La presse conserve son leadership
Elles sont 30 millions, soit 51 % de la population française. 30 millions de lectrices, auditrices, téléspectatrices et internautes potentielles. Un énorme vivier de consommatrices de médias, mais qui demande à être suivi à la trace, voire précédé, tant les évolutions de cette population sont fortes. Dans cette course à la réactivité, la presse féminine garde une nette longueur d'avance.
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La femme est peut-être le futur de l'homme, elle est, dans tous les cas, le
présent des médias. Comme le note une étude sur les femmes en mouvement,
réalisée par Interdeco au début de l'année, "avec la désaffection des idéaux
politiques, les news se réorganisent en devenant des magazines culturels et
font de l'oeil aux femmes, mais les quotidiens font de l'oeil aux femmes, la
presse branchée fait de l'oeil aux femmes, la télévision fait de l'oeil aux
femmes". Pour être complet, on pourrait ajouter à cette liste la radio et le
Web, également postulants à cette manne que représente la gent féminine. Dans
ce jeu de séduction, tous n'ont pas les mêmes cartes en main. La télévision,
par exemple, média surconsommé par les femmes, a leurs faveurs quand elle reste
généraliste. Dès qu'elle se fait thématique, comme Téva, la donne devient
différente. Au dernier Audicabsat 1999, "La chaîne qui pense aux femmes"
atteignait une audience maximum de 50 000 téléspectateurs par quart d'heure
avec des pointes le soir, à l'heure de la diffusion d'une série comme Ally Mc
Beal, de 60 000 téléspectateurs, ce qui reste globalement faible.
CHAÎNES FÉMININES EN QUÊTE D'AUDIENCE
« Les programmes
les plus porteurs sur les chaînes thématiques sont à la fois ceux qui sont
destinés aux enfants et ceux qui sont le plus regardés par les hommes »,
constate René Saal, directeur de Carat Expert. Pour ce dernier, cela tient
notamment à un problème de disponibilité. « Les femmes actives n'ont guère de
temps à consacrer à la télévision. Celles qui disposent de plus de temps la
regardent principalement à un moment où les chaînes hertziennes généralistes
leur offrent un programme sur lequel elles ont des habitudes lourdes depuis des
années. » De plus, une grande partie des thèmes abordés par Téva - déco,
beauté, santé, mode... - sont également traités par d'autres chaînes
généralistes, voire d'autres thématiques. « Est-ce qu'une chaîne spécifiquement
féminine peut trouver son public et le marché publicitaire ? Ce n'est pas
encore démontré, estime René Saal.
Si Téva est
reconnue quand on s'adresse à des cibles féminines, on ne peut bâtir un plan
médias sur une seule chaîne. C'est la somme des concurrences qui donne un sens
ou encore qui justifie des études sur le sujet. » Pour l'instant, l'univers
féminin proposé par le câble et le satellite se limite, outre Téva, pour partie
au téléachat de Shopping Avenue et Club Téléachat ou encore à Santé-Vie. On
verra si avec les arrivées prochaines de Cuisine TV, TV Gourmet et, au second
semestre, de Elle TV parviendront à composer un véritable paysage télévisuelle
féminin. Si la problématique sur le Web est identique s'y ajoute la question
de la pénétration. Certes le public internaute se féminise. Ainsi, selon les
instituts MMXI et Netvalue, 37 % des internautes étaient des femmes en décembre
dernier, soit 3,3 points de plus que début 2000. Un bémol toutefois : elles
fréquentent encore majoritairement la Toile dans un but pratique : courses,
comptes bancaires, infos pour les enfants, etc. Une approche limitée qui ne
fait pas forcément le bonheur des auféminin.com, femmeonline.fr, newsfam.com,
etc. Ce dernier site vient d'ailleurs de procéder à un nouveau tour de table
dans le but d'élargir son champ d'action vers des domaines susceptibles
d'intéresser un plus grand nombre de femmes. Après une chaîne sur l'argent, en
février, une chaîne cuisine en ligne le 16 mars, le site s'apprête à créer une
chaîne maison et déco. « Nous parlons de chaînes plutôt que de rubriques car
nous sommes plus proches du domaine de la télévision que de celui de la presse
et qu'il s'agit, à chaque fois, d'univers à part entière », explique Anabel
Goldschmidt, directrice de la communication et du marketing de newsfam.com.
