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Comment mieux comprendre la cible jeune

Les moins de 20 ans représentent plus de 15 millions d'individus. En 2001, le poids en valeur des familles avec enfants et adolescents sur les produits de grande consommation s'est élevé à 49,3 %, selon ConsoScan Distribution. A l'ère de l'enfant-roi, les industriels sont avides d'attirer une cible qui dispose d'un pouvoir d'achat (et de prescription) non négligeable. Pour essayer d'appréhender toujours plus finement cette cible, en évolution perpétuelle, les instituts d'études multiplient outils et expertises.

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Les distributeurs leur font les yeux doux. Les lieux de vente qui leur sont destinés se multiplient. Pour la troisième année consécutive, les centres commerciaux gérés par Espace Expansion fêtent les enfants de 3 à 12 ans en leur offrant de nombreux ateliers gratuits, animés par des professionnels. Quant aux marques, elles continuent leur offensive vers les jeunes, cible de tous leurs efforts, parce qu'ils sont acheteurs ou prescripteurs : l'introduction d'une prime directe destinée aux enfants suffit à faire grimper de 50 % les ventes d'un produit destiné aux parents. Procter & Gamble le sait bien, lui qui a réintroduit il y a deux ans le cadeau Bonux. Le pouvoir d'achat direct des moins de 12 ans représente près de 2,5 milliards d'euros, celui des 18-24 ans se monte à plus de 25 MdE. Entre 8 et 10 ans, selon l'étude ConsoJunior, la plus grande base de données comportementales sur les 2-19 ans, 56 % des enfants reçoivent en moyenne 10 E par mois. Un montant qui triple lors de l'adolescence. Autonomes de plus en plus tôt (travail des mères), les enfants d'aujourd'hui sont plus avancés. « Le développement social de l'enfant se fait dès 9 ans en France, avant l'entrée en sixième », explique Catherine Finet, fondatrice d'un institut qualitatif ayant une grande expertise des études auprès des jeunes. Aujourd'hui, la segmentation a changé. « On parle de pré-ados à partir de 8 ans en Grande-Bretagne, 9 en France et 11 en Italie. C'est une population à part entière et c'est un phénomène nouveau qui remet en cause ce qui faisait la segmentation des jeunes jusqu'alors », renchérit Armelle Le Bigot-Macaux, P-dg d'ABC +, société d'études spécialisée dans les 0-25 ans. « En pleine construction de leur univers culturel, souligne Yves Siméon, directeur du Planning Stratégique de Carat, les pré-ados sont touchés de plein fouet par le syndrome "KGOY" (Kids Getting Older Younger), notamment au travers du phénomène Lolita. »

