Vers un Quanti nouveau?
Internet et d'une manière générale les «nouvelles» technologies sont en train de faire évoluer de manière significative les études quantitatives. Mais c'est dans la façon même de penser ces études que se fera la différence.
Je m'abonneEstimées à près de 475 millions d'euros en 2007 par le Syntec Etudes Marketing & Opinion, les études quantitatives ad hoc continuent de représenter le gros du marché des études, soit 49% des 950 ME du marché total. A cela il convient d'ajouter les 38% que pèsent les panels et les études en continu, barométriques ou omnibus. La montée en puissance continue d'Internet est l'une des grandes évolutions de ces dernières années. En 2007, le on line représentait 17% des études quantitatives. Chez Ipsos France, il pesait, cette même année, près de 25%, contre 17% en 2006. Une proportion qui s'élève à 44% pour les études publicitaires et à 31% pour les études marketing. TNS Sofres a réalisé 4,1 millions d'interviews on line en 2007, CSA 3 millions et BVA 2 millions. Chez GfK Custom Research, 42% des études en grande consommation sont faites en ligne tandis que près de 30% des études quanti de l'Ifop sont désormais menées via Internet. Certains types d'études, comme les enquêtes Loyalty sur fichiers d'actes, font nettement pencher la balance, comme le fait remarquer Oliviero Marchese, directeur général d'Ipsos Observer. De l'avis des experts, la phase de stabilisation n'est pas pour demain et l'on devrait voir l'utilisation du on line se généraliser dans les prochaines années. A cela trois raisons. L'aspect coût de la collecte, tout d'abord. «La pression sur les budgets, plus que jamais d'actualité avec les perspectives économiques très incertaines pour Vannée 2009, constitue le vrai facteur déclenchant de cette conversion au on line. Ce mode de collecte reste en effet le plus économique, tout en offrant, sous certaines conditions, une qualité réelle de l information recueillie», souligne Michael Bendavid, directeur général de Strategic Research. Le recours au on line permet ainsi d'améliorer les marges des instituts. Parallèlement, la montée en puissance de panélistes mondiaux facilite la mise en oeuvre d'études internationales dans la plupart des pays, simplifiant d autant leur logistique toujours très lourde. Et ce, dans des délais rapides, comme l'exigent les annonceurs. «Nous sommes déplus en plus sollicités pour des enquêtes qui sont menées très en amont de l'élaboration d'un produit. Un type d'études qui, jusque-là, utilisait plutôt de grands terrains face-à-face ou téléphone», précise Corinne Abitbol, directrice des études d'I Base. Autre avantage: la possibilité de trouver rapidement des cibles rares ou à faible taux de pénétration. «Les e-marchands nous poussent à l'innovation études, mais cela demande un gros travail de développement», poursuit Corinne Abitbol. I Base vient de lancer ainsi le «Tri de cartes en ligne», «une méthodologie que nous faisions traditionnellement en salle. Désormais, elle devient une méthodologie quanti en ligne.»
Gérard Hermet (Gfk AG):
«Des études marketing compatibles avec la numérisation et la fragmentation doivent être inventées.»
Martine Crocquet (Customeyes):
«La masse énorme de données à traiter conduit à une vraie évolution du métier des études.»
«Grâce au on une, nous faisons de plus en plus de quali et de quanti dans un même temps», constate Claire Marous, directrice du pôle Etudes et Recherche de GroupM (WPP). Depuis des années, Daniel Bô, président de l'institut QualiQuanti, insiste sur la richesse des études semi-ouvertes portant sur des échantillons de 1 00 à 400 personnes. «Avec un questionnaire en entonnoir, alternant questions ouvertes et fermées, les résultats quantitatifs sont expliqués qualitativement et les résultats qualitatifs sont hiérarchisés», explique-t-il. De son côté, Luc Milbergue, directeur général de Stratégir, note également l'amenuisement de la frontière entre le quali et le quanti: «Les clients attendent un éclairage quali dans les études quantitatives. Nous y répondons par différents moyens: filmer des verbatims dans les tests de packagings ou de parfums, mais aussi des phases d'utilisation de produit. Nous pouvons ainsi amener de l'insight facilement appropriable par les clients ce qui est une attente de fond des équipes études.»