UNE APPROCHE FONCTIONNELLE DU WEB
Ouvert en novembre
1999, le site revendique une audience de 79 % auprès des femmes pour 2,2
millions de PAP et 3,5 millions de pages vues. « Le temps passé a augmenté de
6,20 minutes à pratiquement 10 minutes et nous devons faire en sorte de retenir
les femmes encore plus longtemps », note Anabel Goldschmidt. Le graphisme,
l'ergonomie, la navigation du site, qui avaient été modifiés en septembre
dernier, vont être revus. « Nous sommes en stagnation, reconnaît Anabel
Goldschmidt, nous devons continuer la course à l'audience. L'objectif de
newsfam.com est d'arriver au point d'équilibre en octobre prochain. » Décliner
sur le Web un rubriquage à la manière de la presse féminine, est-ce suffisant
pour en faire un média spécifiquement féminin ? « Les femmes gardent une
approche fonctionnelle d'Internet, elles n'y vont pas pour rêver. Or, on est à
un moment où les femmes se regardent le nombril et considèrent que ça leur fait
du bien », souligne Aline Moreau, directrice du département presse de
MPG-Arena. Du CCA mandaté par Chérie FM (voir en page 95) aux études réalisées
récemment par Hélène Leduff de Médiaplanning sur la presse féminine ou par des
régies comme Emap.femme ou Interdeco, les résultats sont globalement les mêmes
: demain sera féminin. Planète femme, l'offre média leader de la presse
féminine haut de gamme d'Interdeco qui regroupe 12 magazines, s'est penchée,
par exemple, sur les femmes en mouvement. A savoir, les 8 % de femmes (2
millions) qui pensent que, dans les deux prochaines années, leur situation
personnelle va s'améliorer et qui envisagent un événement qui va relancer leur
vie (changer d'emploi, s'installer à son compte, entrer sur le marché du
travail, déménager, avoir un enfant). Qui dit féminisation de la société
française, dit poids croissant du rôle des femmes, mais aussi montée en
puissance des valeurs dites féminines, comme l'émotion, l'instinct,
l'équilibre, le bien-être, la sensualité face à des schémas masculins plus
agressifs. Des valeurs qui font les beaux jours de la presse féminine, premier
média historique de cette cible. « C'est encore aujourd'hui le seul véritable
média qui parle de soi, estime Aline Moreau. Il n'y a rien de mieux que la
presse féminine pour s'adresser aux femmes, même si elle est régulièrement
critiquée sur le thème "il n'y rien à lire", ce qui n'est d'ailleurs pas le
cas. » Des critiques qui exaspèrent une bonne partie des titres qui mettent en
avant leur évolution. L'hebdomadaire Elle a d'ailleurs pris le parti d'y
répondre par l'autodérision à travers la BD de Régis Franc, Darling stagiaire,
critique féroce des excès des rédactrices de mode. « Comme la politique ne
déchaîne plus les foules, les news ont fait leur miel des sujets de la presse
féminine, principalement des sujets de société vers lesquels nous sommes
nous-mêmes allés.
Ce qui est
navrant, c'est que, s'ils ne les traitent pas forcément beaucoup mieux, ils
sont plutôt plus respectés quand ils le font », s'insurge Monique Majerowicz,
directrice déléguée de Marie Claire. La nouvelle formule du mensuel, lancée en
1999, fait d'ailleurs de l'actualité un de ses axes de redéveloppement avec la
proximité et la féminité. « Les lectrices ont plutôt bien adhéré à ce concept
», constate Monique Majerowicz, qui estime à 4,5 % la progression des ventes.
Selon la dernière livraison de l'étude AEPM, Marie Claire a, par ailleurs, vu
son audience progresser de 3,2 % (cumul janvier-décembre 2000).
