A la recherche des quadras oubliées
Rares sont les médias qui reconnaissent les femmes de plus de 40 ans comme leurs lectrices, auditrices ou téléspectatrices principales tout autant que les plans médias qui les visent clairement. Elles sont pourtant la génération montante.
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"Potiche : espèce en voie de disparition”, “Bobonne : ancêtre préhistorique
de la femme”, “Ménagère : référence périmée à oublier d'urgence”. Contrairement
à ce que l'on pourrait penser, il ne s'agit pas des nouveaux slogans
d'associations féministes, type Les chiennes de garde, mais de la communication
du nouveau Côté Femme relancé par Bayard Presse le 8 mars, tout un symbole, sur
le thème “Parce que les femmes ont changé, un nouvel hebdo est né”. Si évoquer
l'évolution des femmes est loin de constituer un argument original de relance,
positionner un titre féminin sur la cible des 45-54 ans est, en revanche, une
quasi révolution ! Même si, selon l'AEPM 2002-2003, l'âge moyen des lectrices
de magazines féminins est de 46,8 ans, rares sont les titres qui le
reconnaissent et encore plus ceux qui en font leur cœur de cible. Les anciens
comme les petits nouveaux préfèrent globalement cibler large à l'image de
Esprit Femme, le mensuel lancé le 22 mars par Holger Wiemann et Dominique
Cellura, anciens de Prisma Presse, qui le destinent aux femmes de 28-45 ans.
Une situation qui conforte Côté Femme dans ses positions. « Nous sommes partis
du constat que les quadras, et plus, n'avaient, non seulement pas
d'hebdomadaires mais plus globalement peu de titres de référence dédiés à ce
qu'elles sont vraiment, confirme Nathalie Lefebvre du Prey, directrice
marketing et commercial du Pôle Art de vivre de Bayard Presse. L'objectif de
Côté Femme est de leur parler non en fonction de leur âge mais en fonction de
la maturité qu'elles ont acquise, et qui en fait une génération affirmée,
déterminée dans ses choix de vie comme de consommation. » Il n'y a donc plus
rien à voir entre le nouveau Côté Femme et l'ancien qui était passé d'une
diffusion payée de 233 099 exemplaires, lors de sa reprise par le groupe en
1999, à 166 083 exemplaires sur la dernière période 2002-2003. « Nous l'avions
activé en 2000 juste ce qu'il fallait pour le maintenir à flots tout en
commençant à travailler sur ce projet que nous avons mis deux ans à finaliser,
explique Nathalie Lefebvre du Prey. Il ne s'agit pas d'un relancement mais
bien d'un nouveau magazine. » Plus dynamique, haut en couleurs, il traite à la
fois de l'actualité et des centres d'intérêt de ces femmes qui ont plus de
temps et d'argent à consacrer aux loisirs. « Les 25 rubriques hebdomadaires
jouent chaque fois sur une femme qui a un début d'expertise ou de compétence,
pas du tout sur le côté boîte à outils d'un magazine d'accompagnement au sens
pratique du terme », ajoute Valérie Camy, directrice générale adjointe
d'Interdeco Féminins, en charge de la régie du titre. Tiré à 500 000
exemplaires, le magazine a un objectif de diffusion de 240 000 exemplaires.
Bayard Presse n'a pas hésité à dégager 10 millions d'euros pour le lancement.
Gérée par BETC Euro RSCG, la campagne a débuté par un teasing en radio le 6
mars pour se poursuivre sur les écrans de France Télévisions, en affichage
kiosque et en presse à partir du lancement le 8 mars dernier.
