Vers un design transgressif…
Aprés la vague du principe de précaution, nous entrons dans celle des contrôles et des limitations en tout genre… Nous sommes dans l'ère de la tolérance zéro ! Une tendance à la transgression exprimée par le design, serait-elle entrain d'émerger ?
“Fumer tue”. Cette phrase choc ainsi que quatorze autres, toutes aussi
explicites sur les méfaits du tabac, s'affichent désormais en format géant sur
tous les paquets de cigarettes. Ces libellés morbides sont inscrits en grosses
lettres noires sur fond blanc et encadrés par un épais filet noir également. Le
législateur européen a bien fait son travail… Fumeurs et non-fumeurs, personne
ne peut passer à côté de l'avertissement, on ne voit que ça ! Ces pavés
informatifs, destinés à préserver la santé publique, ont un impact visuel
souvent beaucoup plus fort que celui de la marque et du décor de son
packaging. Il faut dire que Raymond Loewy, Jacno, et autres designers n'avaient
pas créé le graphisme des étuis de cigarettes en tenant compte de cette
contrainte initiale. Après la mise en application de cette mesure, des
questions se posent. Nos hommes de loi n'ont-ils pas été trop loin en imposant
une contrainte graphique aussi forte et normée ? N'ont-ils pas joué les
designers sans le vouloir et créé un nouveau code visuel de communication
propice à tous les détournements, pour faire passer des messages forts, voire
anxiogènes ? Les premiers exemples d'appropriation apparaissent. Courant
décembre 2003, des annonces presse et des affichettes déclaraient “Manger tue”,
inscrit dans la même typographie, en noir sur fond blanc, avec un même cadre
noir. Il s'agissait en fait d'une campagne de publicité pour le numéro 686-687
du magazine Courrier International. La couverture du journal était construite à
la manière d'un paquet de cigarettes, avec comme message, le titre d'un article
de 6 pages sur les méfaits de la “mal-bouffe”. Il paraît que la mauvaise
nourriture tuerait plus que le tabagisme… La marque Xylophène, spécialiste des
traitements pour bois, vient d'utiliser le même principe graphique pour sa
communication : “Traitez vos bois avant qu'il ne soit trop tard”, peut-on lire
en bas de ses frontons promotionnels et balisages linéaires. Le message est
clair, les traitements Xylophène tuent eux aussi !
Démultiplication des copies…
La reconnaissance immédiate de ce principe graphique
s'apparente à celle de l'écriture de Ben. Nous retrouvons aujourd'hui cette
calligraphie enfantine déclinée sur une multitude de supports dans un grand
nombre de boutiques de cadeaux et de souvenirs. Les objets dérivés se
multiplient, ils portent leur lot de messages humoristiques qui restent
néanmoins toujours politiquement corrects. A l'instar de l'exploitation
systématique de l'œuvre de Ben, il y a fort à parier que nous verrons bientôt
un grand nombre d'objets et de vêtements qui porteront des sentences, beaucoup
plus provocatrices, inscrites suivant le même modèle graphique que les paquets
de cigarettes. Et devenir très rapidement un principe d'expression graphique à
la mode… Côté packaging, apparition de quelques nouveautés qui jouent
délibérément le registre de la transgression. Le produit américain “Stacked
Style”, par exemple. Il s'agit de petits flacons de la taille d'une cigarette
qui contiennent de l'huile parfumée. Ils sont conditionnés par vingt dans un
étui de cigarettes “flip-top-box”. Leur nom : les Scentarettes, “tobacco free”
évidemment ! La consommation d'alcool est, elle aussi, à juste titre, largement
montrée du doigt ces derniers temps. Désormais, si nous souhaitons prendre le
volant, nous ne sommes pas loin de la belle époque de la prohibition. Nul doute
que cette nouvelle restriction provoque quelques réactions de résistance. En
signe de protestation, ils peuvent toujours porter autour du cou la bouteille
allemande de Ziel-Wasser.Plus que transgressives, certaines de ces créations se
montrent provocantes. Elles sont les premiers signes annonciateurs d'une
nouvelle tendance. Celle d'un design plus rebelle, au service d'une forme de
contestation et d'insoumission.