Les seniors ne font pas rêver le marché 1/2
Dix-neuf millions de Français ont plus de 50 ans, soit 4 Français sur 10, et toutes les 37 secondes un baby-boomer franchit le cap des 50 ans. Une réalité largement commentée mais qui peine à se concrétiser sur le marché publicitaire. Si le potentiel de cette cible n'est plus à démontrer, elle est encore sacrifiée sur l'autel du règne de la ménagère de moins de 50 ans, difficile à détrôner aux yeux des marques mais aussi des médiaplanneurs. Face au jeunisme ambiant, les seniors pêchent par manque de glamour !
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«C'est incroyable le nombre de présentations sur les seniors que nous avons
fait depuis quelques mois, tant en agences, dans les départements planning
stratégique qu'auprès de la presse, s'exclame Pascale Lévêque, directrice
d'études chez Interdeco Expert. Cela prouve qu'il y a enfin une vraie prise de
conscience que la population française vieillit et que l'on ne peut pas passer
à côté des seniors. » Optimisme ou voeu pieux ? D'autres indicateurs vont en
tout cas dans ce sens. Jean-Paul Tréguer, "pape" du senior marketing en France
et président de l'agence Senioragency voit effectivement venir à lui des
clients a priori peu sensibilisés à cette tranche d'âge de la population
française. « Nos deux derniers clients à l'échelle européenne sont Coca-Cola et
Mars, des entreprises a priori emblématiques des jeunes, qui sont venus à nous
pour des lancements ou des réadaptations de produits existants, raconte-t-il.
Ils se sont rendu compte que leurs premiers consommateurs avaient aujourd'hui
passé le cap des 50 ans. Leur problématique est de savoir comment on peut
garder la relation de cette population à la marque tout en ayant un coeur de
cible jeune. » Aucun de ces deux mastodontes de l'alimentaire ne disposait en
interne de statistiques sur cette partie de leurs consommateurs. Ces deux
exemples illustrent l'état d'esprit des marchés par rapport à la cible des
seniors. « Beaucoup de clients viennent vers nous car ils ont compris, mais
sans le vouloir, qu'ils ont des clients seniors, sourit Jean-Paul Tréguer. Ils
arrivent horrifiés sur le mode "docteur, est-ce que c'est grave ce qui m'arrive
? Ma cible vieillit" !» Renault, dont on sait que le succès de la Twingo a
finalement été fait, en grande partie, non par les jeunes, cible initiale du
constructeur, mais par les plus de 50 ans, était de ceux-là. Créée en 1996, et
aujourd'hui présente dans dix pays, Senioragency fait cependant encore
l'essentiel de son business avec les secteurs captifs de cette cible, à savoir
les assurances, la santé et depuis quelques années, l'alimentaire type produits
diététiques, allégés. L'agence a également eu dès le départ comme clients des
marques de beauté dédiées aux plus de 50 ans comme Nivea Vital ou d'hygiène
comme Libra de Tena pour les problèmes d'incontinence. « L'humanisme et le
caritatif sont également des domaines qui se développent beaucoup car 85 % des
dons émanent des plus de 50 ans », ajoute Jean-Paul Tréguer.
LA TÉLÉVISION PRÉFÈRE LES MOINS DE 50 ANS
Côté médiaplanning,
l'agence recommande d'aller en télévision, de jouer la presse en complément, la
presse senior mais aussi TV, et de s'adresser aussi aux seniors par le biais de
sites internet dédiés. En télévision, il est significatif de savoir que
Senioragency signe rarement ses campagnes. « Les clients ont peur que l'on
pense que leur cible est vieillissante. D'où l'intérêt des médias étanches
comme la télévision dans la journée, la presse senior ou les sites où les
marques sont sûres qu'elles ne seront vues que par les seniors », ajoute
Jean-Paul Tréguer. Sur-consommateurs de télévision, les seniors ne sont
pourtant pas la tasse de thé des chaînes ni des annonceurs du petit écran, loin
s'en faut. Les projets de télévision dédiés à cette cible à l'image de celui du
tandem Drucker-Gildas, sont pour l'heure en stand by. « Les chaînes sont comme
les seniors, elles ne veulent pas vieillir, plaisante Jean-Bernard Ichac,
directeur général adjoint de TF1 Publicité. C'est pourquoi l'objectif est
toujours d'aller chercher des jeunes, sans être trop segmentant puisque nous
sommes une chaîne généraliste. » Et d'ajouter, « comme c'est une population
sur-consommatrice de télévision, on la touche immanquablement, car on part du
principe que les seniors regardent ce que regardent les autres plus le reste.
