Radio : à chacun son format d'écoute
L'effervescence qui règne dans les radios rappelle celle des années 80. Vingt-cinq ans après l'explosion de la bande FM, c'est cette fois le numérique qui fait souffler un vent de liberté sur les ondes. Une liberté qui découle de l'arrivée de nouveaux modes d'accès au contenu.
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Après avoir pris la parole tout au long des émissions de libre antenne, les auditeurs vont-ils bientôt carrément prendre le pouvoir en façonnant la radio à leur guise ? Le discours ambiant fait, en effet, une large place au développement des modes d'accès au contenu qui permettent une écoute fragmentée et personnalisée du média. Et chacun d'avoir les yeux braqués sur l'évolution, encore marginale, de la consommation des podcasts, ces fichiers sonores téléchargeables sur le Net et transférables sur un baladeur numérique, ou encore des web radios. « Avec le numérique qui va faire exploser nos tuyaux, on vit une nouvelle page de l'histoire de la radio absolument fabuleuse où c'est le consommateur qui va imposer les modèles », s'enthousiasme Roberto Ciurleo, directeur de la marque et des programmes de NRJ. Une effervescence qui tranche cependant avec le contexte plutôt gris de la consommation globale. La dernière vague Médiamétrie pointait, en effet, un nouveau recul de 1,1 point d'audience cumulée de la radio (Médiamétrie 126 000 Radio, janvier-mars 2006 / janvier-mars 2005). Ce résultat est d'autant plus souligné qu'il s'inscrit dans une continuité du tassement de la durée d'écoute individuelle des Français de plus de 15 ans qui, si elle se maintient à un niveau élevé, est quand même passée de 158 minutes en 2002 à 148 minutes en 2005.
Diminution de l'écoute
“Le média radio se maintient à des niveaux de couverture et de durée d'écoute élevés, mais la légère érosion d'un média caractérisé par la force de l'habitude et l'ancrage dans le quotidien des individus interpelle”, note-t-on, par exemple, chez OMD qui a réalisé récemment une étude sur la radio et les nouveaux médias. Les stations sont d'autant plus poussées à réagir que cette tendance concerne particulièrement les jeunes, grand zappeurs de médias. Selon Consojunior, si 40 % des 15-19 ans déclarent écouter la radio quel que soit l'endroit où ils se trouvent, ils l'écoutent, en revanche, moins longtemps qu'avant (110 minutes d'écoute moyenne quotidienne en décembre 2005 contre 121 minutes en décembre 2003 - Médiamétrie 126 000 Radio, novembre-décembre 2005 vs novembre-décembre 2003, ensemble 15-19 ans, lundi-vendredi). Cette diminution de l'écoute se fait particulièrement sentir après 20 h, les jeunes préférant consacrer une partie de leur soirée à surfer sur le Web, tchater, répondre à leurs mails, etc. « Les jeunes écoutent effectivement la radio un peu moins longtemps mais, en revanche, plus ils sont sur le Web, plus ils sont nombreux à l'écouter », relève François Dufresne,directeur du marketing de NRJ Group. Ce dernier s'appuie notamment sur la nouvelle cible des internautes assidus créée par Médiamétrie et qui montre que les équipés haut débit constituent 90,3 % de l'audience cumulée des 13-24 ans, contre 88 % pour la moyenne de cette tranche d'âge. La dernière étude réalisée par Ipsos pour Yahoo !, dans le cadre de son panel exclusif “i-generation” destiné à décrypter les attentes et comportements des 16-34 ans, montre, de son côté, que la radio en ligne touche déjà un grand nombre d'entre eux (38 %). Centrée sur le rapport de la i-generation à la musique, elle confirme qu'ils sont également parmi les plus équipés en lecteurs portables, un outil de mobilité plébiscité à 45 %. Les 16-18 ans en sont les plus adeptes, 58 % d'entre eux les utilisant pour écouter de la musique. L'évolution des Etats-Unis est également suivie de très près par les grands acteurs du média. Selon une étude de Bridge ratings, à la radio écoutée classiquement, les 12-24 ans sont 85 % à préférer leur lecteur MP3 et 54 % l'écoutent sur Internet. Une tendance forte, mais qui ne doit pas masquer le fait que la radio séduit toujours 230 millions d'auditeurs chaque semaine et génère un chiffre d'affaires de 20 milliards de dollars.
