DossierLes médias se réinventent pour sortir de la crise
5 - Native advertising : quand la pub fait clic
Victime d'une baisse de ses taux de clics, le display classique perd de son crédit auprès des annonceurs. Mais un nouveau format, visant à insérer le contenu publicitaire au coeur de l'expérience utilisateur, pourrait bousculer le secteur de la publicité sur le Web?: le native advertising.
L'arrivée de Marissa Mayer à la tête de Yahoo! il y a un an commence à faire son petit effet. La directrice générale n'a pas uniquement relancé la fréquentation du portail. Elle s'est aussi attachée à améliorer les performances du groupe dans la publicité (une priorité pour les prestataires de services gratuits sur Internet, pour qui la publicité est la principale source de revenus). Comment ? Via un nouveau format, "Yahoo Stream Ads", que le groupe américain a lancé au printemps dernier. Le principe : insérer du contenu publicitaire au contenu web. Mais pas de n'importe quelle façon. Ici, la publicité s'intègre aux contenus éditoriaux et s'adapte au ton et au design du support. " Comme avec la recherche web, les utilisateurs apprécient la publicité complémentaire et discrète, résume Marissa Meyer sur le blog de Yahoo! La publicité peut et doit améliorer la découverte des contenus de façon homogène et efficace. "
Cette nouvelle génération de formats porte un nom : le native advertising. Un terme qui se répand comme une traînée de poudre chez les marketeurs. Au point que certains spécialistes prévoient déjà que ce concept sonnera le glas d'un business model de la publicité sur le Net, trop obsédé par la monétisation des audiences. C'est le cas de Julien Verdier, CEO de la régie publicitaire Adyoulike, pour qui le native advertising constitue le futur de la publicité digitale : " 95 % des publicités sur Internet sont des bannières classiques. Il faut en finir avec ces formats ultra-racoleurs et prouver aux annonceurs qu'ils doivent désormais engager un dialogue avec les internautes. " Déjà, la régie est parvenue à convaincre une poignée de marques de l'intérêt de ce concept.
Branding contre performance
Pour vanter les mérites de la box de SFR, Adyoulike a intégré un post vidéo au contenu éditorial du site web L'Internaute. " De cette façon, l'utilisateur a le choix de découvrir ou non la publicité proposée, explique Julien Verdier. Si la publicité apparaît comme trop institutionnelle, ça ne cliquera pas. Les campagnes doivent être converties au format natif choisi et diffusées de façon optimisée, au coeur du contenu éditorial, en respectant l'expérience utilisateur. " Le principal concurrent de SFR, Orange, n'a pas non plus tardé à s'engouffrer dans la brèche. Sur le site du Huffington Post, l'opérateur proposait, en juillet dernier, une brand page intitulée "La vie digitale". Au menu de cette rubrique, des études sur les entreprises innovantes et des éditoriaux analysant la stratégie des leaders de leur secteur. " Avec le native advertising, la marque n'apparaît pas dans les contenus qu'elle offre, soutient Axel Auschitzky, directeur marketing délégué digital de Lagardère Publicité. Par exemple, pour un opérateur, il faudra seulement évoquer des sujets en rapport avec les technologies de pointe en général, et le mobile en particulier. " Le but de la manoeuvre : privilégier une approche de branding à une approche ROIste. " Les marques doivent apporter de l'information et du rêve à l'internaute, et moins miser sur la performance ", ajoute-t-il.
Un business model auquel le directeur marketing de la régie de Lagardère semble croire puisque le groupe a lancé, en mai dernier, la première offre de native advertising pour son titre people, Public. Et il n'est pas le seul. Qu'il s'agisse d'agences ou de régies, les professionnels sont unanimes : le seul critère de la performance a fait son temps. " Au début des années 2000, Internet était un terrain de jeu idéal pour les publicitaires, se souvient Michael Bernier, responsable innovation & développement d'Havas Media. L'absence de formats imposés a conduit les annonceurs à céder à la folie d'une démarche hyper ROIste. Aujourd'hui, il faut privilégier le branding pour arriver à la performance et cela n'est possible que par un seul moyen : mettre les bannières, les pop-up et autres formats classiques et intrusifs à la poubelle. "
De ces formats intrusifs, les Français n'en peuvent plus. D'après une étude que la régie Adyoulike a dévoilé avec l'Ifop l'été dernier, ils sont deux sur trois à considérer la publicité on line comme "une mauvaise chose". Mais il y a plus accablant : 90 % des sondés trouvent la publicité en ligne "omniprésente" et 61 % d'entre eux se déclarent stressés par ses sollicitations incessantes. Autant de points négatifs qui expliquent le déficit de performance du display classique. Selon l'étude "Native Advertising, au coeur du futur de la publicité digitale", dévoilée au début de l'année 2013 par la régie du groupe de presse Express Roularta, le taux de clics de ces formats est passé de 9 % en 2000 à 0,2 % en 2012. On est loin des taux de clics moyens du native advertising, de 6 % à 10 %, relevés par l'agence Outbrain. Cette agence révèle aussi qu'à partir d'une campagne de native advertising, les internautes visitent 44 % de pages de plus par session que ceux venant de moteurs de recherche et 46 % de plus que ceux issus des médias sociaux.
Le prix de l'engagement
Reste que cet engagement plus élevé envers les marques a un prix, difficile à évaluer car les acteurs concernés peinent à s'exprimer sur le sujet. Le native advertising permet de réorienter à la hausse les tarifs de la publicité en ligne. Ce qui profite en large partie aux éditeurs de presse. Car aujourd'hui, c'est essentiellement sur les sites d'information que se développe cette publicité nouvelle génération. " Avec le native advertising, on est dans le "content to content", rappelle Julien Verdier. On doit aller chercher les internautes précisément là où ils sont en train de découvrir du contenu. " Mais qui produit ce contenu ? " Nous proposons à l'annonceur d'écrire un article directement dans le CMS (système de gestion de contenus) que nous mettons à sa disposition ", garantit Axel Auschitzky (Lagardère Publicité). Une pratique qui n'a pas cours chez tous les éditeurs. Sur le site Melty, la Coca-Cola Gaming Zone, espace consacré aux jeux vidéo, est entièrement produite par la rédaction du pure player. De quoi poser des problèmes d'éthique. Reste que pour l'instant, l'éditeur y trouve son compte : Melty dit avoir tiré, du native advertising, 50 % de son chiffre d'affaires de l'an dernier (2,3 millions d'euros).