Le courrier s'affranchit des frontières 1/3
Devant les échéances successives de l'ouverture des marchés postaux à la concurrence, opérateurs institutionnels et sociétés de routage définissent leur stratégie. Mais la perméabilité culturelle et structurelle à la libre concurrence reste variable d'une entreprise à l'autre.
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«Les enjeux vont réellement devenir européens. Les grands comptes ayant
recours au mailing commencent à venir aux campagnes internationales. » Alain
Gazard, P-dg d'Eurodirect Marketing, est sans ambiguïté : le marketing direct
est d'ores et déjà porteur d'une dimension européenne. De fait, le passage à
l'euro a été l'aiguil- lon d'une tendance naissante à l'internationalisation
des communications. Avec des catalogues tout en euro, les vépécistes peuvent en
effet légitimement concevoir de concentrer leurs opérations de mailings dans
les mains d'opérateurs uniques. Reste à savoir si les opérateurs les plus
institutionnels sur ce marché européen du marketing direct, à savoir les
Postes, sont en mesure d'anticiper, ou simplement de répondre, à l'évolution
des demandes. En France, la réalité "domestique" du marketing direct ne fait
pas de doute. Une commande sur deux est passée par courrier. Plus de 50 % des
Français achetant à distance le font au travers d'un mode de commande postal.
Et les entreprises de vente à distance et utilisatrices de marketing direct
représentent près de 80 % de l'activité de La Poste en lui apportant 2,5
milliards d'euros. Mais, quel que soit le poids domestique du marketing direct,
l'institution postale française doit aujourd'hui regarder au-delà des
frontières nationales. Le 1er janvier 2003 a marqué la première étape de
l'ouverture des marchés domestiques à la concurrence sur les lettres de plus de
100 grammes. Jusqu'à présent, la compétition se limitait aux envois depuis la
France vers les pays étrangers pour les plis supérieurs à 350 grammes et les
colis, soit 10 % du marché total du courrier. Pour l'ensemble des acteurs
nationaux, l'ouverture de la concurrence aux expéditions transfrontalières
constitue un enjeu économique majeur, préfigurant leur aptitude à défendre des
prés carrés domestiques lorsque la concurrence se fera totale. En 2001, dans le
cadre de travaux parlementaires au Sénat, Martin Vial, ex-président de La
Poste, précisait que « le premier client (de La Poste, ndlr), un groupe de
vente par correspondance, réalise plus de 60 % de son chiffre d'affaires en
dehors de notre territoire ».
Chiffre d'affaires du MD postal dans le monde : 420 Md$
Selon l'Union Postale Universelle (UPU), le
chiffre d'affaires du trafic postal marketing direct dans le monde d'ici à 2005
représenterait 420 milliards de dollars. Bientôt, les frontières tomberont
devant l'aptitude des acteurs postaux à déployer des stratégies
internationales. Les différents acteurs postaux européens en sont à des stades
assez divers de l'intégration d'une culture de compétition. En effet, la
libéralisation des marchés en Europe s'est faite de manière hétérogène. Ainsi,
en Espagne, les services les plus rentables du marché postal, comme le trafic
postal urbain, le publipostage ou les colis express sont libéralisés depuis
plusieurs dizaines d'années. Et l'on dénombre plusieurs centaines d'opérateurs
postaux, de taille variée, agissant sur les segments de la lettre urbaine et du
publipostage. Aux Pays-Bas, le gouvernement a décidé dès 1989 la privatisation
des services postaux, tout en conservant à l'Etat son rôle d'actionnaire
principal dans le capital de l'acteur historique. La TPG a été la première
Poste cotée en bourse en Europe. Aujourd'hui, le domaine réservé aux Pays-Bas
représente un quart du marché (hors colis et service express), contre plus de
90 % en France. En Allemagne, le gouvernement a libéralisé en 1997, pour
ouvrir le marché de manière graduelle jusqu'à 2008. Une centaine d'acteurs
étaient candidats et 3 000 licences ont été accordées à des entreprises,
notamment des PME locales. Les acteurs nationaux sont les mêmes que ceux qui
interviennent sur le marché du colis : UPS, DPD... Aujourd'hui, la Poste
