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[Les convictions de ...] Pierre Calmard, Président de Dentsu France

Publié par Martine Fuxa le - mis à jour à

Dentsu France est devenue société à mission avec pour ambition de « choisir de concevoir la communication comme un vecteur d'harmonie sociale et environnementale ». Les explications et la vision des enjeux qui s'annoncent sont mis en perspective par le président de Dentsu France dans cette émission de Convictions Média.

Pouvez-vous en préambule nous présenter le groupe Dentsu et détailler vos grandes actualités du moment ?

Dentsu est l'un des "Big 5 à 6" des grands groupes de communication mondiaux. Le groupe représente 70 000 personnes dans le monde. C'est un groupe très multiculturel, puisqu'il y a une marque née en France qui est Carat, que tout le monde connaît, l'agence média qui a créé finalement cette activité. Et puis il y a eu un développement très important dans les pays anglo-saxons avec le rachat par Aegis de la structure à la fin du XXe siècle. Dentsu depuis une dizaine d'années a donc réintégré la totalité de ces entités. Nous avons une culture qui est à la fois française, japonaise, anglo-saxonne, c'est ce qui fait la richesse de ce groupe.

Quelle est votre vision de la révolution en cours avec l'IA?

Je suis un grand amateur de science-fiction donc l'IA ça me parle depuis très longtemps. C'est vrai qu'on est un peu à un tournant parce que l'IA va devenir enfin opérante pour nos métiers et dans différentes dimensions. Schématiquement, pour moi, il y a deux grands types de dimensions. D'une part, il y a l'efficience, c'est-à-dire rendre des tâches qui autrefois ou encore aujourd'hui sont un peu répétitives, pénibles, beaucoup plus automatiques, beaucoup plus efficaces. C'est bien parce que cela nous permet de nous reconcentrer sur ce qui fait la valeur ajoutée de nos équipes, à savoir le conseil, la réflexion et la créativité. Et puis, il y a une partie aussi que je vais plutôt appeler de l'aide à la création. Je ne crois pas aujourd'hui du tout que l'IA soit créative en elle-même. En revanche, elle fournit des outils aux créatifs qui permettent d'aller plus loin, d'être plus efficace, plus rapide et de faire naître des idées différentes. Nous sommes donc dans une logique d'intégration forte.

Plus la conscience est aidée par des outils externes, qu'ils soient très mécaniques ou aujourd'hui beaucoup plus technologiques, et plus on peut faire naître des idées nouvelles. Et donc l'IA c'est exactement ça, c'est une sorte de foisonnement potentiel dans lequel le cerveau humain va faire des corrélations et réellement produire de la vraie créativité.

Vous avez créé au sein Dentsu Creative France, Dojo, un événement dédié à l'intelligence artificielle. De quoi s'agit-il ?

En effet, c'est une grande première en France et c'est un super succès et je remercie les équipes parce qu'on a fait un lourd travail. Ce qui est intéressant, c'est de voir justement très concrètement comment l'intelligence artificielle pouvait transformer nos métiers. Parce que c'est vrai que tous nos clients, mais je crois que c'est le cas sur le marché partout, se posent des questions. Dans le domaine de la communication, nous, on a déjà des cas d'usage qui sont prêts, qui existent, et donc c'était intéressant de prendre nos clients, de les former, c'est-à-dire de leur montrer comment on pouvait utiliser ces outils et de montrer des cas d'usage très précis appliqués à nos métiers qui permettent de gagner beaucoup de temps, d'être plus efficaces et plus pertinents dans sa communication.

Vous avez accompagné la révolution du digital dès les prémices. Quel est votre ADN profond chez Dentsu ?

Gilbert Gross (fondateur de Carat en 1968, NDLR), si on en revient aux grands illustres anciens, était connu pour être un joueur de poker mais surtout quelqu'un de très innovant, qui a disrupté une industrie. L'innovation est le mot-clé du groupe Dentsu.

