Recherche

« L'équation à résoudre : savoir rester un généraliste tout en devenant un multispécialiste »

Amorcées en 1998, les activités en ligne de La Redoute ont déterminé le basculement du vépéciste vers un modèle résolument multicanal. Dirigé depuis son lancement par Jean-Marie Boucher,le site e-commerce a réalisé une croissance record,de 80 %, en 2003. Explications.

Publié par le
Lecture
11 min
  • Imprimer

Comment êtes-vous arrivé à la direction du site de La Redoute ?


En 1998, alors que je dirigeais Orange Art, une web agency que j'avais cofondée, j'ai été débauché par Richard Simonin, ex-P-dg de La Redoute, qui m'a chargé d'assurer le développement du site e-commerce, sachant que, mis à part un site institutionnel, tout était à faire. Et c'est précisément ce qui m'a séduit.

Quel était le projet initial ?


A l'époque, la réflexion du groupe n'était pas tout à fait aboutie puisqu'il était difficile d'évaluer les promesses d'un marché encore embryonnaire. En dépit de ces incertitudes, on ne souhaitait pas, chez PPR, faire l'impasse sur ce canal de distribution. De mon côté, j'étais sûr du fort potentiel de développement du commerce électronique. Ma mission était simple : faire du site de La Redoute le leader incontesté des détaillants en ligne et l'implanter durablement.

Mission accomplie donc ?


En effet. Laredoute.fr est aujourd'hui le troisième site e-commerce en France, en termes de chiffre d'affaires, leader de sa catégorie. Les prévisions ont été largement dépassées et il n'y a plus de débat sur la pertinence de notre stratégie et de notre modèle.

La stratégie du multicanal a-t-elle atteint la maturité ?


Oui. L'âge des pionniers est définitivement révolu. On le voit bien car nous sommes passés d'une période d'installation du commerce électronique à une phase de rationalisation, caractérisée par la mise en place de process plus conformes aux structures de l'entreprise. L'intérêt de ce modèle économique réside dans sa structure de coûts. S'agissant majoritairement de coûts fixes, l'entreprise commence à engranger des gains spectaculaires, notamment en coûts unitaires, dès l'amortissement des investissements initiaux. Nous en sommes à ce stade depuis fin 2001.

L'héritage du savoir-faire en VAD a sans doute été déterminant, un facilitateur en quelque sorte…


Oui et non. Un site e-commerce, c'est une métaphore d'hypermarché, à la différence près que les frontières d'un magasin électronique sont floues. L'enjeu n'est donc pas de faire venir le chaland dans le magasin, mais d'aller à sa rencontre. Par ailleurs, ce que nous n'avions pas encore exploré en VAD, c'est l'évaluation des flux croisés, c'est-à-dire la contribution d'un canal au développement d'un autre. Ces croisements, s'ils sont bien gérés, doivent nécessairement engendrer une diminution des coûts, à relativement court terme , via une sur-fidélisation des clients. Autre savoir-faire que, typiquement, les vépécistes n'avaient pas, c'est la maîtrise des cycles de ventes en ligne. Sur Internet, ils sont potentiellement différents de ceux du catalogue. Les saisonnalités étant moins marquées en ligne, les possibilités de superposer une collection à une autre, une offre nouvelle à une ancienne, sont beaucoup plus vastes. Tout cela nous a conduits à innover, mais aussi à trop anticiper les besoins d'un marché trés étroit.

Quelles ont été les étapes clés du développement structurel de laredoute.fr ?


Pour amorcer les ventes en ligne, nous avons, dans un premier temps, misé sur le transfert de la clientèle, du catalogue au site internet. Puis, nous nous sommes focalisés sur le merchandising du site en nous contentant, au départ, de copier- coller le catalogue. Progressivement, nous avons procédé à une mise à niveau des services afin d'assurer la cohérence entre le catalogue et son homologue électronique, tout en développant les fonctionnalités spécifiques au Web. Parallèlement, nous avons précisé la stratégie en multicanal, le but étant d'arriver au point où un canal nourrirait naturellement l'autre, sans rupture. C'est tout le sens du “seamless” marketing, qui a demandé quatre ans de mise en place du seul point de vue informatique.

