Recherche

Le courrier s'affranchit des frontières 1/3

Devant les échéances successives de l'ouverture des marchés postaux à la concurrence, opérateurs institutionnels et sociétés de routage définissent leur stratégie. Mais la perméabilité culturelle et structurelle à la libre concurrence reste variable d'une entreprise à l'autre.

Publié par le
Lecture
7 min
  • Imprimer


«Les enjeux vont réellement devenir européens. Les grands comptes ayant recours au mailing commencent à venir aux campagnes internationales. » Alain Gazard, P-dg d'Eurodirect Marketing, est sans ambiguïté : le marketing direct est d'ores et déjà porteur d'une dimension européenne. De fait, le passage à l'euro a été l'aiguil- lon d'une tendance naissante à l'internationalisation des communications. Avec des catalogues tout en euro, les vépécistes peuvent en effet légitimement concevoir de concentrer leurs opérations de mailings dans les mains d'opérateurs uniques. Reste à savoir si les opérateurs les plus institutionnels sur ce marché européen du marketing direct, à savoir les Postes, sont en mesure d'anticiper, ou simplement de répondre, à l'évolution des demandes. En France, la réalité "domestique" du marketing direct ne fait pas de doute. Une commande sur deux est passée par courrier. Plus de 50 % des Français achetant à distance le font au travers d'un mode de commande postal. Et les entreprises de vente à distance et utilisatrices de marketing direct représentent près de 80 % de l'activité de La Poste en lui apportant 2,5 milliards d'euros. Mais, quel que soit le poids domestique du marketing direct, l'institution postale française doit aujourd'hui regarder au-delà des frontières nationales. Le 1er janvier 2003 a marqué la première étape de l'ouverture des marchés domestiques à la concurrence sur les lettres de plus de 100 grammes. Jusqu'à présent, la compétition se limitait aux envois depuis la France vers les pays étrangers pour les plis supérieurs à 350 grammes et les colis, soit 10 % du marché total du courrier. Pour l'ensemble des acteurs nationaux, l'ouverture de la concurrence aux expéditions transfrontalières constitue un enjeu économique majeur, préfigurant leur aptitude à défendre des prés carrés domestiques lorsque la concurrence se fera totale. En 2001, dans le cadre de travaux parlementaires au Sénat, Martin Vial, ex-président de La Poste, précisait que « le premier client (de La Poste, ndlr), un groupe de vente par correspondance, réalise plus de 60 % de son chiffre d'affaires en dehors de notre territoire ».

