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Un pavé dans la vitrine

Sylvie Nerson Rousseau n'a pas le ton patelin, ni le physique "doltoide" qui seyent à certaines de ses consoeurs. Sa double pratique de psychanalyste en cabinet et de psychologue clinicienne à la maison d'arrêt de la Santé lui ont inspiré un essai décapant "Le Divan dans la vitrine"*. Elle n'y va pas de paroles mortes sur la confusion ambiante entre "psy" de tous crins, sur les dérives dangereuses pour le sujet du marketing et de la publicité.

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Le sous-titre de votre essai est "La psychanalyse à tort et à travers". Pourquoi ?


Nous vivons dans un bruit de fond cacophonique qui mêle allégrement sans les spécifier la psychiatrie, la psychologie et la psychanalyse. C'est ce que j'appelle la "mixture psy". Le divan "de la vitrine", c'est le divan exhibé pour cacher sa réalité véritable. L'autre, ne promet rien. Il maintient une exigence de tension entre le possible et l'impossible, entre l'affectif et le rationnel, entre le point de vue identitaire et la prétention à l'objectivité absolue.

Y a -t-il un marketing de l'inconscient ?


Le marketing utilise de façon fallacieuse des notions, des idées remastiquées indéfiniment pour susciter des besoins et pour promouvoir des objets censés y répondre. C'est un discours qui méconnaît la théorie et la pratique de la psychanalyse. Penser que l'on est en mesure d'identifier les besoins des individus, de révéler leur part cachée et d'y répondre par des produits, participe à la fois du cafouillage, de l'imposture et de la manipulation. C'est faire croire que le besoin et le désir, c'est pareil. Par un tour de passe-passe, désir et besoin se confondraient en faveur d'une libération du sujet inventée de toutes pièces qui se réduirait à la consommation. Le marketing via la publicité vante des objets et services en les faisant valoir comme une prime narcissique.

Vous fustigez la publicité. Que met-elle en danger ?


La publicité prône une modélisation du corps humain qui découle du statut de marchandise où elle l'a placé. Elle brouille la frontière entre l'imaginaire et la réalité. Certains délits comme le harcèlement sexuel, ou, dans un autre registre, la pratique abusive de la chirurgie esthétique que je préfère appeler correctrice, sont parfois liés à cette perte de repères.

Certains objets améliorent pourtant la vie quotidienne ?


Oui, s'ils ne sont pas conçus uniquement pour alimenter les duperies de la mode. On a essayé de faire croire à la libération des femmes par le cumul d'objets ménagers. Leur aliénation et leur soumission n'en ont pas pour autant disparu. Les endettements, qu'ils ont entraînés, ont illustré que le bonheur lié à la possession d'objets n'était pas pour demain. Le substitut de soi-même par le faire faire au robot ménager est devenu une représentation de la liberté. Faire est considéré comme aliénant. La jouissance n'est plus dans l'action mais déplacée dans la consommation. Déjà notre mode de vie maltraite notre corps. Les pulsions ne se subliment plus dans le faire comme l'artisanat. Ce qui ne veut pas dire qu'il faille retourner à cette époque (rires). Aujourd'hui, la pulsion est stockée. Elle se décharge de manière compulsive dans des prothèses corporelles où le corps est mis à mal. Nous surutilisons ces prothèses dans une nouvelle domesticité électrique et électronique où la créativité du corps n'est plus sollicitée.

Justement, que devient le corps ?


L'image de soi devient celle que le marketing lui donne, l'accès à une conformité. C'est la modélisation qui prime. Vous avez vu la campagne de pub Renault avec le slogan "Offrez-vous une Clio thérapie". Le message subliminaire en est : "Mon-trez- ce que vous valez avec cet objet qui est à l'image de vous-même". C'est l'objet qui mérite l'être humain et va jusqu'à le soigner.

En quoi réside l'essence de la psychanalyse ?


La psychanalyse ne cherche pas à conformer. Elle vise la plus grande proximité et à permettre à chacun de se réconcilier avec sa singularité. L'être humain est contraire à la morale. La psychanalyse permet de regarder en face ses deux composantes à la fois destructrices et constructrices. Je me méfierai toujours de l'exaltation de l'image de l'homme unifié. Le désir de l'être humain est contradictoire.

La psychanalyse est douée d'une responsabilité face à la société. Pourtant elle est plutôt muette ?


Face au pillage de la psychanalyse, certains de mes confrères se drapent dans un silence superbe. Je les comprends mais ce n'est pas ma position. Les relations entre l'individu et le groupe, la rencontre des pulsions avec la culture sont au coeur de mon travail.

Les émissions de télévision aident-elles à la compréhension de la psychanalyse ?


Ce sont des grands messes de la démagogie où les protagonistes se décernent mutuellement des satisfecit. J'ai participé récemment à une émission dont je tairai le nom. J'y suis restée volontairement obscure et théorique, car il n'était pas possible de s'exprimer avec une rigueur minimum dans cette cacophonie de "psy" en tous genres.

Que révèle une analyse ?


Elle permet de reconnaître notre inconfort permanent. Une cure met à mal nos constructions, nos balises. La garantie que nous essayons de donner à nos patients est celle de s'accepter subjectivement, de trouver leur vérité subjective. C'est un travail qui se refait en permanence car il est d'essence créative.

Mais c'est tout de même très long. Une analyse dure plusieurs année... ?


A cet argument, je réponds que c'est la vie qui dure trop longtemps (rires). Il ne s'agit pas ni de rendre quelqu'un fonctionnel et apte au service. Ni de "faire le tour de la question" comme on ferait le ménage, ça n'a rien à voir avec une analyse. La vie n'est pas livrée avec un mode d'emploi. Nous sommes constitués par du manque, c'est ce qui nous permet de penser, d'imaginer, d'avoir un projet. Les journaux nous le racontent : "Il a tout pour être heureux, pourtant il est déprimé." Le bonheur ne s'achète pas. Il n'y a pas d'objet comblant. Dans l'énorme vague d'utilitarisme et de conformisme qui déferle sur notre société, la psychanalyse doit fortifier sa force subversive. * Le Divan dans la vitrine de Sylvie Nerson Rousseau aux éditions du Nil.

Stirésius

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