Comment unir co-création et brand content ?
Allant plus loin qu'une simple stratégie de contenus générés par l'utilisateur, certains annonceurs font le pari de cocréer leurs contenus de marques avec leurs fans, transformés pour l'occasion en véritables ambassadeurs.
Comme l'a dit le philosophe Gilles Deleuze: "On ne désire jamais un produit, mais l'univers et la culture qu'il nous apporte." Véhiculer un ensemble de valeurs, voici l'enjeu pour une marque qui cherche à se différencier. Mais à l'heure où toutes font du brand content et que les médias et producteurs ont peu à peu structuré leurs offres, quel nouveau territoire explorer ? De ce point de vue, les contenus générés par les utilisateurs méritent une attention particulière. Le cas d'école reste celui de GoPro et de sa plateforme d'upload de vidéos sportives: "Toutes ne sont pas sponsorisées par la marque, mais cela permet aux sportifs de se mettre en avant, eux, leurs aventures, leurs exploits, sur une plateforme propriétaire de GoPro qui plus est ! L'enjeu, c'est de valoriser l'utilisateur plus que le produit", analyse Alexandre Alloul, président de l'agence de brand content lifestyle La 5ème Étape Paris. Un utilisateur valorisé grâce au produit... De quoi faire le bonheur d'un fabricant d'appareils photo, de caméras ou de smartphones comme Apple, autre exemple classique, qui utilise les photos de ses clients dans ses pubs. Mais depuis fin mai, Apple va plus loin et organise des ateliers dans ses stores pour enseigner l'utilisation de ses appareils et de ses logiciels, avec l'aide parfois d'artistes renommés.
- Cocréer pour être plus pertinent
La démarche d'Apple rappelle celle entreprise par Huawei et sa Photo Academy, qui met en avant des tutoriels basés sur les retours des utilisateurs: "Huawei organise ses cours avec des amateurs, en leur passant directement les produits. Ils sont partie prenante des tutoriels, à l'écran mais aussi dans la conception. Alors que souvent, en brand content, les angles sont définis par la marque, nous nous rendons compte que l'intégration de l'utilisateur est bénéfique car il exprime des besoins différents de ceux que nous imaginions. Nos contenus gagnent en pertinence", témoigne Ulrich Rozier, cofondateur d'Humanoid, l'entité derrière FrAndroid et Numerama, qui gère la plateforme pour le compte du constructeur chinois depuis septembre 2016 et y a attiré 1 million de visiteurs uniques.
- Une façon de valoriser le fan et son engagement
Une démarche que l'on pourrait rapprocher de la chaîne Coke TV, dont les contenus principaux sont réalisés par les influenceurs d'Endemol Shine Beyond, pour le compte d'Ogilvy, l'agence digitale de Coca-Cola en Europe. Depuis cette année, les fans peuvent proposer des défis aux influenceurs. Si le défi est sélectionné, le fan est lui aussi de la partie. Les vidéos, au nombre d'une grosse trentaine chaque saison, cumulent chacune plusieurs centaines de milliers de vues: un engagement autant lié à la présence de personnes connues sur YouTube qu'à la valorisation du fan, que l'on récompense en lui faisant vivre une expérience inédite, explique-t-on chez Endemol Shine. "Il faut passer d'une product story à une people story, en mettant en avant l'expérience vécue par l'ambassadeur de la marque, qui la partage par procuration avec le reste de la communauté", explique Alexandre Alloul, dont l'agence a réalisé pour We-Van, loueur de vans aménagés, une opération où l'utilisateur jouit d'une totale liberté dans la conception et la production du contenu.