Chiffre d'affaires du MD postal dans le monde : 420 Md$


Selon l'Union Postale Universelle (UPU), le chiffre d'affaires du trafic postal marketing direct dans le monde d'ici à 2005 représenterait 420 milliards de dollars. Bientôt, les frontières tomberont devant l'aptitude des acteurs postaux à déployer des stratégies internationales. Les différents acteurs postaux européens en sont à des stades assez divers de l'intégration d'une culture de compétition. En effet, la libéralisation des marchés en Europe s'est faite de manière hétérogène. Ainsi, en Espagne, les services les plus rentables du marché postal, comme le trafic postal urbain, le publipostage ou les colis express sont libéralisés depuis plusieurs dizaines d'années. Et l'on dénombre plusieurs centaines d'opérateurs postaux, de taille variée, agissant sur les segments de la lettre urbaine et du publipostage. Aux Pays-Bas, le gouvernement a décidé dès 1989 la privatisation des services postaux, tout en conservant à l'Etat son rôle d'actionnaire principal dans le capital de l'acteur historique. La TPG a été la première Poste cotée en bourse en Europe. Aujourd'hui, le domaine réservé aux Pays-Bas représente un quart du marché (hors colis et service express), contre plus de 90 % en France. En Allemagne, le gouvernement a libéralisé en 1997, pour ouvrir le marché de manière graduelle jusqu'à 2008. Une centaine d'acteurs étaient candidats et 3 000 licences ont été accordées à des entreprises, notamment des PME locales. Les acteurs nationaux sont les mêmes que ceux qui interviennent sur le marché du colis : UPS, DPD... Aujourd'hui, la Poste française est avec la Poste luxembourgeoise la dernière en Europe à conserver un statut d'établissement public. Les autres sont toutes devenues des sociétés anonymes. Pour autant, l'ouverture à la compétition ne signifie pas cession des marchés domestiques aux différents compétiteurs. L'expérience montre que les acteurs historiques conservent des parts de marché très importantes, protégés la plupart du temps par une libéralisation très progressive leur garantissant des marchés réservés. D'autre part, le ticket d'entrée pour développer un réseau postal est très lourd et les Postes domestiques sont localement très favorisées. En Allemagne, l'un des pays qui, comme les Pays-Bas, a sans doute joué le mieux le jeu de la libre concurrence, les compétiteurs avaient accaparé au terme de trois ans de libéralisation 3 % du marché. Alors que seulement 25 % de ce marché demeuraient ouverts (pour un chiffre d'affaires potentiel de 2,5 milliards d'euros). Ce qui signifie bien à quel point, malgré la fin juridique du monopole, les opérateurs historiques ont de facto toutes les chances de conserver un monopole de fait. C'est pourquoi l'ouverture à la concurrence du marché des expéditions internationales constitue un enjeu de taille : elle permet aux acteurs locaux de jouer sur un terrain d'égalité et, partant, de mesurer leur force commerciale et leur aptitude à conquérir les mêmes marchés. Selon l'UPU, le marché mondial du courrier transnational représenterait 12 milliards d'euros, avec une croissance avoisinant les 4 %. Le premier acteur du marché étant l'USPS avec 16 % de part de marché, devant Deutsche Post Global Mail (14 %), Royal Mail International (7 %), La Poste (6 %), TPG (4 %). Les acteurs indépendants représentent 14 % du marché (4 % pour Spring, 4 % pour les groupeurs américains, 2 % pour les groupeurs anglais, 1 % pour Mercury...).

Des opérateurs postaux plus ou moins "libéraux"


En Europe, les différentes Postes locales n'ont pas choisi les mêmes approches pour répondre aux premières étapes de la dérégulation. Leur poids respectif, tout comme leur culture plus ou moins "libérale", interfère directement sur leur stratégie. Quels sont aujourd'hui les acteurs susceptibles de peser dans le jeu international depuis le marché français ? Parce qu'elle opère sur son marché domestique, la division courrier international de La Poste est sensiblement plus puissante que ses nouveaux compétiteurs en France : plus de 2 000 collaborateurs, plus de 150 pays desservis, pour un chiffre d'affaires de près de 460 millions d'euros. Pour faire face à l'opérateur local comme aux autres acteurs postaux en Europe, les Postes anglaise et néerlandaise, ainsi que l'opérateur de Singapour, ont choisi l'association, en formant l'entité G3 Worldwide Mail NV, présente en France avec sa filiale G3 Worldwide France SAS et développant la mar-que Spring. Deutsche Post Global Mail (DPGM, 1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires) est la filiale courrier international de Deutsche Post World Net. Dans l'Hexagone, la société emploie 8 personnes, dont une basée à Lille, terre d'élection d'une VAD qui représente une grande partie de l'activité de DPGM France. La Poste allemande gère en effet les flux vers l'Allemagne de sociétés comme Cyrillus, Pierre Ricaud ou Raja, Movitex, Daniel Jouvance... Pour Bertrand Buisson, directeur général de la filiale française de DPGM, la liste des compétiteurs en France est brève : « La direction courrier international de La Poste, Spring, Swiss Post et, de temps en temps, la Poste belge. » L'un des atouts de la Poste allemande sur le marché français et sur les autres marchés européens non domestiques, c'est son engagement dans la course internationale. L'opérateur germanique s'est développé notamment dans le secteur de la logistique pour les clients B to B, tablant sur une augmentation annuelle de 9 % sur ce type de prestations. Parallèlement à l'augmentation des revenus générés par la logistique et les services financiers, qui représentent aujourd'hui, les deux tiers des recettes (contre 26 % quelques années plus tôt), la part des revenus courrier a été réduite à 34 %.

Muriel Jaouën

S'abonner
au magazine
Se connecter
Retour haut de page