Quels remèdes pour soigner la marque ?
Morosité ambiante, montée des premiers prix, lassitude du marketing de masse… Les marques nationales doivent mieux se positionner, peaufiner leur identité. Bref, justifier un différentiel de prix afin de valoriser leur image auprès d'un consommateur saturé.
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Si les vraies causes de la maladie restent à définir, le diagnostic, lui, est
sans appel. La marque est malade. Gravement malade.
Les consommateurs ne sont plus séduits par ses atouts, ils refusent de payer
son supplément “d'âme”, son supplément de prix, leur préférant tout simplement
le produit. Preuves s'il en est, les nombreuses études sur le sujet. La
livraison 2005 de l'étude Megabrand/TNS Sofres révèle ainsi que 87 % des
Français attachent plus d'importance aux caractéristiques des produits qu'ils
achètent qu'à la marque qui les symbolise. Pire, 19 % des Français revendiquent
le fait qu'ils rejettent clairement toutes les valeurs de la marque et 24 % se
déclarent indifférents. « Au final, ce sont 43 % des Français qui ne
s'intéressent plus aux marques, soit près de la moitié de la population »,
commente Babette Leforestier, directrice du pôle Marketing Intelligence de TNS
Media Intelligence. Du coup, cabinets d'études, plannings stratégiques et
gourous se pressent à son chevet. Chacun y va de ses intuitions pour soigner la
marque, lui redonner des couleurs et le pouvoir de séduction qui s'est flétri.
« Il y a une désorientation des marques et l'on voit aujourd'hui les limites du
marketing. On a confié la marque à d'autres personnes. Aux financiers, par
exemple. Le marketeur passe désormais pour un saltimbanque de la troupe »,
regrette Jean-Marc Lehu, enseignant en marketing et communication. Pour ce
dernier, le marketing doit donc se réinventer en s'affranchissant des vieux
modèles. Et le marketing des industriels n'est pas le seul en cause, les
distributeurs sont logés à la même enseigne. La maladie qui touche la marque
nationale est en effet contagieuse et pourrait vite atteindre la distribution.
« Les distributeurs risquent d'être pris au même piège », note Babette
Leforestier, qui souligne dans le Marketing Book 2005, que les marques de
distributeurs (MDD) classiques n'ont augmenté que de 2,8 % quand les MDD
économiques ont grimpé de 34 %. « Les MDD classiques sont devenues des me-too
de certaines marques, au niveau de la qualité et de la promesse mais aussi du
prix. Ce qui leur est fatal », prévient Chantal Lasocka, Dga de TNS Sofres en
charge du marketing. Si les marques de distributeurs sont tout de même
devenues de nouvelles références pour le consommateur (voir p. 49 les résultats
d'une étude ACNielsen), industriels et distributeurs sont aujourd'hui
confrontés à la même problématique : comment résister à cette lame de fond qui
s'est installée pour durer, à la désaffection des marques et à une hausse de la
sensibilité au prix ? En d'autres termes, comment faire face au hard discount
qui répond à la problématique du prix, de la proximité et du surchoix ? « La
dilution des marques est d'abord issue d'un phénomène qui est purement
historique. Avant, une marque représentait un plus produit, une garantie de
traçabilité, une personnalité et une innovation. Aujourd'hui, toutes les
marques sont équivalentes pour un même produit », souligne Babette
Leforestier.
