LES RETAILERS ENCORE TIMIDES SUR LE WEB
Darty, Conforama, Sephora, Celio et bientôt Zara, les grandes enseignes de retail arrivent en force sur la Toile en développant une activité de vente à distance. Boostées par la concurrence des pure players, ces marques d'ordinaire visibles à travers des boutiques doivent désormais s'adapter à la culture du Web et modifier leur organisation.
Je m'abonneChoc des cultures
Contrairement à ce qui s est passé sur les marchés anglo-saxons, l'arrivée des retailers traditionnels dans le paysage de l'e-commerce français est un phénomène récent, qui remonte à environ deux ans. Si quelques pionniers ont . su, grâce à une offre pertinente, se faire une place sur la toile, les marques qui se lancent actuellement doivent composer avec la concurrence des pure players. Pour autant, tous n'adoptent pas les mêmes modèles ni la même stratégie.
Ira, ira pas ? L'enseigne Zara joue l'Arlésienne depuis un an, date à laquelle était annoncé le lancement de son site de vente en ligne. A ce jour, toujours rien sur la Toile. Pourtant, le phénomène qui pousse les commerçants à passer sur le Web est, lui, bien présent.
Les Conforama, Promod, IKKS et, plus récemment, Celio ont ainsi emboîté le pas aux pionniers, de Darty à Etam en passant par Kiabi ou la Fnac. Effet de mode ? Plutôt un passage obligé pour rester dans la course. En effet, l'érosion des ventes en magasins, couplée à la forte émergence de l'e-commerce, a contraint les enseignes de distribution «traditionnelles» à se risquer en ligne. Et fidèles à leur réputation d'irréductibles Gaulois, les Français ont, dans ce domaine, un bon train de retard. Car ce phénomène n'est pas récent dans les pays anglo-saxons, où la plupart des chefs de file actuels de l'e-commerce sont avant tout des retailers physiques. Tesco en Angleterre et Walmart aux Etats-Unis en sont les meilleurs exemples : en quelques années, les deux géants de la grande distribution ont parfaitement su négocier leur déclinaison e-commerce et sont aujourd'hui respectivement nu méros 1 et 2 sur leur marché domestique. Même réussite pour Toys'R'Us, la chaîne de magasins de jouets, qui s'est imposée en créant son site marchand en 1998. Ce dernier réalise près de 360 millions d'euros de CA rien qu'aux Etats-Unis. « Le retard français s'explique de plusieurs manières, note Denis Peyre, fondateur et dirigeant de Kiala. Tout d'abord, certains se sont lancés trop tôt, dès le début des années 2000, alors que le marché n 'était pas encore mûr. D'autres ont attendu, car il y a toujours la crainte que la boutique en ligne d'une enseigne vienne cannibaliser son réseau de magasins, surtout dans le cas de franchisés. »
Et ce raisonnement persiste. En effet, la plupart des enseignes qui s'aventurent aujourd'hui dans l'e-commerce s'appuient justement sur la force de leur organisation multicanal. Ainsi, Fnac.com a, depuis son inauguration en 1999, toujours mis en avant l'interaction entre ses magasins et le site. Et la possibilité pour le client de commander en ligne et d'être livré en magasin ou, au contraire, de commander en magasin un produit indisponible en stock et de le recevoir à domicile. « Ces enseignes n'ont de toute façon plus le choix, note Marc Lolivier, délégué général de la Fevad. Leur stratégie de diversification de canaux est dictée par les consommateurs qui aujourd'hui ne se satisfont plus de sites vitrines et attendent un prolongement de l' offre sur le Web. Mais aussi et surtout par la concurrence des pure players sur certains secteurs. ». Ainsi, Apple ou Nike, à la tête d'imposants réseaux de magasins physiques, se sont rapidement positionnés sur Internet pour contrer la concurrence de pure players proposant des produits à des prix plus attractifs.