française est avec la Poste luxembourgeoise la dernière en Europe à conserver
un statut d'établissement public. Les autres sont toutes devenues des sociétés
anonymes. Pour autant, l'ouverture à la compétition ne signifie pas cession des
marchés domestiques aux différents compétiteurs. L'expérience montre que les
acteurs historiques conservent des parts de marché très importantes, protégés
la plupart du temps par une libéralisation très progressive leur garantissant
des marchés réservés. D'autre part, le ticket d'entrée pour développer un
réseau postal est très lourd et les Postes domestiques sont localement très
favorisées. En Allemagne, l'un des pays qui, comme les Pays-Bas, a sans doute
joué le mieux le jeu de la libre concurrence, les compétiteurs avaient accaparé
au terme de trois ans de libéralisation 3 % du marché. Alors que seulement 25 %
de ce marché demeuraient ouverts (pour un chiffre d'affaires potentiel de 2,5
milliards d'euros). Ce qui signifie bien à quel point, malgré la fin juridique
du monopole, les opérateurs historiques ont de facto toutes les chances de
conserver un monopole de fait. C'est pourquoi l'ouverture à la concurrence du
marché des expéditions internationales constitue un enjeu de taille : elle
permet aux acteurs locaux de jouer sur un terrain d'égalité et, partant, de
mesurer leur force commerciale et leur aptitude à conquérir les mêmes marchés.
Selon l'UPU, le marché mondial du courrier transnational représenterait 12
milliards d'euros, avec une croissance avoisinant les 4 %. Le premier acteur du
marché étant l'USPS avec 16 % de part de marché, devant Deutsche Post Global
Mail (14 %), Royal Mail International (7 %), La Poste (6 %), TPG (4 %). Les
acteurs indépendants représentent 14 % du marché (4 % pour Spring, 4 % pour les
groupeurs américains, 2 % pour les groupeurs anglais, 1 % pour Mercury...).
Des opérateurs postaux plus ou moins "libéraux"
En
Europe, les différentes Postes locales n'ont pas choisi les mêmes approches
pour répondre aux premières étapes de la dérégulation. Leur poids respectif,
tout comme leur culture plus ou moins "libérale", interfère directement sur
leur stratégie. Quels sont aujourd'hui les acteurs susceptibles de peser dans
le jeu international depuis le marché français ? Parce qu'elle opère sur son
marché domestique, la division courrier international de La Poste est
sensiblement plus puissante que ses nouveaux compétiteurs en France : plus de 2
000 collaborateurs, plus de 150 pays desservis, pour un chiffre d'affaires de
près de 460 millions d'euros. Pour faire face à l'opérateur local comme aux
autres acteurs postaux en Europe, les Postes anglaise et néerlandaise, ainsi
que l'opérateur de Singapour, ont choisi l'association, en formant l'entité G3
Worldwide Mail NV, présente en France avec sa filiale G3 Worldwide France SAS
et développant la mar-que Spring. Deutsche Post Global Mail (DPGM, 1,5
milliard d'euros de chiffre d'affaires) est la filiale courrier international
de Deutsche Post World Net. Dans l'Hexagone, la société emploie 8 personnes,
dont une basée à Lille, terre d'élection d'une VAD qui représente une grande
partie de l'activité de DPGM France. La Poste allemande gère en effet les flux
vers l'Allemagne de sociétés comme Cyrillus, Pierre Ricaud ou Raja, Movitex,
Daniel Jouvance... Pour Bertrand Buisson, directeur général de la filiale
française de DPGM, la liste des compétiteurs en France est brève : « La
direction courrier international de La Poste, Spring, Swiss Post et, de temps
en temps, la Poste belge. » L'un des atouts de la Poste allemande sur le
marché français et sur les autres marchés européens non domestiques, c'est son
engagement dans la course internationale. L'opérateur germanique s'est
développé notamment dans le secteur de la logistique pour les clients B to B,
tablant sur une augmentation annuelle de 9 % sur ce type de prestations.
Parallèlement à l'augmentation des revenus générés par la logistique et les
services financiers, qui représentent aujourd'hui, les deux tiers des recettes
(contre 26 % quelques années plus tôt), la part des revenus courrier a été
réduite à 34 %.