Le consommateur entre en résistance
« Nous avons en face de nous un consommateur qui n'a plus envie de consommer et à qui l'on propose plusieurs offres non différenciées », insiste Jean-Marc Lehu. Mais, surtout, qui s'est découvert de nouvelles priorités et d'autres centres d'intérêts. Depuis deux ans, l'alimentaire ou le textile affichent des baisses historiques, contrairement à l'univers du numérique et de l'Internet qui explosent. Conséquence : entre l'écart de prix qui s'élargit entre les différentes marques et l'écart de promesse jugé équivalent, le choix est vite fait. D'autant que ni l'emballage, ni l'innovation, comme elle est présentée aujourd'hui, ne justifient un prix à la hausse. L'émergence d'une nouvelle génération de consommateurs, baptisée les “Décodeurs” par Rémy Oudghiri, directeur du département tendances et prospectives d'Ipsos Observer (voir p. 23) ne fait qu'accentuer le phénomène. « Cette cible à qui “on ne la fait pas” est pleinement consciente d'être la cible permanente des professionnels du marketing. Elle préfère de plus en plus acheter des MDD car elle ne perçoit pas le différentiel qualité avec les marques nationales », souligne ce dernier. Un point de vue que fait ressortir la dernière étude ACNielsen sur les MDD. Selon l'enquête, sur les douze derniers mois, 76 % des chariots de PGC contiennent au moins une MDD (+ 3 points vs 2004). “La MDD est plus qu'une alternative à une marque nationale. Plus de sept foyers européens sur dix pensent que la qualité des MDD est équivalente à celle des grandes marques”, révèle l'étude. Il est donc déterminant que les marques en fassent plus sur tous les aspects, de la fabrication à la communication. En passant par la promesse. « Mais nous n'en sommes hélas pas là. Avant, une marque nationale était utile, respectait un contrat. Aujourd'hui, ce n'est plus évident », regrette Babette Leforestier.
Cultiver sa marque, une attitude payante
Ainsi, pour le planning stratégique de Saatchi & Saatchi, qui a planché tout l'été sur le sujet, revenir aux fondamentaux et assurer une cohérence entre ses actes et ses paroles doit être une solution payante. « Les consommateurs sont à la recherche de transparence et d'authenticité, note Clarisse Lacarrau, planner stratégique. Si ces derniers adhèrent massivement aux hard discounters et aux MDD, quel que soit leur milieu professionnel, c'est parce que les termes du contrat sont clairs. Ils acceptent ainsi de faire un certain nombre de concessions (agencement, choix, décoration…) pour avoir un prix bas. » « Les marques de grande consommation souffrent du fait qu'elles remplissent des besoins un peu moins fondamentaux, analyse pour sa part Chantal Lasocka. Elles doivent, en l'occurrence, s'abstenir de surpromettre et ne doivent pas oublier que séduction et émotion restent des moteurs indispensables pour entraîner la conviction des consommateurs. » Si avoir une vraie culture de marque se révèle fructueux et mesurable, cultiver la qualité est également impératif. « Les marques ont un peu dévoyé la qualité car elles avaient besoin de rentabilité à court terme, ajoute la Dga de TNS Sofres. Il est impératif de revenir à une exigence qualité et un marketing correct. » Clarisse Lacarrau partage cet avis : « Les grandes marques fonctionnent en vase clos. Elles ne prennent pas vraiment en compte les attentes des consommateurs. Elles sont enfermées dans un système d'innovation et de rentabilité où l'on invente le besoin des gens pour pouvoir justifier d'une nouvelle recette, d'un nouveau pack, d'une nouvelle campagne. Il faut proposer d'autres modèles qui ne soient donc pas fondés sur le prix. » La course aux parts de marché et les extensions de gamme ont été nuisibles pour les marques. À force de lâcher du lest sur les fondamentaux, à force de multiplier les références, les industriels ne font plus rêver. « Les objectifs de volume pour les marques ou les enseignes et les objectifs purement marketing en réponse aux attentes des consommateurs ne sont pas forcément en phase », résume Babette Leforestier. Chasse au superflu, guerre à l'hyperchoix, les consommateurs sont là pour protester contre l'abondance. Et les plus jeunes ne sont pas les premiers à entrer en résistance. Selon Rémi Oudghiri, les seniors restent convaincus à 64 % qu'il y a “trop de produits nouveaux”et 60 % considèrent que “consommer mieux aujourd'hui, c'est consommer moins”. De quoi faire réfléchir Carrefour qui, sous le slogan du “Consommer mieux” mettait en scène, il y a quelque mois encore, des avions cargo livrant leurs tonnes de produits à prix sacrifiés.