LE VIRAGE EN LIGNE
La stratégie web du constructeur à la pomme est de ne proposer que des produits exclusifs et personnalisés pour construire sa notoriété en ligne, puis d'élargir progressivement l'offre à l'ensemble de ses gammes. Le secteur du high-tech et des produits culturels est, en outre, l'un de ceux où les lignes ont bougé le plus tôt et le plus vite. La raison ? Une concurrence exacerbée des géants du Web, à commencer par le champion toutes catégories, Amazon. A l'inverse, le secteur du textile a mis du temps à amorcer son virage en ligne. Il est pourtant, aujourd'hui, l'un des plus dynamiques, au grand dam des poids lourds de la VAD traditionnelle, qui souffraient déjà de la concurrence du retail physique dans cette catégorie de produits. Selon la Fevad, le retail représenterait déjà presque 30 % des ventes de vêtements sur Internet (contre 51 % pour les VADistes) « Il va être très compliqué de contrer cette nouvelle forme de concurrence pour La Redoute et autres vépécistes, qui sont déjà en plein bouleversement culturel et organisationnel », estime Pierre Kosciusko-Morizet, dirigeant de PriceMinister.com et président de l'Acsel, association de l'économie numérique.
Car pour assurer leur réussite et la rentabilité de leur modèle sur le Web, les retailers disposent d'un atout considérable : le sourcing et les volumes d'achats. En effet, ils sont en général bien implantés chez les fournisseurs et maîtrisent parfaitement ce type de relation. « Les gros distributeurs, leaders sur leur secteur, bénéficient d'un avantage de taille leur permettant de dégager d'importantes marges brutes, affirme Michel de Guilhermier, dirigeant d'Inspirational Stores, société de conseil et d'accompagnement dans les stratégies e-ommerce.
Si l'on compare, aux Etats-Unis, Amazon, roi de l'e-commerce, avec Walmart, géant de la grande distribution, le premier n'est qu'un nain en volumes d'achats par rapport au second ! » Pierre Kosciusko-Morizet va plus loin encore : « Certains pure players commencent à se plaindre de ne pas pouvoir être livrés de certaines références, car les retailers font pression chez leurs fournisseurs. »
Autre argument qui joue en faveur de l'implantation des distributeurs physiques sur la Toile : la notoriété. Quand Darty, présent depuis plus de 50 ans en France, débarque avec un site web reprenant l'ensemble de l'offre et surtout les garanties ayant forgé son succès auprès des consommateurs, c'est le succès assuré. « Et pourtant, Darty ne pratique pas la guerre des prix inhérente à l'e-commerce, souligne Olivier Bronner, dirigeant de Plan. Net, l'agence interactive qui administre le site web de la marque. Le site est juste une émanation de l'enseigne sur un canal différent. Il propose, certes des produits d'appels pour faire face à la concurrence, mais reprend surtout les codes qui ont forgé la réputation de la marque. » Services, notoriété et offre produits pertinente, un triptyque qui permet également à Kiabi.com, autre géant du retail textile français, de se hisser régulièrement parmi les 15 premiers sites d'e-commerce français.
Autant d'exemples de réussite qui pourraient laisser croire que l'implantation des distributeurs sur le Web est une simple formalité. Or, tout n'est pas si simple. Les candidats doivent faire face à des handicaps de taille avant de pouvoir prétendre concurrencer des pure players combatifs sur la Toile. A commencer par le manque de culture internet. « La vente en ligne et la distribution physique sont deux métiers différents. On ne s'improvise pas e-commerçant du jour au lendemain, même si l'on est une grande enseigne de retail », affirme Denis Peyre (Kiala).