Les annonceurs sont à la recherche de solutions leur permettant d'intégrer à la fois le quantitatif et le qualitatif. «A l'ère du tout Internet et du «consumer empowerment», le consommateur s'avère plus que jamais utile tant dans la recherche de nouvelles idées que dans leur appropriation. La cocréation, terme très populaire en marketing, se résume trop souvent à la mise au jour de nouvelles idées et pas suffisamment à la valorisation et à l'optimisation des mots qui supportent et expliquent au mieux un concept», fait remarquer Guillaume Weill, directeur général de Crmmetrix, société qui a développé une technologie, brandDelphi, qui repose sur les interactions entre consommateurs et marie quantitatif et qualitatif. «Il faut continuer à trouver de nouveaux schémas d'études associant, dans un temps très court, quanti et quali et donc des équipes qui savent travailler en commun», assure Valérie Jourdan, p-dg de Panel on the Web. Une autre tendance de fond, soulignée par Luc Milbergue, est celle de «l'éclairage d'études quantitatives, comme les trackings d'images ou les bilans de positionnement, par des analyses qualitatives de l'opinion exprimée spontanément sur Internet dans les blogs, les chats et les forums».
Des modes de collecte qui cohabitent
Est-ce à dire que les modes de collecte traditionnels sont fragilisés? Pas du tout. «Nous sommes leaders du marché et sur tous les types de méthodes. Cependant nous n'abordons jamais une question par le mode de recueil mais par la problématique du client», précise Dominique Lévy, directrice du planning stratégique de TNS Sofres. Nous constatons d'ailleurs un recours croissant au multimodal (qui donne à la personne enquêté le choix du mode de réponse) ou au switch mode (qui commence par un mode de collecte pour passer à un autre). Le défi étant de pouvoir joindre le plus de consommateurs possibles. L'étude de cadrage Sofia de TNS Sofres a ainsi proposé un mix de on line et de postal. «TNS Sofres vient de remporter l'appel d'offres de Premium, la nouvelle étude d'audience CSP + d'Audi Presse. Dans celle-ci, le répondant pourra choisir son mode de réponse», souligne Dominique Lévy. De plus, les nouvelles technologies permettent de contacter les interviewés à tout moment grâce aux enquêtes sur téléphone portable, via le Web mobile, des PDA ou des BlackBerry. TNS Sofres possède ainsi un parc de 1 50 BlackBerry et BVA une cinquantaine. Un outil de recueil fort utile et «user-friendly» pour les études transport ou dans la rue. Ipsos a déjà réalisé plus de 20 000 interviews par téléphone portable. Et la géolocalisation va apporter de nouvelles possibilités à l'industrie des études.
De son côté, GfK a mis au point une nouvelle méthodologie via l'Internet mobile. Le groupe s'est associé à Qosmos, leader des solutions d'extraction d'informations dans les réseaux IP, pour proposer des services inédits. Dans un premier temps, GfK l'utilise pour lancer de nouvelles mesures des visites de sites internet, de l'audience de la TV 3G et de l'efficacité publicitaire de l'Internet mobile, et notamment celle de l'audience des publicités «cliquées» et des publicités «passives». La solution de GfK extrait l'information de manière exhaustive et en temps réel, à partir du réseau. Elle a été conçue pour assurer la protection des données personnelles et le respect de la vie privée. Pour ce faire, toutes les données personnelles sont rendues anonymes de manière irréversible dès la phase d'extraction et ne sont jamais mémorisées dans la base de données de l'opérateur, ni de celle de GfK. «De nouvelles méthodologies d'études marketing compatibles avec la numérisation et la fragmentation doivent être inventées. Nous sommes convaincus que cette méthodologie révolutionnaire de mesure sur les réseaux IP procurera une image extrêmement précise des comportements et de l'activité du consommateur sur l'Internet mobile, contribuant ainsi à monétiser correctement ce nouvel espace et à assurer son développement», indique Gérard Hermet, membre du directoire de GfK AG et COO de la division Retail and Technology. Déjà, cette méthodologie va être étendue aux études shopper pour suivre les parcours en magasin. «Seule contrainte, le portable doit être équipé du Bluetooth. Une technologie qui présente le grand avantage de fonctionner même quand le téléphone est éteint», note Sébastien Spangenberger, directeur associé de GfK Custom Research.
Michael Bendavid (Strategic Research):
«La pression sur les budgets constitue le vrai facteur déclenchant de cette conversion au on line.»