Créer l'innovation de rupture
Recentrer leur offre sur des produits réellement innovants, mieux communiquer. L'idée est soutenue par Babette Leforestier : « L'histoire du marketing le prouve, les seuls nouveaux produits qui fonctionnent sont les vraies innovations de rupture. Mais hélas, concevoir des produits, ce n'est plus tout à fait le métier d'un patron du marketing. » « La vraie innovation, celle qui apporte un plus produit, un vrai service, le plus pratique possible, le plus écologique possible, ne peut perdre de parts de marché », martèle Chantal Lasocka. Tous les succès marketing le prouvent : le consommateur aura toujours envie de se faire plaisir. « Il est important que les marques nationales comprennent qu'elles doivent faire rêver, analyse Jean-Marc Lehu. Car les MDD, si elles justifient une promesse, ne font pas rêver. » Les cas de Nutella et des capsules Nespresso en attestent. Les dosettes de café vendues à prix d'or, deux fois et demie plus cher qu'un paquet d'arabica classique, sont un succès avec un milliard d'unités écoulées l'an dernier. Idem pour Nutella qui, grâce à une recette qualitative inchangée depuis quarante ans et une communication récurrente, n'a jamais été affectée par la baisse de consommation (malgré un différentiel de prix de 40 % en moyenne par rapport aux MDD), et affiche 83 % de parts de marché. « Les deux facteurs principaux du succès sont la qualité des ingrédients et le process de fabrication qui font de Nutella un produit inimitable. La communication, quant elle, a joué également un rôle important en rappelant les valeurs de la marque », explique Guillaume Simon, responsable marketing de Nutella. Reste enfin aux grandes marques, via la communication, à renouer le lien privilégié qui les unissait à leurs clients, à bien communiquer et à utiliser les bons outils. « Il est vrai que la communication n'est plus adaptée. Il va falloir que les marques nationales envisagent des alternatives comme le placement de leurs produits dans les films, car désormais le consommateur ne va plus chercher l'information sur les écrans publicitaires », souligne Jean-Marc Lehu. Et pourtant, « si le produit est bon, la communication publicitaire est un levier extraordinaire », tempère Babette Leforestier. Preuve s'il en est, l'histoire d'Actimel et sa puissance de feu publicitaire mémorable qui a réussi à bloquer MDD et premiers prix. Au-delà de l'innovation et de la communication, les marques semblent intégrer un nouvel enjeu qui devrait enfin les valoriser : les “valeurs durables”. Éthique, commerce équitable, développement durable, responsabilité sociale… Autant de critères qui pourraient permettre aux marques de se différencier. « La marque doit respecter toutes ces valeurs. Elle doit désormais, dans l'esprit du consommateur, proposer des solutions », note Jean-Marc Lehu. The Body Shop (voir MM 97) a ainsi, dès sa création, imposé une politique sociale et écologique. La chaîne de café Starbucks a également bien intégré cette préoccupation, en prônant un management respectueux de la personne et de l'écologie. Les baskets Veja, 100 % équitables, 100 % naturelles, disponibles dans les capitales européennes depuis ce printemps, en sont une parfaite illustration. Cette première marque de baskets issue du commerce équitable, conçue au Brésil, est une success story du mouvement éthique, permettant aux petits producteurs de vivre de leur travail. Car, contrairement aux leaders du marché qui investissent massivement en campagne de communication, Veja a fait le pari de payer ses producteurs 30 à 100 % plus cher que le prix du marché. Conséquence : entre des Nike à 80 € et des Veja entre 70 et 80 €, de nombreux consommateurs ont déjà fait leur choix ! Preuve que le prix ne fait pas toute la différence… et de quoi donner un nouvel élan aux marques.