DossierLes médias se réinventent pour sortir de la crise
1 - "Communiquer dans mes médias en période de crise ne sert pas que le court terme", Didier Beauclair, UDA
Didier Beauclair, directeur médias et relations agences de l'UDA, pose un diagnostic mesuré quant à une reprise durable du marché publicitaire, même si les nouvelles méthodes de ciblage, les ad-exchange et les synergies entre les différents médias ouvrent de multiples perspectives.
Dans quel état d'esprit les annonceurs vous semblent-ils aborder cette fin d'année 2013 ?
Lors des rencontres d'automne que nous avons organisées récemment, ils semblaient aborder la rentrée avec des perspectives encourageantes. Le marché reste toutefois sur des prévisions de croissance très modestes à moyen terme et il peut y avoir des discordances entre les évolutions brutes et nettes. En télévision par exemple, les tensions sur les prix, observées au début de l'année, et le fait qu'elles semblent apaisées en ce moment, montrent bien que notre marché est avant tout régi par l'offre et la demande. À la moindre alerte, et l'équilibre actuel est fragile, les tensions reviendront. D'une manière générale, les communicants, chez les annonceurs et les dirigeants d'entreprise, sont convaincus que communiquer en période de crise ne sert pas que le court terme. C'est aussi essentiel pour le moyen et le long terme. Mais tous n'ont pas la possibilité de le faire. Les logiques d'entreprise et les comptes d'exploitation s'analysent au cas par cas et la publicité reste, malheureusement, une variable d'ajustement.
Les annonceurs bénéficient pourtant d'un effet prix souvent favorable...
L'indice du coût des médias, basé sur des chiffres bruts, reste très stable depuis le début de l'année. L'augmentation de l'offre bénéficie plus à l'acheteur qu'au vendeur, mais le premier élément que les annonceurs prennent en compte reste toujours le budget dont ils disposent. Même si nous vivons une période de reconstruction, il y a des raisons de garder confiance : je veux croire que nous assistons plus à une redéfinition qu'à une dégradation du marché car, in fine, les contenus médias, quel que soit leur vecteur, sont toujours un des meilleurs moyens pour les marques annonceurs de rencontrer leurs consommateurs. Le contact média, générateur d'engagement, continue à avoir de la valeur.
Comment la tension sur les investissements impacte-t-elle le marché de l'achat d'espace ?
Toutes les entreprises, côté annonceurs, agences et régies, sont dans une logique de recherche de profitabilité, ce qui engendre parfois des frictions sur ce marché. Dans un contexte de réduction des budgets, d'atomisation des secteurs et d'abondance de l'offre, les agences doivent, plus que jamais, s'assurer et rassurer sur le fait que leurs recommandations sont au service du développement de la marque annonceur.
Beaucoup de médias se consomment désormais sur plusieurs supports ou en interaction les uns avec les autres. Quels sont les enjeux de ces évolutions pour les annonceurs ?
Les contenus médias qui ont besoin d'être consommés de manière exclusive sont en effet de plus en plus challengés. La télévision, par exemple, tire d'ores et déjà parti du multi tasking et les annonceurs multiplient les expériences fructueuses de communications utilisant mobiles, PC et tablettes en synergie avec le petit écran. Si les consommations de la publicité extérieure ou de la radio, médias de la mobilité et d'accompagnement, ne sont pas directement impactées par la concurrence du Web, elles le sont indirectement : dans cette prolifération de stimuli et de sollicitations médias liées à la digitalisation et au multi-équipement, les marques doivent chaque jour gagner la bataille de l'attention. Il s'agit non seulement d'émerger mais aussi de réussir à rapprocher la marque de l'individu quand elle a réussi à émerger, à créer cet engagement et bien sûr à susciter la transformation qui est l'objectif de la communication. Exploiter les synergies entre les médias est un moyen d'y parvenir.
Les investissements dans le digital augmentent et les annonceurs ont de plus en plus recours au ciblage comportemental et au retargeting... À trop cibler les attentes supposées des prospects, ne restreint-on pas leur exposition à la publicité ?
C'est une des limites du système et les annonceurs en sont très conscients. La plupart sont encore en phase d'apprentissage sur ces sujets et les indicateurs d'efficacité, bien définis et bien suivis, sont un moyen de pilotage étroit des campagnes. Les marques ne doivent négliger aucun moyen de favoriser leur propre émergence, notamment avec le branding, qui renforce l'importance des sites médias. Peut-être va-t-on réapprendre la valeur du contexte !
Les ad exchanges se sont beaucoup développés au cours des 12 derniers mois. Quels enjeux soulèvent-ils en matière de commercialisation de la publicité ?
Les ad exchanges possèdent de véritables atouts pour les marques, d'où leur croissance rapide. Pourtant, la chaîne d'intermédiation qui s'est créée autour d'eux pose de vraies questions en matière de transparence. Ainsi les trading desk récréent-ils une opacité dans la chaîne, qui casse le lien direct entre l'amont et l'aval, alors que la loi Sapin avait aboli l'intervention d'un acteur écran. Ce sujet préoccupe beaucoup les annonceurs, d'autant que tout le monde a conscience que ce mode de commercialisation va grossir et qu'il pourrait être appliqué à d'autres médias. Il est important de garantir que l'intermédiation sert bien les intérêts de la marque.
Les ad exchanges posent également beaucoup de questions sur la data...
Il y a des enjeux tout à fait importants autour de la propriété, du coût et de la robustesse de la data. L'utilisation des données clients doit permettre d'être plus intelligent, d'avoir de meilleures réponses à des stimuli. Si ce sujet est devenu aussi fondamental, c'est que les voies de recueil de la donnée sont de plus en plus importantes et que l'on a désormais les moyens de les traiter.
Qu'est-ce que cela ouvre comme perspectives sur la mesure d'audience ?
Les annonceurs ont besoin de recueillir les informations sur la consommation croisée des médias. Beaucoup d'études reposent encore sur des mesures déclaratives. Or, aujourd'hui, on peut parfois enrichir l'échantillonnage par l'exploitation d'une donnée exhaustive, comme c'est le cas pour la mesure d'audience de l'internet mobile ou en utilisant les voies de retour des box.
Reste à analyser en quoi l'exhaustivité fournit un meilleur service que l'échantillonnage. Nous sommes très attentifs à la mesure passive de la radio que Médiamétrie teste cet automne. C'est une piste intéressante même s'il y a beaucoup d'éléments à vérifier, en termes de fiabilité du dispositif mais aussi de modèle économique. On progresse tous les jours dans les modes de recueil et dans la fusion des différentes bases : l'idée est de toujours mieux comprendre comment les individus sont exposés à nos messages, indépendamment du vecteur utilisé.