Une nouvelle offre de web radios
En France, cette évolution du comportement de la génération née ou grandie avec Internet est particulièrement suivie de près par les stations musicales. Si le phénomène demeure encore limité en France, elles ne peuvent pas ignorer, par exemple, l'émergence de ces groupes musicaux propulsés directement par le Net sans passer par la case radio. « On observe effectivement un début de transformation des habitudes de consommation de la musique via le média radio mais il va falloir prendre le temps d'observer, attendre encore trois ou quatre vagues Médiamétrie avant de commencer à crier au loup, tempère Christophe Sabot, directeur général du pôle FM de Lagardère Active Publicité. Avant de télécharger des fichiers, il faut les découvrir et la radio reste le média de la découverte via l'ensemble des différentes plates-formes dont disposent les grands réseaux FM. » Le groupe s'est toutefois déjà positionné en mettant en place un bouquet de web radios sur le site internet europe2.fr. Six fonctionnent déjà depuis fin mai, axées sur des genres bien spécifiques : Rock alternative, Rock Classics 70, Rock US 80, Rock UK 80, Newave et Nouvelle Scène dédiée à la nouvelle chanson française. Poids lourd des musicales, NRJ vient également de lancer trois nouvelles web radios sur le site NRJ.fr (Master Mix dédiée au hip-hop et au R'n'B, Hit consacrée aux nouveautés françaises et internationales et Pop Rock). « Cela va dans le sens de l'histoire, la radio ne peut plus exister sans les contenus associés », estime Roberto Ciurleo. Pour les mêmes raisons, le patron de NRJ mise également sur les podcasts en ligne depuis le 3 avril dernier. Les auditeurs de NRJ peuvent ainsi télécharger le best of du Morning, de l'émission Sans Interdit et de l'émission de libre antenne de la nuit de T-Miss ainsi que des interviews d'artistes.
Blogs ou podcasts ?
Dans ce domaine, Skyrock fait étonnamment exception à la règle. Pierre Bellanger, créateur et patron de la station, multiplie, en effet, les déclarations en affirmant ne pas croire en l'avenir des podcasts. Skyrock préfère miser sur des canaux comme les blogs, une manne grâce à laquelle Skyrock.fr se classe en tête des sites audiovisuels, avec près de 124 millions de visites recensées par Médiamétrie-eStat-Cyberstat en avril dernier. Un record au regard de la position du second site de la catégorie, celui d'Eurosport, crédité de “seulement” 12,5 millions de visites. Skyrock revendique également quelque quatre millions d'auditeurs sur le Web. En matière de podcast, NRJ, Europe 2 comme les autres stations musicales qui se sont lancées dans l'aventure, se heurtent vite à la réglementation sur le téléchargement musical qui les limite dans le contenu à mettre en ligne. « C'est un peu la revanche des radios de contenus sur les radios de flux et une super campagne de promotion pour les généralistes », sourit Valérie Debord, directrice du département radio de MPG. Un avis qui ne manquera pas de faire plaisir à Radio France qui communique sur le thème “Podcast Radio France, podcastez bien plus qu'une radio”. Ou encore à Marc Gonnet, responsable du marketing antenne d'Europe 1. « Nous sommes éditeurs de contenus et, à ce titre, nous pouvons tout mettre en ligne pour proposer l'antenne autrement et à tout moment, dit-il. Nous sommes ainsi les seuls à pouvoir proposer une réécoute totale avec un mois de profondeur. » Cette orientation permet également à la station de marquer sa différence dans les 22 chaînes de podcast qu'elle propose depuis plusieurs mois. « Nous les avons conçues comme un prolongement naturel de notre métier d'éditeur en commençant par des chaînes info à un moment où personne n'avait investi ce secteur, raconte Hervé Lenoir, responsable de l'interactivité. C'est à la fois un outil de liberté pour les auditeurs mais également un moyen de leur parler d'Europe 1 différemment, chaque podcast ayant, par exemple, un habillage spécifique. » Un outil qui a un prix, car si les coûts fixes restent faibles pour les grandes radios déjà passées au numérique, le podcast s'avère gourmand en bande passante.