Comment organisez-vous la relation avec vos clients en ligne ?


Au départ, nous comptions nous appuyer sur le centre d'appels du catalogue. Mais, il a bien fallu se rendre à l'évidence, la gestion des mails n'était pas compatible avec celle des appels. Dès mai 1999, nous avons donc corrigé le tir en lançant le premier web call center dédié aux clients en ligne, Alloweb. Fin 2002, il répondait à 90 % des demandes en moins de 4 heures. Aujourd'hui, le délai moyen est de plus d'un jour.

Comment l'expliquez-vous ?


Par la montée en puissance de la demande. Actuellement, les ventes réalisées au cours d'une seule journée sont plus fortes que celles réalisées au cours des 18 premiers mois.

Quelle est la contribution d'Internet au chiffre d'affaires total ?


En 2003, le CA internet a atteint environ 150 millions d'euros, soit 13 % du CA total en France. Le plus intéressant, c'est le taux de croissance qui a atteint 80 % en 2003, par rapport à l'année précédente. En 2004, la croissance devrait se situer entre 50 et 60 %.

Comptez-vous accentuer la différenciation de la gestion du client ?


Ce débat est toujours d'actualité à La Redoute. En effet, même si le marketing papier reste plus puissant, certains segments de population pourraient être gérés uniquement en ligne. D'où mon idée, il y a 3 ans, de tester un panachage, on line, des temps commerciaux propres au catalogue et de les substituer par des temps commerciaux plus conformes à l'usage du site. Aujourd'hui, l'e-marketing est devenu un véritable relais du marketing et le site, l'écho du catalogue.

Combien de clients mixtes compte votre base ?


C'est difficile à évaluer dans la mesure où nous savons qu'à un moment donné, les clients doivent migrer d'un canal à l'autre. D'où l'intérêt d'une base de données unique. Actuellement, elle compte pas loin d'un million de contacts, dont 20 % viennent du Web et représentent un quart du chiffre d'affaires.

Les achats en ligne sont-ils plus élevés que ceux réalisés via le catalogue ?


Nettement. Mais, en réalité, ce qui change en ligne, ce sont les comportements. L'internaute est un client qui choisit ce canal sans subir trop de pression publicitaire ou commerciale. Il s'agit alors de recréer les conditions d'achat spécifiques et d'utiliser les nouvelles technologies comme un ciment pour éviter les ruptures entre les différents canaux. Et c'est l'enjeu de l'intégration du Web dans les métiers de base.

Le développement de l'ADSL contribue-t-il à une montée en puissance des achats en ligne ?


Ce que nous savons, c'est qu'en mai 2003, 40 % de nos clients bénéficiaient d'une connexion rapide. Mais, plus que le haut débit, c'est la connexion permanente à la maison qui favorise les occasions d'achats parce que, au sein d'un même foyer, tous les membres de la famille vont, tôt ou tard, passer à l'acte beaucoup plus facilement.

Le panier moyen en ligne est-il plus élevé que celui du catalogue ?


S'il a été plus élevé de 25 % en moyenne pendant longtemps, nous constatons déjà une érosion, sans doute attribuable à l'accoutumance. On fait des achats moins importants mais plus souvent. Actuellement, le panier moyen se situe autour de 130 euros contre 150 auparavant.

Quelles sont les actions marketing à l'origine des performances du site


La politique produit et commerciale ainsi que l'animation permanente du site restent les leviers phares pour la dynamique des ventes. A cela s'ajoutent des exclusivités spécifiques à Internet, qui nous permettent d'explorer de nouvelles catégories de produits ou de services, comme cela a été le cas avec Le Diet ou des offres commerciales centrées sur un produit unique, ce que l'on ne ferait pas en mailing papier. Le but est aussi d'explorer de nouveaux modes de consommation. C'est cette politique qui nous a conduits à lancer Redoute Voyages et Kiosque Redoute, un service de vente d'abonnements et de presse au numéro.