Les outils d'études s'adaptent


Les industriels découvrent donc en eux une nouvelle manne : ce sont des enfants gestionnaires, disposant d'un certain pouvoir d'achat, experts dans les domaines du sport ou de la musique, par exemple, surinformés, capables de décrypter publicité et stratégie marketing. Mais très inconstants dans leurs goûts et leur choix. « On peut lancer un produit destiné aux pré-ados, pas une marque », constate Catherine Finet. Parallèlement, les parents acceptent plus facilement la prescription de leurs enfants. « L'enfant est écouté en tant que partenaire », souligne Armelle Le Bigot-Macaux. Les relations mères-enfants se font sur la base de négociation permanente, avec pour maître mot la complicité. Plus que jamais, les marques qui proposent des produits jeunes doivent convaincre les mères. « C'est une forme de reprise du pouvoir des mères », constate Marianne de Souza, P-dg de MSM. « Les jeunes sont le business d'aujourd'hui, celui de demain et même de toute la décennie, insiste François Laurent, Marketing Europe Research & Media Director de Thomson Multimédia. Pour élaborer nos produits de demain, nous devons les comprendre. » D'où la construction par Thomson Multimédia d'une base de connaissances mondiale, CIN (Consumer Insight Network). Les industriels également sont de plus en plus demandeurs d'information sur les jeunes, aussi bien quantitatives que qualitatives. « Nous essayons de connaître cette cible le mieux possible, alors même que les jeunes deviennent de plus en plus des experts en marketing, mais qu'ils sont aussi plus versatiles », remarque Jacques Collomp, directeur marketing des marques d'usage quotidien de Sanford pour l'Europe. Les études sur les cibles enfants, adolescents et jeunes adultes se multiplient donc, les études ad hoc restant la réponse adéquate à bien des problématiques clients. La création d'omnibus dédiés aux cibles jeunes ou mères de famille (Ifop, TNS Sofres, Junior City) confirme aussi la montée en puissance des études sur ces populations. Des panels se mettent en place. Et, parallèlement, les études par souscription documentaires, quantitatives ou qualitatives, se multiplient. ABC + propose l'OBS des 5-25 ans (quali et quanti) qui couvre quatre pays (France, Grande-Bretagne, Italie, Allemagne). Junior City enrichit chaque trimestre, depuis 1993, son Observatoire des cours de récréation de nouvelles observations et thématiques. Nouveautés 2003 : "L'impact du sport sur l'enfant", "La nouvelle autonomie des enfants", "Les jeunes et la collection". Junior City lance également une large étude qualitative sur les pères en 2003. ConsoJunior, l'étude de référence sur les jeunes, avec 10 000 jeunes interrogés tous les deux ans, et née du rapprochement avec l'enquête de Diapason, réactualise le questionnaire de son édition 2004, « pour coller à l'évolution de cette cible », commente Christine Bitsch, directrice du Pôle Médias de TNS Media Intelligence Secodip. De nouveaux indicateurs prendront en compte des styles musicaux comme les variétés (Britney Spears, L5, Lorie...) et des émissions de télé-réalité. Parce que 77 % des filles de 8 à 19 ans se disent à l'affût des dernières tendances en matière de mode et que 88 % disent faire très attention à leur apparence, ConsoJunior va explorer dès 8 ans (précédemment dès 11 ans) les marchés des eaux de toilette, parfums, produits coiffants, de coloration, maquillage, hygiène féminine. De nouveaux indicateurs sont prévus pour mesurer l'implication des enfants "consommateurs", déterminer le poids des juniors dans l'acte d'achat d'un produit, leur opinion sur les grandes surfaces et les centres commerciaux, leur attitude à l'égard des cartes de fidélité, connaître leur façon de gérer leur budget. L'enquête étoffera ses questions sur le multimédia (consoles, avec un critère de multiéquipement et d'incitation au choix d'un jeu vidéo ; influence de l'usage de l'ordinateur sur la lecture et le gravage des CD, usage des SMS et customisation de leur équipement en téléphonie mobile, par exemple). Dans le but de construire, à terme, une offre spécifique, Synovate mène actuellement avec Carat une réflexion au niveau international (études quali et quanti) sur les jeunes. Ipsos Observer, reconnaissant l'importance pour les marques de la cible marketing clé des 15-30 ans, vient de lancer "Jeunes Attitudes", une étude interrogeant 3 000 jeunes aboutissant à une typologie en 8 familles et autorisant une réponse adaptée à une marque donnée. « C'est une étude syndiquée, mais qui donne la possibilité de faire un éclairage par marque, souligne Stéphane Truchi, directeur général d'Ipsos France. Car c'est une population devenue extrêmement complexe à gérer et qui demande une lecture marketing plus aboutie. »

Nouveaux produits, nouvelles expertises


Le quali, lui aussi, adapte ses techniques pour interroger les jeunes consommateurs. Début 2003, 3M a fait réaliser par Catherine Finet Conseil une étude qualitative européenne (France, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie), pour Post It, auprès des 8-14 ans : interviews en duo pour les 8-9 ans, mini groupes de quatre enfants pour les 11-12 et les 13-14, en séparant à chaque fois les garçons et les filles. « Pour la moitié des groupes, nous avons donné des produits à utiliser à la maison pour voir l'utilisation spontanée qu'ils en faisaient et recouper avec les données issues des interviews, explique Perrine Schweisguth, Marketing Manager Europe des produits Post It. Nous avons également réalisé des groupes de mères dans tous les pays pour croiser avec ce que disaient les enfants. Et parce que, pour ce type de produits, l'opinion des mères est fondamentale. » Armelle Le Bigot-Macaud estime très riche d'enseignements le fait de déposer des produits avant entretien et d'interroger ensemble mères et enfants. « La mère regarde et interprète le comportement de l'enfant. On voit tout de suite si la mère va acheter le produit ou non. Les mères nous donnent des clés. » De leur côté, Junior City et ABC + viennent de lancer un test organoleptique auprès des enfants. Et de nouveaux acteurs (généralistes) - sous la poussée de leurs clients - se sont adjoint une expertise jeune. Sorgem complète désormais sa connaissance des cultures urbaines par la création d'une division spécialisée enfants et adolescents, Sorgem Junior Stratégies, dirigée par Louisa Taouk. Repères vient de lancer Quali Use Test, un test de produit destiné aux 4-15 ans et s'est adjoint une expertise enfants/jeunes en la personne de Véronique Auvrey. Chez MFR Stratégie/Millward Brown, c'est un panel de jeunes, interviewés régulièrement pour suivre les tendances, qui a été mis en place. Panel de jeunes également chez Added Value, avec "Leading Edge", panel international pour les études ad hoc. « C'est intéressant quand on veut trouver une cible plus aspirationnelle ou pour des sessions de créativité », explique Leslie Pascaud, directrice d'Added Value. Le panel est notamment interrogé deux fois par an pour Levi's sur les tendances de mode. Quant à Allegoria, l'institut a adapté son outil Trend Safari aux lieux, parcours des jeunes dans cinq grandes capitales mondiales. Et pour les marketers qui ont besoin de mieux connaître cette cible, l'institut a récemment organisé une demi-journée sur "La génération hors-piste : les 15-18 ans", qu'Adeline Attia, sa directrice, qualifie de « auto-adaptative, métamorphique et mosaïque ». Enfin, Junior City propose des formations sur les 4-15 ans, les 15-25 ans et "L'enfant et le multimédia". Cette soif de connaissances n'est pas prête de s'éteindre, les cibles jeunes évoluant sans cesse. Alors que les ponts intergénérationnels créent de nouvelles pistes de réflexion. Et que dire des enfants de mères de 40 ans : elles sont à ce jour 15 % à attendre leur premier enfant. Un phénomène de société qui bouleverse aussi les relations mères-enfants.

