Implanter le gène de la fidèlisation
Son parcours au service du marketing direct est impressionnant… Marie-Françoise Kerhuel, directrice générale des Editions Atlas, poursuit, depuis quinze ans, son épopée de la vente à distance chez le troisième éditeur français. Pour séduire les passionnés, ses techniques de vente, éprouvées, s'appliquent avec succès aux produits culturels.
Je m'abonneMarketing Direct Quelle part représente Les Editions Atlas au sein du groupe italien Di Agostini ?
Marie-Françoise Kerhuel Di Agostini est un groupe centenaire qui réalise 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires. La division publishing pèse 1,2 milliard d'euros. On y trouve Atlas Group, la branche de marketing direct, qui totalise 620 millions d'euros, dont 420 millions générés par les Editions Atlas. La France reste donc prédominante dans ce groupe dédié au marketing direct.
MD Quelle est la culture de la maison mère ?
M.-F. K. nous avons une culture entrepreneuriale d'engagement. Nous sommes dans un groupe décentralisé où nous donnons un maximum de responsabilités aux petites entités. Cela veut dire que nous mettons à la tête des “business units” des personnes autonomes capables de développer leur activité. Nos centres éditoriaux sont également décentralisés dans les grands pays, en Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Espagne et bientôt Russie. Cela participe à la dynamique de l'entreprise : créer de l'émulation et non de la concurrence interne. D'ailleurs, nous essayons de valoriser les “champions”, les personnes qui apportent des idées réalisables et rentables. Nous fonctionnons à l'opposé de notre concurrent suédois, IMP, qui repose sur un mode très centralisé.
MD Votre savoir-faire tient-il de l'édition ou du marketing ?
M.-F. K. Des deux, mon capitaine ! Les éditeurs parisiens du 6e arrondissement disent que nous sommes des “marketeurs”. C'est vrai que nous avons une culture historique du marketing direct, mais nous sommes aussi le troisième éditeur de France (désormais devant France Loisirs). Nous créons nos propres produits, originaux, uniques, que nous souhaitons porter à la connaissance du plus grand nombre. Pour la partie marketing, nos canaux de distribution nous permettent de toucher directement le consommateur. En ce sens, nous influençons l'achat et n'avons pas d'intermédiaires. Même dans les kiosques, nous décidons des mises en place et des quantités à fournir. Nous sommes les vendeurs de nos produits. Et, forcément, nous sommes les champions des offres et des incentives !
MD Comment se décline votre stratégie multicanal (kiosque, VPC, abonnement et vente à domicile) ?
M.-F. K. En VPC (50 % du chiffre d'affaires), nous vendons beaucoup grâce à la publicité dans les magazines télé (soit 20 millions d'exemplaires). Nous sommes un très gros annonceur de la presse télévision en France. Pour lancer un produit, nous investissons dix millions d'euros nets. Ensuite, nous utilisons tous les médias du MD : encarts extérieurs (échanges avec des sociétés de VPC), mailings à partir de notre base de données, mais aussi à travers nos propres colis, nos factures et le télémarketing… En parallèle, nous relançons Internet comme un média de recrutement additionnel. Nous développons également la vente directe en télévision. Côté kiosque (40 % du chiffre d'affaires), nous vendons aussi grâce à la publicité télé (10 millions d'euros nets par lancement également). Une fois le numéro 1 acheté (très visible en kiosque), les consommateurs réservent la collection auprès du marchand de journaux ou renvoient un encart d'abonnement pour la recevoir directement chez eux. Enfin, nous utilisons le canal de la vente à domicile. Sur le terrain, 350 agents commerciaux indépendants vendent nos collections sur coupons (insérés dans les fascicules pour demander la visite d'un agent commercial), à crédit. Ces collections dites “de luxe” sont enrichies de produits additionnels dans le même univers. Par exemple, des home cinémas vendus avec la collection des films de Louis de Funès. Et cela fonctionne très bien. Parallèlement, nous sourçons beaucoup de produits auprès des marques en licence.