UNE PRESSE EN PLEINE ÉVOLUTION
Comme le constate Hélène
Leduff de Médiaplanning dans son étude sur la presse féminine, on assiste
globalement à une évolution qualitative des généralistes grand public et
pratique via l'ouverture de rubriques mode, beauté et décoration, et des
généralistes haut de gamme vers plus d'ouverture, d'esprit pratique,
d'accessibilité. Modes et Travaux est, par exemple, une illustration du premier
cas de figure. « Nous allons développer la beauté et la mode dans le magazine
pour le faire évoluer d'un pratique féminin à un féminin pratique », résume
Annick Alombert, directrice commerciale du pôle Emap.femme. A l'inverse, la
nouvelle formule de Madame Figaro, lancée le 10 mars dernier, qui intègre une
rubrique Zapping sur l'actualité au féminin et des pages conso, enfants dans
son Agenda, est le dernier exemple en date de l'évolution des féminins haut de
gamme. « La dernière partie du magazine Elle a beaucoup évolué dans ce sens ces
dernières années avec des pages pratiques et axées sur la vie privée, note
Laurence Bernheim, directrice d'études du pôle féminin d'Interdeco. Elle a, par
exemple, été le premier titre à avoir des pages consacrées à Internet, ce qui
est aujourd'hui le cas de tous les féminins haut de gamme. » Si elles ont envie
de rêver, les femmes attendent aussi qu'on leur parle de leurs centres
d'intérêt. Et ils sont effectivement très concrets. Parmi les 15 premiers
centres d'intérêt dégagés par l'étude SIMM 2000 arrivent en tête la santé,
l'art de vivre, la famille, la culture, l'environnement et l'écologie, la vie
des autres et la psychologie. La santé et la psychologie, au sens bien-être
physique et mental, sont ainsi un passage obligé des généralistes et font les
beaux jours de spécialistes comme Top Santé ou Psychologies. Avec 4 945 000
lecteurs, dont 3 452 000 lectrices, soit une croissance globale de son audience
de 5,8 %, Top Santé figure parmi les meilleurs scores de l'AEPM 2000. Et se
positionne comme le premier mensuel féminin, suivi de près par Santé Magazine
(4 873 000 lecteurs dont 3 448 000 lectrices et une croissance de 6 %). « Nous
allons consolider notre positionnement d'expert de la santé à travers des
prises de parole de Top Santé via le Web, via des partenariats, voire le
développement de produits à notre marque », annonce Jean-Paul Lubot, directeur
délégué du pôle Emap.femme. Un pôle qui, d'après ce dernier, devrait s'enrichir
d'un féminin haut de gamme, pièce manquante à Top Santé, Modes et Travaux,
Pleine Vie et Nous Deux.
LA PRESSE FÉMININE, CHOUCHOU DE LA PUB
Parmi les titres qui ont su rencontrer les aspirations de
bien-être des femmes, Psychologies est une sorte de cas d'école. « En relançant
la formule autour du thème "mieux vivre sa vie", le magazine est passé de 65
000 exemplaires quand nous l'avons racheté en 1997 à 165 000 exemplaires
aujourd'hui, ce qui est sincèrement inespéré », raconte Perla Servan-Schreiber,
directrice du développement. Lu à 70 % par les femmes, Psychologies Magazine a
vu son audience 2000 grimper de 9,5 %, à un peu plus d'1 million de lecteurs. «
Nous avons décidé de l'ancrer un peu plus dans l'univers féminin en proposant,
depuis janvier, un cahier de 20 pages intitulé "Bien dans son corps" et à
travers le site internet qui est un complément du journal. » Le dynamisme de
cette presse en mouvement perpétuel en fait-elle un passage obligé pour les
marques qui ciblent les femmes ? « Je ne crois pas qu'il existe des passages
obligés en médias, répond Aline Moreau. Simplement, c'est un réservoir de
surconsommatrices sur tous les items, un univers rédactionnel et publicitaire
dédié à la femme, et je ne vois pas pourquoi se priver de cet écrin. » Selon
une étude Publilink/Interdeco réalisée l'an dernier, 63 % des femmes pensent
que la publicité a sa place dans les magazines, une proportion qui atteint 70 %
pour les lectrices de presse féminine haut de gamme. 30 % affirment avoir
l'habitude d'utiliser les bons d'achat, les Numéros Verts des annonces
publicitaires, 33 % pour la presse féminine haut de gamme et 35 % pour la
presse féminine grand public. Autant d'éléments qui en font un média chouchou