Autour des quarantenaires, les féminins sont en pleine mutation
Jusqu'à l'arrivée du nouveau Côté Femme, Marie-France
était le seul magazine mensuel à affirmer s'adresser aux femmes de 40 ans. « Ce
positionnement générationnel a été adopté lors de la relance du titre par le
groupe en 1995, car il s'agissait d'éviter tout risque de cannibalisation avec
Marie-Claire, rappelle Vincent Soulier, directeur du marketing du groupe
Marie-Claire. Depuis, rares sont les couvertures qui ne mentionnent pas un
sujet en référence aux quarantenaires. » La campagne de publicité qui soutenait
le titre en radio et abribus l'été dernier proclamait d'ailleurs “C'est décidé,
la vie est belle à 40 ans”. Ce positionnement est affiné sur le plan
rédactionnel depuis l'arrivée d'Anne-Florence Schmitt à la direction de la
rédaction. « On ne parle pas aux femmes de 40 ans comme à toutes les autres,
dit Blanche Rival, rédactrice en chef. A 40 ans, par exemple, on a déjà fait
des dizaines de régimes et il n'est pas question de leur proposer l'éternel
marronnier des 4 kg perdus en quinze jours. » Et cette dernière d'ajouter : «
Nous voulons réaffirmer la féminité comme une force en l'ancrant notamment
autour d'une histoire de transmission personnelle et familiale, autour d'une
femme active qui est à la fois fille et mère. » Dans un groupe plus adepte «
des évolutions par touches homéopathiques que des changements de formule à
tout va », dixit Vincent Soulier, Marie-France a fait évoluer sa typographie et
légèrement raccourci son format en février dernier. « Ce n'est pas parce que
l'on s'adresse aux femmes de 40 ans que l'on doit être vieillot, sourit Vincent
Soulier. Nous parlons à des femmes épanouies. C'est pourquoi nos mannequins
sont toujours souriants et n'ont pas l'air neurasthéniques comme dans d'autres
magazines ! » Si les mannequins de Prima n'avaient pas l'air neurasthénique,
Martine Haigh-Degueurce, directrice commerciale ajointe de la publicité du pôle
des féminins de Prisma Presse, reconnaît que « le magazine était devenu froid,
gris. La nouvelle formule lancée en juin dernier, beaucoup plus axée sur la
proximité, l'hédonisme, le plaisir et la nécessaire fonction miroir des
féminins, a déjà permis de booster la diffusion et d'augmenter de 10 % les taux
de réabonnements. » Une nouvelle formule qui, en partie, prend appui sur
l'étude d'identification des fonctions des magazines féminins menée l'an
dernier par ILS- Sereho pour Prisma Presse et que le groupe présente
actuellement au marché. Menée sur un échantillon de 1 800 lectrices de 15 à 64
ans et l'analyse de 41 magazines, elle aboutit à la mise en avant de 10
fonctions principales qui composent “un univers proche, de bien-être,
aspirationnel, rassurant et stimulant”. Aux quarantenaires qui constituent
son lectorat moyen - même si le groupe ne raisonne pas en tranches d'âges - le
Prima nouveau clame “Etre bien, c'est si simple”, suivant à son tour le courant
lancé par Bien dans ma Vie d'Axel Springer. « On est effectivement plus dans ce
courant de facilitation de la vie que dans celui des magazines pratiques purs
et durs », admet Martine Haigh-Degueurce. Plus autonomes dans leurs choix que
leurs cadettes, les femmes de 40 ans souhaitent qu'on leur facilite la vie pour
qu'elles aient un peu plus de temps pour s'occuper d'elles. Les magazines qui
leur sont destinés essayent de coller à cette attente. « Elles tirent les
fruits de l'expérience, estiment qu'elles ont suffisamment testé de modèles,
qu'elles ont assez de recul pour se poser, analyse Jean-Christophe Gombeaud,
directeur des études du pôle féminin d'Emap Media. La notion de bien-être n'est
pas une tarte à la crème, c'est une vraie valeur de consommation pour elles,
comme le montre l'étude que nous avons réalisée sur le sujet pour Top Santé.
Elles disent en substance “Ce n'est pas parce que je vais m'occuper de moi que
je ne vais pas m'occuper des autres”. » Cette évolution a également fait
bouger les choses du côté de Modes et Travaux, le féminin pratique du groupe. «
Après une première étape consacrée à l'éditorial, nous avons entamé, au
printemps dernier, un travail global de communication pour remoderniser,
remettre le magazine dans les tendances actuelles, raconte Patrick Hanzo,
directeur marketing d'Emap Femme. Le chemin de fer a également évolué pour que
chaque section se termine systématiquement par une rubrique “Pas de panique”,
qui donne des trucs, des astuces. » On ne parle pas aux femmes de 40 ans comme
à leurs cadettes, cette évidence ne l'est pas forcément encore pour nombre de
titres généralistes qui souhaitent toujours ratisser large. Mais les choses
bougent, comme le note Aline Moreau, directrice du département presse chez MPG.