Elargir la mesure d'audience
« Les radios se retrouvent un peu dans la situation des pionniers d'Internet, car si les coûts technologiques sont importants, les revenus sont pour l'instant faibles », note Olivier Goulet, directeur du département expertise et recherche de KR Média. Sur le plan purement publicitaire, la commercialisation des podcasts demeure, en effet, à l'état embryonnaire. « On aurait pu croire qu'il y aurait un engouement lié à la nouveauté mais le marché ne se développe pas vraiment, confirme Valérie Debord. C'est un support relativement cher pour une faible puissance. » Et Olivier Goulet d'ajouter : « La délinéarisation et tout ce qui permet d'aller au plus fin du ciblage est très intéressant mais il y a une limite à ce phénomène, la mesure d'audience.»
Analyser l'usage de la radio
Les comportements émergents des consommateurs de médias sont, en effet, encore assez peu appréhendés dans les études d'audience radio au plus grand dam des principaux intéressés comme Marc Gonnet qui n'hésite pas à parler de « démonétisation de l'audience en l'état actuel de la mesure ». Médiamétrie a ainsi commencé à réagir en lançant une étude approfondie sur l'équipement radio. « Nous devons nous adapter en permanence. C'est pourquoi nous avons mis au point un nouveau questionnaire destiné à détailler l'ensemble des équipements permettant de recevoir la radio et d'analyser l'usage qui en est fait », explique Emmanuelle Le Goff, directrice commerciale de Médiamétrie. Le questionnaire intègre ainsi des questions concernant la détention d'appareils comme les baladeurs MP3, téléphones mobiles ou ordinateurs connectés à Internet. Du côté des régies en charge de commercialiser les extensions numériques de l'antenne, du site aux podcasts, chacun peaufine une organisation la plus adaptée possible. « Jusqu'à présent, la radio était achetée sans s'intéresser réellement au contenu mais on est arrivé à la limite du système qui consistait à être dans un marché de me too, acheté le moins cher possible, relève Michel Cacouault, directeur général d'IP. Cette valorisation du contenu passe par des propositions différenciées, c'est en ce sens que nous sommes en train de constituer des régies spécifiquement dédiées au Web et aux podcasts.»
« Passer le tournant du numérique »
« Avec ces nouvelles manières de consommer, la radio est dans un contexte très intimiste, une démarche très personnelle qui implique de proposer des développements commerciaux différents », ajoute Kevin Benharrats, directeur général adjoint d'IP. C'est pour aller dans ce sens que la régie a déjà lancé Triple Play RTL, une offre “on air, on line et on pod” qui consiste en un pack de dix messages quotidiens sur RTL, une proposition de mégabannière en home page et un habillage des pages d'information du site RTL.fr et un billboard exclusif de 10 secondes en entrée et sortie du podcast RTL. « On vend la radio sur un autre modèle dans le sens où c'est la marque qui prime d'abord et avant tout et pour cela on travaille à quatre mains avec l'antenne, raconte de son côté Rodolphe Pelosse, directeur commercial du département web de Lagardère Active Publicité. Les annonceurs sont à l'écoute car cela répond à leur besoin d'être présents différemment auprès de cibles volatiles.» Des annonceurs qui répondent toujours globalement “présent” au média. En avril dernier, selon Yacast, le chiffre d'affaires publicitaire affichait une progression de 7,3 %, dont 15,6 % pour les généralistes et 3 % pour les FM musicales, et une hausse de 10,7 % au total du premier trimestre. « Sa valeur d'usage est toujours extrêmement forte, peu de médias ont la capacité de coller à cette mobilité du consommateur dont on parle tant. Il lui faut maintenant passer le tournant du numérique, un tournant délicat », estime Olivier Goulet.
D'autres déploiements sont à venir
L'effervescence qui règne dans les régies comme dans les studios d'enregistrement devrait continuer sur le même rythme dans les mois à venir au fil des discussions sur la norme numérique. Le déploiement plus large de la TNT l'an prochain et la possibilité d'écoute de la radio via le tuner est également un axe d'extension suivi de très près. « Cela permettra de toucher un nouveau public que nous ne rencontrons pas forcément via la FM ou le Net », souligne Christophe Sabot. Comme le résume Valérie Debord : « On est vraiment à la croisée de plein de chemins sans avoir aucune idée de l'endroit où ils mènent. Beaucoup de choses sont encore très en amont. Atention à ne pas exagérer les phénomènes.»