des annonceurs, surtout les rubriques mode et beauté qui concentrent plus de la
moitié du portefeuille publicitaire. On assiste également à une forte
concentration des investissements dans le choix des titres. Elle, Madame
Figaro, Marie Claire, Vogue ont récolté à eux seuls 51 % du volume publicitaire
des féminins haut de gamme l'an dernier. Cette bonne santé se traduit
inévitablement par une inflation du ticket d'entrée ; Biba a, par exemple,
augmenté ses tarifs bruts de 10 % l'an dernier, Elle et Marie Claire de 4 % et
Vogue de 3 %. « Cet encombrement publicitaire croissant engendre un vrai souci
de différenciation et d'émergence des marques », estime Aline Moreau. Selon
Sécodip, Vogue est, par exemple, passé de 102 pages par numéro en 1999 à 117
pages l'an dernier, Biba de 74 pages à 90, Elle de 76 pages à 88. Mais, si
certains numéros comme les spécial Mode ou spécial Beauté pâtissent encore de
tunnels interminables de publicité, la presse féminine a également su depuis
longtemps innover via, notamment, le développement des opérations spéciales. La
palette est large : publi-reportages, jeux-concours, psycho-tests, offres
promotionnelles, mini-magazines, échantillonnage et autres gadgets collés sur
les couvertures. Isa, le dernier né de Hachette Filipacchi à destination des
20-35 ans, a largement utilisé ce dernier outil. Dans son numéro d'avril, le
mensuel proposait, par ailleurs, un jeu-concours avec Etam, relayé de manière
événementielle dans les vitrines des magasins de l'enseigne. Dans la même série
de "comment aller chercher les femmes dans les endroits qu'elles fréquentent",
on peut citer les Prix d'Excellence de la beauté de Marie Claire dont les
produits primés sont vendus, labels à l'appui, durant plusieurs semaines dans
les grands magasins et les espaces Marionnaud. C'est également le partenariat
caution de Elle avec La Redoute ou celui de Marie Claire avec les 3 Suisses et
le département beauté de Carrefour. Bref, on l'aura compris, tant dans la forme
que dans le fond, la presse féminine au sens large reste le média le plus en
accord avec l'évolution des femmes. Un impératif pour à la fois coller à
l'époque, mais aussi pour ne pas perdre un lectorat zappeur qui n'hésite pas à
aller lire ailleurs ce qu'il ne retrouve plus dans son magazine.
LES ÉDITIONS JALOU S'ATTAQUENT AUX JEUNES FILLES
"Eléonore", tel est le nom de code du nouveau mensuel sur lequel planchent actuellement Laurent Jalou, patron des éditions éponyme, et une équipe de cinq personnes. Le magazine, dont le numéro zéro devrait sortir début mai, vise les jeunes filles de 16-20 ans. « Il y a un gisement important de lectrices dans cette tranche d'âge qui lisent le journal de leur mère ou de leur soeur et le créneau est plutôt vide de journaux vraiment bien faits pour elles, à l'exception de "Jeune et Jolie", estime Laurent Jalou. L'objectif est de faire un magazine plus haut de gamme que "Jeune et Jolie", avec plus de mode et plus de culture. » En termes d'objectif, Laurent Jalou s'est fixé une diffusion minimum de 100 000 exemplaires et 400 à 500 pages de publicité. Parallèlement à ce chantier, l'éditeur a commencé l'année en donnant un coup d'accélérateur à son développement international. "Jalouse", "le magazine de mode avant-gardiste" destiné aux 18/30 ans, est ainsi décliné depuis le 15 janvier dans une édition "Jalouse USA", diffusée à 60 000 exemplaires, sous forme de filiale et non de licence, au rythme de 6 numéros cette année et 10 l'an prochain. Une édition russe devrait suivre, lancée par le licencié actuel de "L'Officiel" et une édition grecque est à l'étude. Du côté du magazine de mode haut de gamme "L'Officiel", une version coréenne a été lancée le mois dernier, trois autres devraient suivre au Canada, en Chine et aux Emirats arabes unis. Le contrat est à chaque fois le même : 30 à 40 % de pages françaises et le reste réalisé localement. « L'international est un passage obligé à la fois comme source de revenus appréciables, mais aussi car un grand nombre d'annonceurs internationaux recherchent d'abord des partenaires médias présents dans le plus grand nombre de pays possible », résume Laurent Jalou.