« On sent que le paysage de la presse destinée à cette cible de femmes est en
train de se recomposer complètement entre les magazines pour les moins de 35
ans et ceux destinés aux plus de 35 ans. Les premiers sont clairement dans une
consommation ludique à l'image des Shopping, Mods ou Glamour, quand les seconds
sont dans des contrats de lecture où entrent en compte des réflexions
psychologiques sur le bien-être, le bien vivre, des thématiques qui ont fait le
succès d'un Psychologies Magazine. » Et d'ajouter : « On touche là une
génération qui a une culture de lectrice, qui est en attente de valeur ajoutée
éditoriale. »
Un marché publicitaire dur à convaincre
Si cette presse clairement dédiée offre une vraie légitimité éditoriale, elle
doit, en revanche, trouver une écoute auprès du marché publicitaire. Conscient
que les 45-54 ans constituent un seuil d'âge psychologique pour le marché,
Bayard Presse a fait plancher, pour Côté Femme, l'institut Risc International
dont les consultants opèrent auprès des annonceurs poids lourds des
cosmétiques, de la mode et du food. Et ces derniers de constater que,« pour les
annonceurs cosmétiques, clé de l'équilibre d'un titre féminin, l'importance de
la clientèle 45-54 ans est bien connue depuis deux à trois ans mais pas avouée
». Et d'ajouter : “Pour les marchés sélectifs en particulier, les cibles de
communication données en médiaplanning sont systématiquement cinq ans plus
jeunes que les cœurs de clientèle. Ce phénomène est renforcé quand il s'agit de
marques françaises dont les clientèles à l'étranger sont plus jeunes qu'en
France. » Cela étant, les consultants de Risc mettent en avant l'intérêt
marketing de cette cible de femmes. Des femmes qui n'hésitent pas à remettre en
question leurs marques, voir à les abandonner si ces dernières n'entretiennent
pas une communication avec elles. Un risque auquel n'échappent pas les marques
de cosmétiques dont les 45-54 ans sont grosses consommatrices. « Elles sont de
plus en plus nombreuses, elles sont au faîte de leurs revenus et plus
disponibles pour consommer. Mais, comme pour les seniors avec Notre Temps,
c'est un discours que l'on a du mal à faire entendre aux publicitaires », note
Nathalie Lefebvre du Prey, également en charge du marketing du pôle senior chez
Bayard Presse. « On sait tout cela, mais en même temps il y a peu de briefs
identifiés en tant que tels comme ils peuvent l'être sur les 15-24 ans, les
25-49 ans ou les seniors, reconnaît Aline Moreau. Pour les 35-49 ans, si il y a
une notion de pouvoir d'achat, on utilisera des médias mixtes type news
magazines, mais le pas n'est pas encore franchi en ce qui concerne une
consommation strictement féminine. » « Est-ce que le marché publicitaire réagit
comme cela parce qu'il y a peu d'offre ? Ou est-ce cette réaction publicitaire
qui limite l'offre ? C'est l'histoire de l'œuf et de la poule, s'interroge
Frank Farrugia, directeur général de Médiatrack. Dans tous les cas il est vrai
que, si toucher des hommes de plus de 40 ans cadres ou CSP + est d'une facilité
à toute épreuve, on est beaucoup plus ennuyé pour les femmes. » Et Bérangère
Mazuy, chef de groupe médias chez le même Mediatrack, de noter « qu'un
annonceur qui cible les femmes de plus de 40 ans choisira le visuel d'une femme
de plus de 35 ans. Cela amène les agences médias à faire de même dans leurs
plans. » Du côté des marques, Agnés Aubert, responsable des achats médias chez
Beiersdorf, reconnaît que « les marques font globalement du jeunisme. Mais
Nivea évite partiellement ça en allant en TV qui reste le média le plus
économique pour toucher les femmes de plus de 40 ans. Il peut nous arriver
d'aller en presse si on a besoin d'émerger ou d'argumenter plus, mais l'offre
de titres est restreinte. On passe vite aux plus de 55 - 60 ans. » Chez Henkel
Cosmetics, où l'on gère douze marques d'hygiène, soins et capillaires, le choix
du tandem TV-presse est quasi systématique. « On reste effectivement fidèle à
ce couple car on veut que nos lancements fonctionnent tout de suite, explique
Agnée Thée, directrice du marketing. Pour toucher les femmes de moins de 50
ans, on optera pour les chaînes herziennes, et du câbsat les plus puissantes,
ainsi que sur l'artillerie lourde de la presse féminine. Pour les plus de 50
ans, on affinera les horaires de TV et on ira en presse senior. » Dans les deux
cas, il reste effectivement peu de place pour les titres de complément. Un zoom
sur l'état des investissements publicitaires de l'an dernier confirme ces parti
pris de la beauté. « La beauté a globalement mis un coup de frein à ses
investissements presse l'an dernier et les féminins ont été les premiers
touchés, analyse Eric Trousset, directeur marketing de TNS Media Intelligence.