A Cannes, Dentsu Monde a révélé sa nouvelle baseline qui est justement « innovating to impact ». Pas besoin de traduire, je pense que c'est assez facile à comprendre. L'innovation est aussi au coeur du projet de Dentsu dans le monde, avec cette vision très japonaise de l'innovation, sur la robotique. L'ADN du groupe est vraiment tourné vers l'avenir et l'innovation. La deuxième dimension très importante est l'harmonie. L'harmonie, c'est le concept sur lequel j'ai tenté de rebâtir Dentsu post-Covid, en France. C'est aussi une valeur cardinale de la culture japonaise. Il y a une grande convergence finalement entre le projet que je voulais mener en France et l'ADN de Dentsu Monde et c'est pourquoi j'ai eu un accord sans retenue pour devenir société à mission, pour changer tout en France depuis trois ans et je pense qu'on l'a fait avec succès!

Quelle est la mission que vous vous êtes donnée ?

C'est une magnifique mission. Et je remercie d'ailleurs les 200 personnes chez Dentsu France qui ont participé à la rédaction de cette phrase. Ce n'est pas uniquement une phrase, il y a beaucoup d'éléments derrière : «Choisir de concevoir la communication comme un vecteur d'harmonie sociale et environnementale ». Chaque mot est important parce que dès le « choisir », on sent que c'est un choix, donc quelque chose dans lequel on s'engage.

Quel regard portez-vous sur l'industrie du digital à l'heure où le marketing digital doit apprendre à fonctionner avec un consentement de plus en plus difficile à obtenir en se passant des cookies?

A titre personnel, je pense que cette histoire de cookie est une absurdité, mais ce n'est pas la seule. Je pense qu'on se trompe complètement de débat. Je le dis de façon un peu violente, mais c'est ma conviction. Le marketing, de toute façon, qu'on le veuille ou non, va devenir de plus en plus personnalisé, au sens précis du terme. On va essayer de "targueter", comme on dit dans notre jargon, de cibler des populations de façon de plus en plus précise. Et on le voit non seulement sur tout le digital, mais aussi sur les médias traditionnels. La télé segmentée est en train d'arriver et d'advenir. La télévision se plateformise elle-même. Toutes ces données vont nous permettre d'être de plus en plus précis dans les ciblages. J'y vois, contrairement visiblement à un certain nombre d'acteurs, une grande force.

La personnalisation est l'avenir de tous les médias partout dans le monde, pas seulement en France.

A quels défis doit faire face le marché de l'achat média à l'heure de cette fragmentation des audiences ?

Effectivement, le défi principal c'est effectivement cette fragmentation et surtout la capacité d'adresser chaque public de façon ultra pertinente par rapport au message que l'on veut faire passer. Toute la partie data, IA, etc. est absolument fondamentale. Et on le voit d'ailleurs dans les chiffres puisque le marché mondial de la publicité va plutôt bien, et se porte mieux que la croissance mondiale. En France les meilleures prévisions donnent une croissance d'à peu près 4% du marché publicitaire, ce qui est largement mieux que la croissance du PIB.

Le vrai enjeu caché de ce marché, si on prend un peu de hauteur, au-delà des chiffres, réside dans sa mondialisation. Les plateformes, notamment américaines, ou chinoises ou autres, sont en train de prendre très largement le pas sur les médias nationaux. Elles ont une croissance plus forte que la croissance du marché, donc les autres sont plutôt en régression. Et le législateur français n'a absolument pas pris la mesure de ce qui est en train de se passer. On est sur un écosystème législatif qui date du XXe siècle, qui, pour moi, est complètement "has been", défendu par des gens qui ne savent pas exactement de quoi ils parlent et qui pensent draper d'une forme de vertu, être dans une transparence parfaite, alors que cette transparence nous amène au déclin. C'est absolument dramatique. Je prends un cas très simple. La loi Sapin est arrivée en 92-93, l'année où j'ai commencé à travailler. Elle était certainement extrêmement utile à l'époque, parce qu'il y avait beaucoup d'abus, mais aujourd'hui, elle est mortifère pour les médias nationaux. Et je le dis très clairement, comment un TF1, je prends cet exemple-là, peut être en compétition contre un Netflix ou un Amazon alors que ces grandes plateformes aujourd'hui signent avec des annonceurs ou des agences, des deals mondiaux qu'ils signent à New York ou à Tokyo ou je ne sais où...- Sachant qu'évidemment, on a beau dire "oui mais en France on ne peut pas", il y a la loi Sapin etc.