UNE CULTURE WEB D'AVANCE
Car l'e-commerce évolue vite et nécessite une grande réactivité face à une concurrence agressive, tant au niveau des prix que de l'offre produits. La logique 100 % web du «one click away» (à un clic du concurrent) n'est pas familière aux enseignes traditionnelles. Face à ce manque d'expérience, les stratégies divergent. Certains ont pris le parti de racheter des sites pour ajouter le canal internet à leur activité. Cela a été le cas de Casino avec Cdiscount. Une opération de croissance externe qui a permis au premier d'absorber l'un des leaders de l'e-commerce, avec son savoir-faire en matière d'Internet et de logistique e-commerce, et au second de s'adosser à une enseigne de distribution puissante, bénéficiant d'un sourcing performant. D'autres s'appuient sur les compétences de professionnels de l'e-commerce qu'ils débauchent chez les pure players. « Ce qui est certain, c'est qu'on ne peut pas être dans la réplique pure des techniques brick and mortar, note Yseulys Costes, dirigeante de 1000mercis. Il faut adopter les codes du secteur si l'on veut réussir. » D'où la nécessité, pour ces retailers, d'être plus réactifs, plus souples sur les prix et, surtout, d'acquérir une culture liée à la connaissance client qui leur fait encore parfois défaut. « Même les leaders de la distribution physique ne disposent, à travers les dispositifs de fidélisation, qu'au maximum de 20 % des coordonnées de leurs clients, poursuit Yseulis Costes. Avec l'e-commerce, ils accèdent à l'ensemble de la data client. Et doivent apprendre à l'exploiter »
Pour autant, acquérir les compétences en interne est une chose, mais encore faut-il que la chaîne logistique suive. Là aussi, les techniques sont différentes et c'est souvent toute une organisation qui est à revoir. Le géant suédois H&M a, de ce point de vue, été victime de son succès. Lancée dans son pays d'origine et aux Pays-Bas depuis quelques années, l'activité de VAD fonctionne tellement bien que le centre de logistique situé en Europe de l'Est est saturé. Résultat, l'ouverture, prévue en 2010, des sites britannique et français a été reportée sine die. En revanche, chez Sephora dont le site web équivaut, en termes de chiffre d'affaires et de fréquentation, au premier magasin, la plateforme logistique a été entièrement revue pour répondre à cette problématique. « C'est le même site qui approvisionne nos points de vente et nos envois à distance, témoigne Rachel Marouani, directrice marketing clients Europe et directrice générale e-commerce de l'enseigne de parfumerie. En ce qui concerne les retours, ils sont possibles également en magasin. Le multicanal bat son plein. »
LA GRANDE DISTRIBUTION A LA TRAINE
Si les retailers de l'habillement et du high-tech ont trouvé leur place dans l'e-commerce, il n'en va pas de même dans la grande distribution. « C'est un secteur particulier car il vit de l 'alimentaire. Or, l'alimentaire est, pour des raisons liées à la logistique, extrêmement coûteux à vendre en ligne », note Olivier Bronner de Plan.Net, l'agence qui a géré intégralement le lancement en ligne de l'enseigne Simply Market (Groupe Auchan). Certaines marques, pourtant leaders sur leur marché, ont totalement raté leur entrée sur le canal web. C'est notamment le cas de Carrefour, second retailer mondial (96 milliards d'euros de CA en 2009), qui est en pleine refonte de sa stratégie on line. Présent au départ sur le Net via deux marques distinctes (Boostore et Ooshop), l'enseigne entend désormais capitaliser sur son nom et ne plus communiquer que sur le portail Carrefour.fr. Celui-ci a donc vocation à devenir l'unique point d'entrée vers la vente en ligne de produits alimentaires et non alimentaires. Ainsi, Ooshop et Boostore, déjà accessibles avec l'ensemble des sites de services (Carrefour Voyages, Spectacles, Assurance...) via cette plateforme web, sont progressivement amenés à disparaître en conformité avec la nouvelle politique de marque.