Les titres les plus âgés ont le plus souffert, peut-être parce que, même si
c'est moins le cas, ils sont perçus comme vieillissants avec leur public. Il
est, par ailleurs, plus facile de sensibiliser le marché en lui vendant des
titres ludiques, même s'ils ne sont pas à la hauteur de leur diffusion. » Les
recettes publicitaires de certains titres les plus lus par les femmes de 40 ans
ont chuté l'an dernier à l'instar de Prima (- 24 %), Marie France (- 19 %),
Avantages (- 10 %) ou Modes et Travaux (- 7 %). Madame Figaro tire, en
revanche, son épingle du jeu en progressant de 1,2 % et Version Femina signe la
meilleure progression du genre avec 38 % d'augmentation, ces deux magazines
ayant en commun d'être vendus avec des quotidiens nationaux et régionaux.
Cuisine. TV aime les femmes aux fourneaux
l Selon l'AEPM 2002-2003, 77,5 % des femmes aiment faire la cuisine, contre 76,5 % en 1995. Le 14 avril 2001, Cuisine. TV a pris le pari qu'elles aimeraient aussi voir les autres la préparer. La chaîne du Cabsat détenue à 51 % par Pathé et 49 % par RF2K, d'Olivier Granier et Dominique Farrugia, propose en effet une grille constituée d'émissions de cuisine, de documentaires sur les cuisines du monde et de fictions. « Aujourd'hui, cela paraît évident, mais faire le choix du divertissement était un pari en France où ce type de positionnement est loin d'être aussi développé que dans des pays comme la Grande-Bretagne », rappelle Matthieu Dumas, responsable commercial et développement. La chaîne qui donne “une envie irrépressible de cuisiner” a été la première à faire connaître dans l'Hexagone le chef star britannique Jamie Oliver. Un site internet et des produits dérivés (livres et DVD) prolongent les programmes. 67 % de femmes constituent l'audience de Cuisine. TV, ce qui en fait la deuxième, toutes confondues, la plus féminine, derrière Tiji (source : Mediacabsat juin-juillet 2003). Elle réalise 1 point d'audience auprès des ménagères de moins de 50 ans abonnées à CanalSatellite, ce qui la met à la cinquième place quand Teva est septième avec 0,7 et Gourmet TV gérée par France Télévisions loin derrière à 0,1 point. Côté publicité, « nos écrans ouverts de 7 h à minuit sont quasiment pleins. Nous sommes dans nos objectifs, annonce Marie Khermimoune, directrice de la promotion et des partenariats. Il nous faut développer des secteurs comme l'automobile et l'édition. » Limitée à deux chaînes, ;Cuisine.TV et Gourmet.TV, la thématique art de vivre reste toutefois très modeste avec un chiffre d'affaires publicitaire de 4,3 millions d'euros en 2002.
Chérie FM, chérie des femmes
l « En radio, on a surtout des cibles qui ne sont ni féminines, ni masculines mais mixtes et c'est surtout l'âge qui est le plus discriminant, pas le sexe », note Valérie Debord, directrice radio chez MPG. Dans ce paysage, Chérie FM persiste et signe à faire figure d'exception en étant la radio la plus plébiscitée par les femmes qui constituent 66 % de son audience, une audience cumulée portée à 3,1 millions d'auditeurs, soit 14 % de plus qu'en 2002 (source : Médiamétrie 75 000+, novembre-décembre 2003). Des résultats qui parlent au marché publicitaire qui en a fait la troisième station musicale nationale avec 172,3 millions d'euros de recettes publicitaires l'an dernier, en croissance de 22,6 %. Comme nombre de ses petits camarades, Chérie FM a notamment bénéficié de ce que TNS Media Intelligence n'hésite pas à qualifier d'événement de l'année, à savoir l'explosion du food en radio. A la distribution et les télécommunications, les deux premiers secteurs investisseurs, viennent s'ajouter dans son portefeuille l'alimentation (+ 200 % ), les boissons (+ 225 % ) et la beauté (+ 91 %). « Cette arrivée massive de budgets food depuis dix-huit mois peut s'expliquer par le fait que nous avons développé énormément d'outils pour leur montrer l'efficacité du média sur les ventes, tant dans le cadre du Sirrp qu'à travers une étude développée spécifiquement par NRJ Régies avec ACNielsen fin 2003 que nous présentons encore au marché », explique François Dufresne, directeur délégué marketing de NRJ Group. Concernant plus précisément les femmes, NRJ Régies a lancé à la rentrée l'Observatoire du bien-être en partenariat avec l'agence de planning stratégique Pulse et envoie, chaque mois, au marché une lettre sur une thématique spécifique.