Les 11-19 ans, selon le Baromètre Jeunes de Médiamétrie


Musique : le R'n'B est à la mode et bouleverse le palmarès des styles de musique préférés des jeunes. Mode vestimentaire : Puma, la marque montante. Piercing et tatouages : un tiers des 11-19 ans se disent tentés par un tatouage ou un piercing. Surtout les filles. Divertissement : les filles sont attachées à leurs amis, les garçons aux jeux vidéo. Au total, ils apprécient les activités d'intérieur. Internet : une source d'information. Les médias comme vecteurs de sociabilité : la télévision est le premier média source de débats. Aspirations : 84 % des 11-19 ans affichent un goût prononcé pour les soirées entre amis. Métier : les garçons plébiscitent le métier d'ingénieur, les filles les métiers de l'éducation. Les événements marquants de 2002 : l'environnement. (815 jeunes de 11-19 ans interrogés par téléphone à domicile en décembre 2002)

Un peu de bon sens... par Junior City, groupe d'Experts Jeunesse


"Vous voulez interroger des enfants de 4 ou 5 ans, en entretien individuel, pourquoi pas même en focus group ?" Il serait temps qu'avec un peu d'honnêteté intellectuelle, les cabinets d'études refusent ce type de demande, toute question d'éthique mise à part. Certes, il est tentant d'interroger ces consommateurs en herbe : ils sont plus matures que leurs parents au même âge et ont souvent une bonne capacité d'expression verbale. Il faut pourtant rappeler que leur niveau de développement psychologique et intellectuel reste celui de leur âge, et se caractérise notamment par : - la versatilité des comportements, l'inconstance dans le temps : un jour, j'aime, un jour, je n'aime pas, selon les circonstances, l'humeur, l'avis du copain... - l'incapacité d'argumenter jugements et opinions car ils émanent davantage d'un ressenti ou d'une émotion que d'un raisonnement. - l'impossibilité de synthétiser un ensemble d'informations et la tendance à forger son jugement à partir d'un seul élément qui influence ensuite la perception globale. Il est utopique de prétendre tester un mix marketing auprès d'un enfant qui, voyant que vous avez raté votre bus, pourra vous suggérer de prendre celui qui arrive en sens inverse, pour donner un simple exemple de ses capacités d'analyse. Il est peut-être moins séduisant, mais certainement plus sûr de privilégier l'observation, le recueil d'information via les parents (si nécessaire avec dépôt de produits, carnet de bord) ou l'interrogation de professionnels en lien direct avec le sujet (pédo-psychologues, ludothécaires, instituteurs...)."

Les jeunes et le luxe : 4 clés à l'usage des marketers par Adeline Attia, directrice d'Allegoria


Le luxe n'est pas une "valeur" Le mot "luxe" ne correspond pas aux aspirations luxueuses qui intéressent les jeunes (des moments, du plaisir intense, de l'argent pour que ça se voit). La marque, c'est déjà du luxe Les marques sont un ensemble de signes plus ou moins identifiables, dont le dosage conditionne leur pouvoir d'attraction. Ces signes peuvent être des signes de condition sociale, niveau d'innovation vs le dépassé, ancrage urbain, style de vi... Le luxe, c'est posséder l'objet rare avant les autres. Pour les marques, des stratégies de pénurie pour le lancement d'un produit, de séries limitées, de marketing viral ou street marketing sont de véritables opportunités. Le luxe "jeune" est le produit de plusieurs carambolages culturels : Avec l'univers du sport (apparition de produits co-brandés (baskets Fila/Ferrari, Sketchers/Vuitton, etc.). Avec la technologie (Nokia et ses coques, housses de portables Hermès, etc.). Avec le design (nouvelle culture graphique des marques pour le packaging, la communication et les sites internet des marques cosmétiques destinées aux jeunes.

Anika Michalowska

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