L'impact des technologies
Les mesures passives ont le vent en poupe. «Nous sommes entrés dans l'ère de la preuve vivante. Nous disposons aujourd'hui de moyens techniques qui sont déplus en plus légers et s'intègrent facilement dans des protocoles études. Et, en couplant les informations recueillies avec des mesures déclaratives, nous passons à une nouvelle génération de quanti, où l'information est raccrochée à un consommateur», insiste Elisabeth Martine-Cosnefroy, directeur général de CSA. Le groupe vient de lancer EyeThink, un outil combinant eye tracking et étude quantitative classique. CSA a par ailleurs gagné l'appel d'offres pour mener l'étude pilote du futur dispositif de la mesure d'audience de la communication audiovisuelle dynamique, appelée Digimétrie. Quant au groupe TNS, il a déployé à l'internatio nal une oreillette Bluetooth pour suivre un parcours client et a mis en place, grâce au rachat de la société américaine Sorensen, un système consistant à équiper des chariots d'une puce RFID pour analyser, de façon non intrusive mais précise, les parcours en magasin. «Les nouvelles technologies offrent des mesures déplus en plus passives et non plus déclaratives. Mais cela nécessite une utilisation a posteriori de techniques de fusion et d'inclusion», renchérit Christian Delom, directeur général de Socio Logiciels, qui cite l'audimétrie passive, la mesure en entrée des box des opérateurs télécoms, celles des déplacements par GPS, par portable, celle des consommations via le s cartes de magasin - demain de crédit -, les trackings de comportements sur le Web, l'analyse des bases de données... «Quand on arrivera à rapprocher les bases comportementales et les questionnaires, le comportemental et les opinions, en y ajoutant la géolocalisation, on parviendra plus facilement à une single source», constate Philippe Jourdan, associé fondateur de Panel on the Web. Le travail sur les bases de données des annonceurs permet de trouver des réponses avant de lancer des terrains d'études qui approfondissent alors tel ou tel point.
D'une façon générale, l'évolution des technologies de l'information a fortement marqué l'industrie des études. Tout d'abord parce que les capacités croissantes des ordinateurs ont engendré des possibilités de traitement inédites. Ensuite, parce que le comportement des consommateurs sous l'influence des nouvelles technologies et de leur convergence a évolué.
Martine Crocquet, fondatrice de CustomEyes, aime parler de «consonautes». «Les implications sont bien plus larges que la simple référence au mode de recueil. Elles influent sur l'ensemble de l'intelligence marketing», estime-t-elle. Et Laurent Florès, fondateur et CEO de crmmetrix, de souligner: «Ce qui est étonnant, c'est qu'une grande partie des annonceurs sous-estiment la capacité et l'envie des consommateurs de leur faire part de leur feedback.»
Thierry Pailleux (Synovate Etudes Quantitatives):
«Les instituts vont devoir apporter la preuve que l'évolution des technologies va leur permettre d'être plus compétitifs.»
Quel rôle pour le quanti?
Dans un contexte économique agité, le rôle du quanti a-t-il donc changé? En fait, il cherche toujours à valider et à prévoir, et de plus en plus à justifier. «Les annonceurs veulent du ROI qu'ils puissent optimiser par la suite», admet Sophie Blanco, directrice générale de GroupM. Les nouveaux outils études sont destinés à les rassurer sur ce point. Sous la pression de leurs clients, les instituts d'études (TNS Sofres, GfK, JPL Consultants...) construisent des indices, des indicateurs qui vont faire parler plusieurs questions entre elles et permettront de construire un indicateur composite de performance. Thierry Vallaud, responsable data mining et décisionnel de Socio Logiciels, constate un recours accentué à une modélisation sophistiquée dans les études: équation structurelle dans la fidélisation, modèle de la psychologie différentielle dans l'interprétation, analyse textuelle statistique des blogs et chats, modèle mathématique sur la diffusion des innovations, modélisation plus importante du ROI du mix marketing... «Cette masse énorme de données à traiter, qui associe les bases de données, les données d'enquêtes et celles issues du Web, conduit à une véritable évolution du métier des études», estime Martine Crocquet. Aujourd'hui, quels sont les types d'études quanti les plus demandés? Dominique Lévy constate qu'en 2008, TNS Sofres s'est paradoxalement développé aussi bien sur les études lourdes, internationales que sur des études