Par ailleurs, pour les annonceurs, la notion de ménagère de moins de 50 ans est
toujours en vigueur, ils veulent toujours cibler des individus plus jeunes que
leurs acheteurs actuels ». Du côté de FranceTélévisions Publicité, une partie
du territoire commercial a été étendue aux 25-59 ans. « Mais, cette cible est
calée sur la population active. Le mot senior n'a jamais été utilisé quand nous
avons mené ce dossier », précise Bruno Belliat, directeur de la communication
et des études. Le groupe public travaille cependant avec l'incontournable
Jean-Paul Tréguer sur le cas des plus de 59 ans. « Ce sera effectivement le
prochain sujet de réflexion. Nous savons très bien que nous allons nous
retrouver face à pas mal d'incompréhension, voire de moquerie lorsque nous nous
y attaquerons, note Bruno Belliat. Ce n'est pas un sujet suffisamment glamour
pour la profession. » Un sujet qui manque effectivement de glamour, mais qui
peut rapporter gros. Interdeco, qui a entamé un combat contre la ménagère de
moins de 50 ans au profit de la prise en compte des 50-65 ans, a fait les
comptes. En allant jusqu'aux moins de 65 ans, on obtient, par exemple, un gain
de clientèle de 52 % sur les acheteurs de voitures neuves, de 60 % sur les
possesseurs de voitures haut de gamme, de 54 % sur les gros possesseurs de
produits bancaires. C'est également valable pour les produits de consommation
courante (+ 57 % sur les acheteurs de plus de 6 produits frais, + 76 % sur les
acheteuses de soins du visage à plus de 31 €, etc.). On les trouve même là où
on ne les attend pas : les plus de 50 ans représentent, par exemple, un tiers
des achats de produits alimentaires pour enfants. Jeunes grands-parents souvent
très concernés par leurs petits-enfants, ils sont, en effet, des baby-sitters
très demandés par leurs enfants.
LA PRESSE SENIOR RAJEUNIT SA FORMULE
On l'aura compris, les seniors qui ont des revenus moyens
de 31 650 euros, soit 19 % de plus que les moins de 50 ans (source ministère
des Finances 2001) sont essentiellement mis en avant au regard de leur pouvoir
d'achat potentiel. En presse, c'est à qui n'aura pas son hors-série "Spécial
retraite", un classique au même titre que les "Spécial maigrir" de la presse
féminine. Le Nouvel Observateur a lancé, par exemple, en avril 2002 un guide
pratique sur "Les nouveaux seniors" qui abordait les thèmes classiques :
patrimoine, retraite, succession, bien-être, loisirs. Des thèmes rebattus mais
visiblement toujours porteurs puisque ce guide sera réédité en avril prochain.
Mais ce sont bien évidemment les magazines dédiés à cette cible qui ont le plus
de légitimité. Des titres qui font d'ailleurs figure d'exception dans le
paysage plutôt morose de la presse magazine. Ça marche, en effet, plutôt bien
pour les spécialistes du genre. Selon l'AEPM 2001-2002, les titres seniors
poursuivent leur croissance à + 10,6 %. Prime est donnée aux deux mastodontes
du secteur, Notre Temps et Pleine Vie, qui gagnent respectivement 497 000 et
423 000 lecteurs. Ils affichent également une montée en puissance en diffusion.
Selon l'OJD 2001/2002, Notre Temps (+ 9,4 %) et Pleine Vie (+ 9,4 %) sont
désormais millionnaires en diffusion, portés à la fois par l'évolution
sociodémographique mais aussi par une politique marketing soutenue en direction
de leur lectorat. L'un et l'autre ont, notamment, vécu un automne 2002 chargé.
Pleine Vie a, en effet, signé une nouvelle formule en octobre et Notre Temps en
novembre. « Les clignotants étaient passés à l'orange dans les ventes au numéro
qui subissaient un tassement après une importante progression les trois années
précédentes, explique Nadine Vitu, éditrice du titre d'Emap. Nous avons fait
une remise à plat en reprenant l'étude de comportement des seniors, réalisée
lors de la reprise du Temps Retrouvé par Emap en 1996, et construit à partir de
là un baromètre d'image et de comportement des "fifty plus" que nous allons
faire vivre tous les 12-18 mois, car c'est une cible en plein dynamisme, qui
change énormément. » Pleine Vie a ainsi revu sa copie pour accorder plus de
place aux loisirs et à l'actualité. « Il ne s'agit pas d'actualité au sens de
news, mais d'informations permettant aux lecteurs de rester dans le coup par
rapport à leurs enfants et petits-enfants. » « Le magazine a également renforcé
les rubriques féminines, car nous le positionnons comme le magazine de la femme
de plus de 50 ans, ajoute Annick Alombert, directrice commerciale du pôle Emap
Femme. Il vient en complément de Modes et Travaux, même si nous ne sommes pas
allés jusqu'à créer un couplage commercial. Les deux titres ont la même logique
éditoriale de féminin pratique. » Un pôle dans lequel le titre a, dès le
départ, été installé, marquant par là sa différence avec Notre Temps, fer de
lance du pôle senior de Bayard Presse, dans lequel figure également Côté Femme.
Le travail entrepris par les équipes de Notre Temps l'an dernier est la suite
du recentrage éditorial initié en 2001. « Nous nous sommes concentrés sur les
fondamentaux du journal, c'est-à-dire la retraite et la santé-forme, ce pour
quoi les gens nous achètent, raconte Nathalie Lefebvre-Du Preÿ, directrice
marketing et commerciale. Cela s'est soldé par un redressement spectaculaire,
puisque nous avons recruté près de 400 000 abonnés en 2001 et augmenté la vente
au numéro de 50 % pour intégrer le club des plus de 100 000 exemplaires vendus
en kiosque. » La nouvelle formule 2002 a plus insisté sur l'harmonisation de la
maquette et sur la clarification de la communication autour du thème "la
liberté à plein temps".