Le Net représente donc un enjeu de taille pour le géant de la grande distribution, qui doit en même temps faire face au déclin du concept d'hypermarché sur le marché français et à la concurrence accrue des enseignes de proximité et de centre-ville, comme Monoprix. Ce dernier s'est mis assez tardivement à la vente en ligne, mais le site Monoprix.fr enregistrerait, selon la direction, des résultats conformes à ses prévisions. A l'heure où les places sur le Web commencent à être chères, les enseignes de GSA mettent les bouchées doubles pour essayer de combler leur retard.
Un retailer tentant l'aventure web doit donc à la fois avoir les reins solides et avoir à l'esprit que ce canal ne générera pas de chiffre additionnel, du moins pas au départ. Ainsi, Amazon a mis dix ans avant de pouvoir dégager une marge brute d'environ 13 %. Virgin, de son côté, bien que très bien implanté dans le retail physique ne s'engage pas sur le terrain de l'e-commerce, ne souhaitant pas vendre ses produits à perte. C'est donc une logique de croissance globale que cherchent les retailers en mixant le Web à leur stratégie commerciale. Le véritable enjeu réside dans la synergie entre les canaux en utilisant également le Net comme outil de prescription pour les consommateurs. « Il ne faut pas se leurrer : pour les distributeurs, c'est un investissement nécessaire mais l'objectif principal n'est pas de faire du chiffre à tout prix », explique Marc Lolivier (Fevad). Une explication, peut-être, au manque d'enthousiasme des acteurs à l'idée de s'engouffrer dans la brèche internet.
Le textile investit le Web
Celio et Etam ont pris, à dix ans d'écart, le virage on line.
C'est le secteur qui bouge actuellement le plus sur Internet. L'habillement représente près de 50 % du CA des ventes en ligne, tous secteurs confondus. C'est dire si le potentiel est important pour les marques leaders. Très attendu, le site de vente en ligne Celio a vu le jour en novembre dernier. Conçue comme un service additionnel offert aux clients fidèles de la marque, cette boutique virtuelle reprend l'intégralité de l'offre de l'enseigne, soit plus de 1 000 références, et représente le chiffre d'affaires d'un magasin de taille importante. « Il nous sert aussi de support de relais pour les opérations promotionnelles en boutique, car nous avons constaté qu'une grande majorité des clients qui achètent en magasin consultent d'abord le site pour découvrir nos offres », explique Christian Pimont, président de Celio International. Côté organisation, la marque a choisi d'externaliser totalement la logistique pour l'activité de VAD. « Nous avons choisi de la sous-traiter à un prestataire spécialisé. Sinon, cela nécessitait de revoir entièrement notre organisation logistique et représentait donc un investissement trop lourd », poursuit le dirigeant. Pour l'heure, les clients de Celio n'ont pas d'autre option que de se faire livrer à domicile, mais la marque réfléchit à la mise en place d'un système de «click and collect» en magasin. Dans sa logique multicanal, elle est également très active sur le mobile et organise, depuis deux ans, des soldes sur ce canal.
Autre marque active sur le Web, Etam fait figure de pionnier dans la vente d'habillement en ligne. Le site de l'enseigne de prêt-à-porter a lancé son site marchand dès 2000. « Le groupe a toujours eu la volonté d'être innovant, témoigne Emmanuelle Bach-Donnard, directrice du marketing relationnel et internet d'Etam. Nous avons donc décidé de nous positionner sur le Web alors même que l'e-commerce n 'avait pas encore franchement décollé sur le marché français. » Très vite, la direction constate que plus de 50 % des visiteurs du site surfent en vue de préparer un achat en magasin. Du coup, elle propose l'intégralité de l'offre boutique. « L'avantage d'Internet, c'est la possibilité de présenter une gamme infinie, poursuit la responsable. Ainsi, nous pouvons offrir à nos clients des collections développées exclusivement pour le site. De même, les articles saisonniers, comme les maillots de bain, qui ne peuvent être vendus en boutique que quelques semaines, sont achetés tout au long de l'année sur Etam.com. » La marque cherche, en outre, par tous les moyens à développer les passerelles entre le réseau de magasins et la boutique en ligne. Le programme de fidélité est commun aux deux canaux et tous les supports de communication MD (mailings, SMS et e-mailings) renvoient vers le site. « Il a pour objectif principal de générer des ventes mais il est aussi un puissant vecteur d'image pour une enseigne comme la nôtre. » Aujourd'hui, Etam.com représente le premier magasin de la marque en volume. Il réalise un peu moins de 6 millions de chiffre d'affaires annuel, soit environ 3 % des revenus du groupe.