Quelles sont les limites de cette politique d'extension ?


L'extension de gamme est un débat permanent, de même que la diversification sur des offres inédites. En théorie, il n'y a pas de limites, si ce n'est la législation et votre territoire de marque. Sans oublier que nous devons absolument maintenir l'existence de certaines catégories de produits comme la mode féminine qui est un segment identitaire chez Redoute. Or, le site web, quelle que soit son évolution, ne doit pas décevoir ni trahir sa vocation d'origine, ni la marque. D'où la nécessité de rester leader du textile, notre réputation auprès de nos clients étant étroitement liée à cette gamme. La diversification de l‘offre se fait de préférence dans les attributs de la marque. Nous conservons les catégories historiques sans nous priver d'exploiter de nouvelles pistes comme les produits électroniques et le voyage, qui nous permettent de toucher une nouvelle population. L'équation à résoudre, c'est de savoir rester un généraliste tout en devenant un multispécialiste, capable de s'étendre. Donc, les catégories peu développées sont celles où nous ne sommes pas crédibles.

Jusqu'où trackez-vous le comportement de vos visiteurs ?


L'e-tracking n'est pas très sophistiqué, mais nous surveillons les comportements d'achats afin d'obtenir des informations capitales pour notre métier, à savoir qui achète quoi, quel a été le levier déclencheur. Pour le moment, nous n'allons pas plus loin car des dispositifs plus élaborés supposent des investissements conséquents, qu'il faut aussi savoir gérer pour en tirer de réels profits. En fait, jusqu'ici, nous avons dégagé des tendances avec le souci de récupérer des informations cruciales, telles que type de canal, comportement multicanal ou pas, historique des achats réalisés, qui nous permettent d'avoir une vision transversale du client.

Et le marketing direct là-dedans ?


nous misons sur l'e-mailing en nous focalisant sur notre newsletter. Le taux de transformation moyen sur le site dépasse largement les 15 %, notamment dopé par l'e-mailing tout au long de la saison. Ce taux peut sembler surprenant, mais je précise que c'est propre à la VAD. A l'époque du Minitel, les taux de transformation atteignaient jusqu'à 80 %. Si on isole cet effet VPC, la transformation reste élevée, au-dessus de 6 % avec des taux de réponse en e-mailing au-dessus de la moyenne.

Constatez-vous un phénomène d'érosion en e-mailing ?


Non, parce que nous sommes très attentifs aux effets négatifs de l'excès de pression. Notre usage, jusqu'à présent, est de ne pas envoyer plus de 2,5 à 3 e-mails par mois par client.

Comment développez-vous votre audience ?


Par un mix visibilité : notoriété, présence de la marque sur les grands carrefours d'audience et, plus récemment, l'affiliation ou le référencement promotionnel avec Overture et Espotting. Ces techniques se situent dans la fourchette haute des solutions les plus efficaces et les plus utiles, surtout moins coûteuses que l'achat de fichiers. Enfin, le référencement dans les moteurs de comparaison de prix. Les statistiques sont formelles : un cinquième des internautes arrivent par ce biais. Mais ces outils ont aussi des limites. On peut facilement les manipuler en jouant, par exemple, sur quelques promotions qui ne sont plus disponibles au moment où l'internaute les sélectionnent mais qui permettent au marchand d'arriver en tête de liste de réponse.

L'entreprise


Laredoute.fr Lancement en 1998. 1,5 million de visiteurs (décembre 2003). 2000 : 12,8 ME de CA, soit 1,5 % du CA total France. 2001 : 38 ME (3,8 %). 2002 : 84 ME (7,8 %). 2003 : 150 ME (13 %). Parts du marché e-commerce B to C : 2,6 % en 2001, 3,5 % en 2002, 4,2 % en 2003.

Nathalie Carmeni

S'abonner
au magazine
Se connecter
Retour haut de page