MD Comment passe-t-on de l'encyclopédie générale aux fascicules thématisés vendus en kiosque ? Quelles recettes marketing applique-t-on ?
M.-F. K. C'est une présentation différente. Le “truc”, c'est de découper l'information en petits morceaux sous forme de fascicules, de fiches, de livres. L'idée est de reconstituer une encyclopédie à son rythme, sans contraintes. De la rendre accessible sur la forme et sur le fond. Même si, au final, on a la même information. L'objectif : créer l'envie de recevoir quelque chose régulièrement chez soi. Le vrai collectionneur ne peut pas s'arrêter ! Nous n'avons pas beaucoup de “gimmicks” de fidélisation. Nous souhaitons mettre le gène de la fidélisation dans le produit lui-même. Le pari est gagné quand les clients nous demandent de prolonger les séries !
MD Quelle est votre méthode pour proposer des produits culturels et de loisirs de niche en adéquation avec la demande des consommateurs ?
M.-F. K. Nous avons des équipes mixtes de marketeurs et d'éditeurs d'environ 130 personnes. Les premiers flairent l'air du temps et négocient les licences (Tintin, Astérix, Babar, Barbie…). Les seconds bâtissent le concept et réalisent la collection (format, support, objets…). C'est à eux d'unir le fond et la forme. En complément, nous avons une veille concurrentielle, y compris à l'échelle internationale. Nous disposons des résultats de toutes les collections dans tous les pays, sur lesquels nous pouvons rebondir rapidement. Le plus difficile étant de trouver l'angle d'attaque…
MD Votre cible naturelle, ce sont les passionnés. Pour ceux-là, la fidélisation est acquise. Mais pour recruter auprès d'un plus large public, quelle est votre stratégie ?
M.-F. K. Traditionnellement, nous nous adressons à des cibles microscopiques. Par exemple, nous savons qu'il y a, en France, 25 000 personnes passionnées de Napoléon. Or, nous avons vendu 330 000 premiers numéros de la collection “Les soldats de plomb de Napoléon”. C'est bien la preuve que nous révélons des centres d'intérêt en attirant des curieux. Globalement, le public achète les premiers numéros, puis nous en perdons 50 % relativement vite. Mais nous restons largement au-dessus du taux de fidélisation. C'est le principe de l'échantillonnage. Il faut convaincre à distance. C'est une vraie stratégie offensive, puisque nous sommes sur un marché de l'offre et non de la demande.
MD Quelle est votre politique de testing avant de lancer de nouvelles collections ?
M.-F. K. proposons environ vingt-cinq collections par an. En kiosque, nous faisons des tests sur quelques villes. Les trois premiers numéros sont proposés sans publicité, puis nous regardons ce qui se passe. Et nous savons extrapoler les résultats, au plan national, si ce dispositif s'accompagne de publicité. Cela conditionne notre volonté ou non de poursuivre la collection. En VPC, nous soumettons un encart auprès d'une population représentative (5 000 personnes environ) et nous vérifions qu'il y a un attrait pour le concept. Si c'est bien le cas, quelques exemplaires sont lancés et nous mesurons l'adhésion au produit. Puis nous extrapolons ces chiffres en fonction des produits et des cibles. Malgré tout, il reste une part de risque.
MD Combien d'échecs enregistrez-vous chaque année en matière de lancements ?
M.-F. K. Il n'y a jamais, à proprement parler, d'échec. Car, quand on lance une collection, les investissements sont tellement lourds (sur le plan publicitaire et éditorial) que l'on ne peut pas se permettre de s'arrêter au n°1, 2 ou 3. Ce serait économiquement une aberration. Disons qu'en général les tests sont fiables. En revanche, la fidélité envers le produit peut varier. Dans ce cas, nous modifions le nombre de séries. Mais, pour autant, nous n'avons jamais fait de collection au-dessous de vingt-cinq numéros.
MD Encyclopédies, DVD… Certains quotidiens nationaux ont investi le terrain. Est-ce une concurrence pour vous ?