PIERRE KOSCIUSKO-MORIZET/PRICEMINISTER.COM
CERTAINS PURE PLAYERS COMMENT A SE PLAINDRE DE NE POUVOIR ETRE LIVRES DE CERTAINES REFERENCES, CAR LES RETAILERS FONT PRESSION CHEZ LES FOURNISSEURS.
TOP 10 DES SITES D'ACHAT D'HABILLEMENT 2009
(TAUX DE PENETRATION SUR LE MARCHE TRICOLORE) !
Deux retailers, Kiabi et Decathlon, figurent parmi les leaders de la vente de textile en ligne.
ZOOM
Petco, le modèle américain
Le leader du petfood (nourriture pour animaux) américain est un bon exemple d'intégration du multicanal. Disposant d'un site de vente en ligne depuis 2001, la marque n'a eu de cesse de développer le cross chanel en jouant à fond la carte de la synergie entre son réseau de 950 boutiques et son magasin virtuel. Premier argument commercial mis en avant : la possibilité de retourner les articles commandés en ligne dans le magasin de son choix. Un service que près de 20 % des retailers américains ne proposent toujours pas. Le programme de fidélité, actif depuis 1997, est, en outre, valable on line et dans le réseau. Et chaque e-mailing envoyé à la base de clients (69 versions différentes pour coller aux différents profils) renvoie aussi bien sur les boutiques physiques les plus proches que sur le site.
Mais l'originalité du modèle de Petco.com réside dans l'utilisation des réseaux sociaux pour booster à la fois le trafic en boutique et on line. Chaque magasin peut créer une page sur Facebook et relayer divers événements, des opérations spéciales, y compris... les concours de chihuahuas !
LA PAROLE AUX INTERNAUTES
REPONDEZ A LA QUESTION DU MOIS SUR
WWW.E-MARKETING.FR
LES RETAILERS (H&M, ZARA) QUI S'IMPLANTENT SUR LE WEB PEUVENT-ILS CONCURRENCER SERIEUSEMENT LES E-MARCHANDS EN PLACE ?
74 % OUI
26 % NON
LEURS RESEAUX PHYSIQUES SONT-ILS UN AVANTAGE, EN TERMES DE CREATION DE TRAFIC ?
93 % OUI
7 % NON
QUELS SERVICES PEUVENT-ILS APPORTER FACE A LA CONCURRENCE ?
Emmanuel Pignol
« Les internautes s'attendent à retrouver les mêmes services que dans les points de vente physiques, avec les avantages liés au support web (disponible à domicile 24h/24, avec la possibilité de comparer les offres des différents annonceurs rapidement et simplement). »
Charline C.
I« Les échanges sont simplifiés, le contact est direct, on peut essayer, toucher le produit. »
Collections développées pour le site, opérations promotionelles...
L'offre spécifique web complète l'offre proposée en boutiques.
RAPHAEL HODIN,
Highco 3.0
Highco, agence spécialisée «store & digital» accompagne ses clients sur l'ensemble des métiers liés aux réseaux (publi-promo, création de trafic, fidélisation...) en y travaillant les synergies digital/off line.
RAPHAEL HODIN/HIGHCO 3.0
2010, année de l'«e-tailing» ?
A chaque année son concept, à chaque année sa hype. En 2010, le monde du Web a exhumé un terme antédiluvien : l'e-tailing. Ce qui désignait, en 1995, l'e-commerce au sens large désigne désormais un modèle de distribution idéal (lire multicanal), dans lequel le consommateur consomme (plus) en passant d'un canal à l'autre.