simples, rapides, destinées à prendre très vite une décision. Quant à Marc Papanicola, CEO de Research International France, il indique que «pour 2009, on observe à la fois la nécessité déparer au très court terme avec des dispositifs quanti - autour du point de vente -, mais aussi celle de travailler sur le plus long terme avec des approches qualitatives rupturistes (prospective et innovation). Le moyen terme - traditionnellement étudié à partir d'observatoires marché et d'U&A - risque d'être mis entre parenthèses pendant une année.» Par ailleurs, les études sur le prix sont de retour. «L'âge d'or est derrière nous. Les instituts vont devoir apporter la preuve que l'évolution des technologies va leur permettre d'être plus compétitifs, constate Thierry Pailleux, dg de Synovate Etudes Quantitatives, qui lance des «Micro-Solutions». J'observe deux pistes en quanti: d'une part la compilation d'énormes bases de données exigeant des technologies capables de les traiter et, d'autre part, une tendance vers des outils plus simples mais très sophistiqués grâce à la modélisation et qui vont répondre rapidement à une problématique client.» GfK a racheté aux Etats-Unis la société Arbor Consulting Group, spécialisée dans l'innovation. Son produit de base: créer et enrichir une base de données sur les innovations lancées chaque jour dans le monde, identifiées de façon exhaustive, puis qualifiées sur leur promesse. La base réunit 800 000 innovations. «Nous allons nous en servir pour construire un «innovation tree», pour identifier l'historique des innovations dans un pays sur une promesse et en déduire l'avenir de la catégorie. Une nouvelle façon de recueillir l'information», indique Sébastien Spangerberger.
Dominique Lévy (TNS Sofres):
«Il faut apporter de plus en plus de valeur ajoutée sur les résultats.»
Marc Papanicola (research international France):
«Il est nécessaire de parer au très court terme avec des dispositifs quanti et de travailler le long terme avec des approches qualitatives rupturistes.»
Plus de valeur ajoutée
Tout cet ensemble d évolutions amène à une réflexion sur les fondamentaux du métier. «Il faut apporter de la valeur ajoutée aux résultats. Il est important de croiser la compréhension des réponses consommateurs avec notre vision de ce que fait le consommateur, le marché», explique Dominique Lévy. D'où l'apparition dans les instituts d'études (TNS Sofres, Ipsos...) du département planning stratégique. Et, comme la culture études se réduit dans les entreprises clientes, les instituts mettent en place des cycles de formation technique aux études pour les professionnels. C'était le cas de GfK; c'est désormais celui de TNS qui en décembre 2008 a lancé son centre de formation, la TNS Sofres Académie.
Toluna propose une nouvelle solution de sondage en ligne
L'outil Toluna QuickSurveys permet aux entreprises de réaliser facilement des études marketing et des sondages d'opinion. La première version est lancée simultanément en Grande-Bretagne, France, Allemagne et Espagne. Les sondages Toluna QuickSurveys comportent jusqu'à cinq questions et peuvent être agrémentés de filtres. Le questionnaire peut être enrichi d'images et vidéos et des pages de contenu texte peuvent être ajoutées à tous les stades du processus. Le questionnaire est diffusé uniquement aux profils adaptés de panélistes au sein de la communauté Toluna, au moyen d'une technologie en cours de brevetage. Les résultats sont accessibles en temps réel et peuvent être filtrés en fonction de dix variables.
«Une marque, c'est d'abord un point de vue»
L'opinion de Sophie romet, directrice générale de Dragon rouge
«Les études sont un formidable outil d'apprentissage et de compréhension, notamment des comportements du consommateur, à condition de dépasser les techniques purement verbales et de savoir observer autrement le consommateur. Dans ce cadre, les études quali peuvent avoir du sens dans le recueil de certains insights, mais en aucun cas, ce ne sont des outils de validation. Quant aux études quanti, il faut savoir les manier avec précaution, en particulier dans les domaines de l'innovation et du design où la résistance au changement est très forte. L'interprétation des résultats peut être très aléatoire. Enfin, il faut cesser de ne faire confiance qu'aux seules études, mais savoir les combiner avec d'autres approches de compréhension du consommateur, comme la prospective sociologique. Et, surtout, revenir aux fondamentaux: analyser ses intuitions, avoir des partis pris stratégiques et créatifs.»