Oui FM élargit son bassin d'audience
Quand on a la “rock attitude”, être à la pointe des nouvelles technologies est quasiment un passage obligé. Depuis quelques semaines, Oui FM a ainsi élargi sa palette de modes de diffusion en concluant un accord avec l'opérateur de téléphonie mobile Orange. « Comme le Net, la télévision par câble, satellite et ADSL qui sont déjà nos relais de diffusion, le mobile fait partie des technologies indispensables pour nous permettre de toucher de nouveaux publics et d'être écoutés au-delà de la seule région parisienne », explique François Bardin, responsable de la communication et du Web. Créée en 1987, la radio s'est, dès le départ, positionnée sur la diffusion de programmes 100 % rock sur la seule Ile-de-France. Le site ouifm.fr, créé en 1995, générait en mars dernier 107 000 visiteurs uniques (Nielsen//NetRatings, Home&work) et 1,2 million de pages vues avec publicité (AdSolution). « 80 % de nos internautes ont entre 15 et 34 ans, dont 37 % entre 25 et 34 ans », précise François Bardin. Qui indique : « Ils peuvent y écouter la radio musicale du groupe Virgin en live ou choisir de télécharger une partie de l'antenne au format MP3 via les podcasts lancés depuis novembre dernier, en grande partie à la demande des auditeurs de la station comme cela avait déjà été le cas pour notre lancement sur la Freebox.» Cinq émissions sont disponibles au format podcast, dont la chronique satirique de Didier Porte sur la télévision et le Zebra Mix de DJ Zebra. Fin avril, quatre apparaissaient dans le top 100 I-Tunes des podcasts qui comptent le plus d'abonnés, relève-t-on au département de-France de Lagardère Active Publicité, en charge de la commercialisation de ouifm.fr. « Le podcast est plus une révolution pour les gens de radio que pour les internautes car il nous oblige à rompre avec la notion de flux, à réfléchir au contenu, aux données associées, estime François Bardin. Sinon c'est essentiellement une commodité apportée par un support très pratique mais qui reste du téléchargement.» Et d'ajouter : « La priorité est avant tout de répondre aux exigences en matière d'offre musicale qui sont de plus en plus fortes.»
L'été sera chaud
« Les radios ont cassé les prix cet été. C'était vraiment l'occasion à ne pas manquer et qui nous permet de réaliser une campagne publicitaire originale pour nos marques comme pour le marché du capillaire », se félicite Olivier Dupont, directeur de la division grand public d'Eugène Perma. Du 15 juillet au 15 août prochains, le groupe communiquera ainsi sur les ondes pour soutenir à la fois le lancement de deux nouvelles lignes de coloration et de soins Keranove Mineralogy et d'une nouvelle gamme de shampooings cheveux et corps pour homme Pétrole Hahn à travers un plan puissant en termes de couverture et de répétition. Eugène Perma a, en effet, retenu les offres publicitaires proposées par IP et NRJ Régies à l'occasion de la période estivale. Baptisée Easy Summer, la première consiste en un pack de 1 440 messages, soit 15 messages diffués par jour, du 15 juillet au 15 août, sur les antennes de RTL, RMC et Sud Radio (150 000 euros nets sur la base de 30 secondes, hors frais de mise à l'antenne), une offre limitée à 15 packs. La seconde, appelée Topless, s'échelonne du 17 juillet au 20 août 2006 et propose la diffusion de 100 spots sur chacune des cinq radios de NRJ Régies (NRJ, Nostalgie, Chérie FM, Rire & Chansons et MFM) pour un investissement de 150 000 euros nets. « Easy Summer est une offre simple, massive, à la clé d'entrée relativement accessible pour permettre à de nouveaux annonceurs de tester le média », explique Kevin Benharrats, directeur général adjoint d'IP. La régie commercialise également Summer Music, une offre centrée sur deux stations musicales, Fun Radio et RTL2. L'an dernier, selon Yacast, au cours des trois mois d'été, les investissements dévolus au média radio étaient en progression de 4,5 %.