La continuité de la relation client, du Web au point de vente, s'impose à des distributeurs traditionnels, qui ne l'ont pas nécessairement anticipée. En matière d'e-tailing, les usages ont précédé l'offre. Le consommateur surfe désormais sur Internet pour choisir, en amont, son produit. Il exige de trouver sur le site du distributeur les informations relatives au point de vente le plus proche de chez lui : prix pratiqué, disponibilité du produit, services associés...
Et exige, à l'inverse, de pouvoir traiter sur le Web toutes les questions liées au SAV de ses achats en magasin. Le site marchand d'une enseigne ne peut donc plus se contenter d'être «un magasin de plus» au sein du réseau. Il doit devenir un canal transactionnel et relationnel au même titre que les points de vente physiques. Cet enjeu sera d'autant plus crucial que le développement des services mobiles permettra d'interagir simultanément on line et en magasin : comparer les prix pratiqués avec ceux du magasin voisin, choisir ses promotions, consulter son solde de points fidélité...
Peut-on gagner la guerre quand on arrive après la bataille ?
Les places sur Internet sont désormais chères. La plupart des enseignes traditionnelles, malgré leurs atouts (notoriété, puissance d'achat, bases de clients encartés), peinent à émerger sur le secteur de la VAD. Toutefois, l'exemple des marchés anglo-saxons leur redonne du baume au coeur : les sites des enseignes historiques y ont souvent triomphé, concurrencés par quelques pure players.
Le développement de l'Internet marchand et l'irruption du canal web au sein de leur système remettent en cause le modèle des enseignes traditionnelles sur bien des plans :
- Logistique : comment faire vivre deux canaux tout en bénéficiant des économies d'échelle des réseaux ?
- Assortiment et politique de prix : les produits et les prix du site marchand d'une enseigne ne reflètent pas forcément l'offre proposée au sein des magasins. Le défi vire au casse-tête lorsque les points de vente adaptent leur tarification et leur assortiment en fonction de la concurrence de la zone de chalandise.
- Cannibalisation : les distributeurs et les fabricants doivent développer ce nouveau canal sans détourner la clientèle des points de vente. D'autant plus difficile qu'il faut ménager ses distributeurs ou protéger ses franchisés.
- Relation client : le relais on line des programmes de fidélité reste pour le moment limité : peu détaillé, différé, sans interactivité, déconnecté du off line.
Pour répondre à ces défis, les distributeurs s'inspirent notamment des modèles britanniques («so close, so far») et s'attellent, en parallèle, aux chantiers logistiques et marketing, en s' appuyant sur le savoir-faire des agences.
Les gazelles doivent-elles craindre les dinosaures ?
Les pure players ont démontré que la distribution on line se nourrissait de compétences spécifiques : maîtrise du coût d'acquisition, gestion du dernier kilomètre et du référencement, relationnel personnalisé, politique prix agressive... Toutefois, l'exemple anglais révèle les handicaps des pure players par rapport aux enseignes traditionnelles : un défaut de notoriété moindre et une puissance d'approvisionnement inférieure. Même le modèle économique reste incertain : après une décennie de croissance du chiffre d'affaires et de bataille sur les parts de marché, les e-marchands leaders ont atteint une taille respectable sans atteindre les taux de rentabilité du off line, pris entre les limites de leur puissance d'achat et l'impératif d'une politique prix agressive.
Pour ne pas se retrouver eux-mêmes les dinosaures d'une nouvelle ère glaciaire, les e-archands revoient leur stratégie à l'aune des enjeux de l'etailing et font le chemin inverse pour s'implanter dans le monde réel. Et quand les enseignes traditionnelles ont renoncé à leur rêve d'île sur Second Life, certains pure players se verraient bien avec un îlot dans des malls très réels. First Life, concept hype de 2010?