- Faire le pari du lâcher-prise
Cette opération, baptisée Drive Your Adventure, relève autant du pari que du défi: envoyer six mois sur les routes européennes un couple chargé d'alimenter quotidiennement un blog en contenus qui serviront ensuite à réaliser un livre en partenariat avec les Éditions de La Martinière. Une grosse prise de risque pour l'ensemble des acteurs, à commencer par We-Van, qui n'a cependant pas hésité à laisser à d'autres les clés du van, et de l'opération: il fallait que les ambassadeurs se sentent libres dans leur voyage et dans les sujets traités pour que l'opération soit authentique aux yeux des internautes. Quitte à bénéficier de bonnes surprises, le couple décidant de parler d'écologie, un terrain sur lequel il est difficile de s'aventurer quand on se rattache au monde automobile, nous confie la direction de We-Van. Selon elle, il faut s'effacer derrière la communauté une fois que cette dernière a pris possession du projet. "L'intérêt de ces opérations est d'emmener les marques dans des univers qui ne sont pas les leurs, qui ne les intéressent pas particulièrement, mais qui intéressent leurs utilisateurs", explique Ulrich Rozier.
- Une sous-marque pour garder ses distances
Une autre façon de gagner en authenticité est de bien distinguer l'opération de brand content de la marque ou du moins de sa logique commerciale. Ainsi, l'internaute aura moins l'impression de participer à une opération publicitaire et en partagera plus facilement les contenus. Créer une sous-marque permet de prendre facilement ses distances en cas d'échec mais aussi de se donner la liberté de la développer en cas de succès. "Les participants remarquent moins la nature publicitaire de l'opération et partagent plus facilement son contenu. Nous avons conseillé à We-Van de déposer la marque Drive Your Adventure qui pourrait à l'avenir devenir une véritable marque média, un label d'édition ou un univers d'aventure avec, pourquoi pas, une web TV, des documentaires, d'autres livres, des goodies ou même du matériel pour partir à l'aventure", imagine Alexandre Alloul, pour qui une chose reste certaine: forte de son succès, l'opération connaîtra une deuxième édition.
- Bien planifier son opération
Chez We-Van, on se considère chanceux d'être tombé sur un couple d'ambassadeurs aussi professionnel. Mais puisque la chance se provoque, il ne faut pas perdre de vue l'énorme travail dans le temps que représentent ces opérations: en s'affranchissant du carcan classique du marketing où chaque message est contrôlé, l'opération demande une planification poussée pour instaurer la confiance et définir un cadre avec l'ambassadeur. "En amont, nous avons cherché des gens qui avaient déjà une communauté d'influence, signe de réelles capacités pour la photo ou l'écriture, mais surtout qui ressemblaient aux clients de We-Van: un couple jeune, adeptes des road trips. Le but est de montrer que ce ne sont pas des gens extraordinaires, qu'ils vivent un rêve accessible à tous", explique Alexandre Alloul. Puis il faut savoir engager sur la durée, ce que Drive Your Adventure fait depuis un an et demi. Idem chez Coke TV, qui entame sa deuxième saison en France.
Un road trip très suivi
Drive Your Adventure est une opération construite en trois phases : lancée début 2016 avec un appel à candidatures pour sélectionner un couple capable de partir six mois sur les routes d'Europe et d'alimenter un blog, l'aventure se poursuit par un livre de 350 pages. Édité à 6 000 exemplaires par les Éditions de La Martinière, il est sorti en avril et est classé parmi les meilleures ventes sur Amazon dans la catégorie voyage et photographie. "Nous avons reçu 3 500 candidatures...", soit une belle communauté de départ selon Alexandre Alloul. Et alors que Bertrand et Elsa avaient un accès total aux réseaux sociaux et au blog de l'opération, l'agence se chargeait de la réalisation du livre en direct: "Nous avons orienté le couple en lui demandant d'aller rencontrer plus de gens pour réaliser des portraits, ou axer pour un pays sur une activité ou une recette, mais en les laissant libres de leurs choix. Cela a été le cas sur six mois et 35 000 km. 90 % des contenus n'ont pas été réécrits." Résultat ? 1,2 million de contacts sur les réseaux sociaux et une base de fans multipliée par quatre ; 110 000 visiteurs uniques sur le blog, dont 5 000 e-mails récoltés en opt-in ; une hausse de 20 % du CA avant la parution du livre, pour un coût total de 80 000 euros ! Reste un tour de force : We-Van a évolué de l'image d'un loueur technique de véhicule à celle d'un voyagiste.
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