Aujourd'hui, l'écosystème se mondialise, qu'on le veuille ou non, et conserver une législation purement franco-française punitive pour tout le monde est une aberration. C'est l'une des raisons, par exemple, pour laquelle, dans beaucoup d'autres pays, le prix des médias a évolué avec l'inflation et finalement, l'écosystème média a réussi aussi à augmenter ses prix parce que ses coûts de production augmentent.

Alors qu'en France, c'est quasiment impossible. Le système est bloqué par un système législatif qui conduit toute l'industrie à avoir une pression absolue sur les coûts.. Nous avons de ce point de vue-là, un vrai problème français. C'est un sujet tabou. Je me fais fort, comme souvent, de briser tous les tabous. Je trouve ça salvateur à moyen terme pour notre industrie média en France.

Si on revient maintenant à l'inspiration, on a parlé effectivement de tout ce sujet législatif et réglementaire très important..Si vous deviez nous citer une campagne qui vous a inspiré récemment, laquelle choisirriez-vous et pourquoi ?

Il y a deux campagnes que j'ai beaucoup aimées. Une qui vient de gagner un Grand Prix à Cannes, Dentsu Creative, une collaboration entre Amsterdam et Paris justement, pour un opérateur téléphonique qui a eu le courage d'affronter un sujet difficile, celui du harcèlement par les réseaux sociaux, etc. Tout le monde sait que c'est aujourd'hui un vrai problème. L'agence a été chercher une chanteuse très connue en Hollande et une chanson a été créée.

J'invite tout le monde à aller voir le film, parce qu' il est très bien fait. C'est hyper clair. Il y a un vrai engagement de l'opérateur. Ç'est pour moi une magnifique campagne, parce que d'utilité publique.

Voir la campagne ici : https://www.youtube.com/watch?v=MC3184WBOWo

Une autre en France qui est peut-être plus underground porte sur les gestes qui sauvent déployée par Groupama. L'idée est d'investir un média comme Twitch, et les jeux vidéo, sur un public de jeunes de 15-24 ans. C'est vrai qu'on ne meurt jamais autant que dans les jeux vidéo et on résuscite. L'idée était donc de hacker ces moments de résurrection pour inciter aux gestes qui sauvent et dans la vraie vie d'avoir une logique de pseudo-résurrection. Je trouve que c'est intéressant parce qu'effectivement, pour des marques dont le risque est d'être déconnecté de la nouvelle génération, c'est une façon de se remettre dans un écosystème nouveau, et d'apporter quelque chose de très concret pour les jeunes.

Dernière question, si vous aviez un ou deux conseils à adresser aux CMO qui nous regardent, quels seraient-ils ?

Peut-être deux conseils très rapides. Le premier, c'est de réfléchir toujours ses campagnes dans une logique de finalité et presque de mission. Aujourd'hui les marques qui ne vont pas dans cette logique de recherche d'harmonie sociétale et environnementale prennent le risque de se déconnecter des aspirations de leurs clients, de leurs consommateurs. Il faut entrer dans cette logique de donner du sens, c'est absolument fondamental. Le deuxième mini-conseil, c'est de bien insister sur un point qui a été un peu perdu, qui est de refaire de la communication un facteur d'investissement et pas un poste de dépense. Trop souvent aujourd'hui, la communication est vue soit comme une danseuse au pire, ou en tout cas pas forcément comme un sujet de comité de direction. Je pense que c'est une hérésie parce que plus que jamais le business se fait par la communication. Vos revenus, vos profits demain dépendent de ce que vous faites en communication aujourd'hui.