de fiches réactualisables, et un aide-mémo. Il reçoit ensuite un relevé de
points trimestriel. Un magazine, Grands Voyageurs, lui est également adressé
trimestriellement. « C'est un véritable outil marketing qui a fait l'objet de
tests, explique Sylvie Latour. Il doit créer le lien avec le client Grand
Voyageur et être pour lui un instrument de reconnaissance. » Constitué de
rubriques d'informations, de dialogue clients-SNCF..., il est également le
support d'offres promotionnelles (6 à 8 par numéro) exclusives. S'ajoutent à ce
dispositif des opérations d'animation ciblées en fonction du comportement des
clients, des offres de parrainage... Par ailleurs, les adhérents disposent
d'informations sur les services Minitel de la SNCF et d'un site dédié au sein
du site général sncf.fr qui leur permet de consulter leur solde de points, de
réserver et acheter des billets, de connaître les promotions, d'avoir des
propositions exclusives, etc. L'objectif de l'équipe marketing Grand Voyageur
est désormais d'aller dans le sens d'une personnalisation accrue des services
et de la communication, avec une segmentation de plus en plus fine. Et ce,
grâce à l'exploitation en data mining de la BDD, gérée en interne et alimentée
d'abord par le très riche questionnaire comportemental d'adhésion puis par
l'enregistrement de toutes les transactions générées avec la carte. « Nous
sommes aujourd'hui à la toute première génération de ce programme, qui a été
conçu pour ne pas être statique mais dynamique, conclut Sylvie Latour. Début
2001, nous effectuerons un bilan global, au niveau de la perception des
services, des mécanismes, de la communication... Tout en constituant un panel
de Grands Voyageurs. Et de nouveaux services sont déjà prévus pour 2001. » *
Trophée organisé par IIR dans le cadre de son séminaire Intégrale Carte'2000,
parrainé par Customing et Marketing Direct et destiné à récompenser le meilleur
programme de fidélisation de l'année 1999 utilisant une carte. Outre la SNCF,
le jury de professionnels du marketing relationnel a nominé cette année Total
et le Club Méditerranée. Les précédents lauréats du Trophée Icar étaient, en
1998 le programme AGF Service et en 99 Crédit Lyonnais Avantages.
Grand Voyageur en chiffres
60 000 clients ont adhéré au programme à fin juin 2000. Dont 4 000 avaient acquis le statut de "Très Grand Voyageur". Plus de 1 400 voyages déjà offerts dans toute la France. Objectif à fin 2000 : 100 000 adhérents. Objectif à fin 2002 : environ 300 000 adhérents.