M.-F. K. Ces actions viennent essentiellement d'Italie et d'Espagne, où elles sont extrêmement puissantes au regard des tirages des quotidiens. Dans ces pays, elles ont porté atteinte à la vente en kiosque. En France, le phénomène est 2006différent, puisque ces offres ne sont intéressantes que pour des journaux vendus en kiosque. Or, la France est un pays d'abonnement puissant. Et puis, il y a d'énormes freins des éditeurs classiques, très protectionnistes. Aux Editions Atlas, nous n'avons pas été touchés par ce phénomène.
MD Pouvez-vous détailler vos activités sur Internet ?
M.-F. K. A ce jour, le Web est un canal de recrutement additionnel. Nous avons été traumatisés par l'explosion de la bulle, dans laquelle nous avons perdu des plumes. Aujourd'hui, nous envisageons la Toile comme un média classique. Nous allons refondre totalement notre site et en faire un outil de vente. Pour cet automne, nous préparons des sites dédiés à nos marques : Editions Atlas, Atlas For Men, le Centre Européen de Formation… Nous allons ainsi investir 300 000 euros. Dans un deuxième temps, nous organiserons la connexion au service clients et la collecte d'adresses e-mail. Notre but est de relancer les prospects par courrier électronique.
MD Comment activez-vous votre base de données ? Est-elle gérée en interne ?
M.-F. K. Notre base de données Editions Atlas est à 50 % masculine et à 50 % féminine, ce qui est rare en VPC. Elle contient dix millions de noms, dont cinq millions de clients. Parmi ceux-là, 1,5 million sont des actifs (ils dépensent au moins 20 euros par mois). Cette base de données est gérée et segmentée en interne. Aujourd'hui, pas moins de 40 % de nos résultats en proviennent.
MD Comment se porte la marque Atlas for Men ?
M.-F. K. C'est un catalogue de VPC de vêtements outdoor pour les hommes. J'ai lancé la marque en 1999, parce que je sentais qu'il y avait un créneau à exploiter à travers notre base de données. Cette activité réalise 10 % du chiffre d'affaires des Editions Atlas. Nous prospectons par l'envoi de seize catalogues par an, soit un toutes les trois semaines. Aujourd'hui, cette activité n'existe qu'en France, mais nous envisageons de la décliner à l'international.
MD Vous avez ouvert un centre d'appels à Roubaix en 2005. Quel est votre dispositif global de gestion des ventes à distance ?
M.-F. K. Notre plus gros centre se situe à Evreux, dans l'Eure. Il regroupe une entité dédiée à la gestion des produits d'édition, au courtage et au catalogue Atlas For Men. Au total, avec le centre de Roubaix, nous avons environ 140 positions. Notre objectif de développement se situe sur la gestion des demandes liées au Centre Européen de Formation, un établissement d'enseignement à distance.
Parcours
Marie-Françoise Kerhuel est diplômée de l'Essec. Elle effectue toute sa carrière dans la VPC, tout d'abord chez Yves Rocher, où elle s'occupe de l'international, puis chez Françoise Saget de 1987 à 1991. Elle entre ensuite aux Editions Atlas. Elle s'occupe de la division VPC jusqu'en 1998, puis elle est nommée directrice générale en charge des business (VPC, vente en kiosque, vente à domicile). En 1999, elle lance le catalogue Atlas For Men et, en 2003, la collection de lingerie Provéa. Elle est aujourd'hui directrice générale.
Les Editions Atlas
En 1954, avec la Guilde Internationale du Disque, Editions Atlas fut le 1er club de disques par correspondance en France, puis le 1er éditeur de collections de livres classiques. Depuis 1975, la société édite des séries de fiches et fascicules thématiques. L'éditeur est présent chez 30 000 marchands de journaux, réalise 1 200 publications par an, imprime 63 000 tonnes de fascicules et distribue 25 millions d'exemplaires chez les marchands de journaux. En 2005, Editions Atlas a réalisé 420 millions d'euros de chiffre d'affaires en France.