Quand le corps se rebelle...
Déséquilibré par un monde virtuel omniprésent, le nouvel homo "tactilus" réveille son corps. Plus il se vautre, se pollue et se stresse, plus il cherche à s'alléger, se purifier et se détendre. Le corps a de nouvelles raisons que le marketing ne peut plus ignorer.
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Star publicitaire et objet métaphorique inépuisable, le corps humain est
paradoxalement le grand malmené de notre environnement. Alors qu'il est souple,
tout est rigide autour de lui, constructions, habitations, meubles, voitures...
Alors qu'il a cinq sens, la plupart des produits ou des lieux de vente ne
s'adressent qu'à sa vue. Ajoutons une dose de stress, une couche d'ozone trouée
et une série de mauvais traitements quotidiens. Le corps a mal au dos. La
lombalgie fait figure du "mal du siècle" et arrive au 1er rang des affections
limitant l'activité avant 45 ans. Ses coûts directs s'élèvent à 24 milliards de
dollars aux Etats-Unis et à 10 milliards en France. Le corps change. Les
nouvelles générations sont plus grandes de près de 6 cm que leurs
grands-parents mais aussi moins musclées. L'IFTH (Institut Français du Textile
et de l'Habillement) s'apprête d'ailleurs à mettre en oeuvre une vaste campagne
de mensurations afin de réactualiser les barèmes de tailles existants. Que dire
des nouveaux comportements qui conduisent le corps à se vautrer. Pieds sur la
table, téléphone au creux de l'épaule, clavier d'ordinateur sur les genoux, le
sacro-saint "tiens-toi droit" de nos grands-mères rend l'âme. « Vive la
génération vautrée », lance même Gérard Laizé, Dg du Via (Valorisation de
l'Innovation dans l'Ameublement) pour signifier que ce n'est pas au corps de
s'adapter aux contraintes de ce troisième millénaire mais à son environnement
de le bichonner. Les scientifiques auraient même découvert que l'angle d'assise
idéal est de 120°, et non plus 90°, afin de supprimer les tensions sur les
lombaires et les cervicales qui sont malmenées par notre agitation permanente.
Détente et relaxation
Déjà de nouveaux commandos de
masseurs traquent les salariés jusque dans les entreprises voire sur les quais
de métro... Une initiative symptomatique mais un peu dérisoire eu égard aux
profonds changements déjà en marche. « Dans l'habitat, on doit compter avec la
généralisation prochaine des technologies multimédias et leur connexion avec
les réseaux en ligne, explique Gérard Laizé. La génération des appareils
audiovisuels multimédias va provoquer un élargissement considérable du champ
des activités offertes. » Non seulement nous allons vivre plus souvent assis et
passer en moyenne cinq heures de plus devant nos postes de télévision devenus
multimédias et interactifs, dans cinq ans. Mais également évoluer d'une
attitude de réception passive, à une posture interactive permettant de se
divertir, de jouer, d'acheter, de s'éduquer, de militer, de suivre l'actualité,
de rechercher un job mais aussi de lire et d'écrire. Le tout à partir d'un même
appareil. Une diversité de fonctionnalités pour lesquelles notre habitat actuel
n'est pas conçu. Ce qui augure des bouleversements à venir. Au même titre que
la télévision a enfanté dans les années 60 le canapé, les tables basses et
d'appoint ou les meubles hi-fi, le multimédia doit encore inventer les
techno-meubles. « L'homme cherche à alléger le poids de son corps », constate
Gérard Laizé. Pour y contribuer, le Via a lancé en collaboration avec Thomson
Multimédia et le CTBA (Centre Technique du bois et de l'Ameublement) une
consultation nationale auprès de 100 designers afin de créer le prototype du
siège multimédia de demain. Résultat, un fauteuil qui permet un angle d'assise
de 120° et une rotation facile autour de son centre de gravité afin de vaquer à
ses activités. Et qui surtout réconcilie le design avec le confort. « La
détente et la relaxation ne sont pas réservées aux seniors, poursuit Gérard
Laizé. Elles concernent toutes les générations. Il faut simplement trouver des
solutions fonctionnelles et des codes esthétiques propres à chaque population
cible. » La notion d'usage intègre de plus en plus cette notion de confort
étendu. Renault, par exemple, s'intéresse de près à l'opportunité de créer un
fauteuil spécial conducteur, au maintien ferme et un modèle pour le passager
qui permettrait à la fois de bouger, de se reposer et d'étendre ses pieds sans
forcement les mettre sur la plage avant... Mais, si le corps s'allège, ce sont
surtout les sens qui s'expriment davantage dans les choix du consommateur.
C'est la tendance dite "polysensorielle" et sa cohorte d'explications
sociologiques.
Dans tous les sens
Pour Hélène
Lacroix-Sablayrolles, consultante associée de Lacroix et Berthomé Consultants,
« c'est l'érosion des normes collectives et structurantes qui, depuis une
vingtaine d'années, a développé le "client tactile". Il est plus instinctif que
le visuel qui est plus liée à la structuration collective », explique-t-elle.
Autrement dit, le consommateur cherche plus à s'individualiser et à réaliser
une expression personnelle à travers son acte d'achat qu'à se projeter dans un
groupe social précis ou un modèle collectif. Il achète "ce qu'il sent", ce qui
lui ressemble (du moins le croit-il). Pas "ce qu'il doit". D'après
l'Observateur Cetelem 2001, consommer est devenu une manière de se réaliser
pour plus du tiers des Français. Ce qui rend certaines tendances
incontournables. Pour compenser l'artificialité et les nuisances d'une certaine
modernité, les consommateurs se tournent vers un courant naturel et écologique
qui recentre le corps dans ses plaisirs, son expression, son équilibre par
opposition au stress ambiant. Produits bio, effervescence du phénomène de l'eau
et des matières naturelles n'en sont que quelques illustrations. Plus original
est l'avènement du consommateur vibratoire. Un être qui résonne plus qu'il ne
raisonne. Et une cible particulièrement visée par les nouveaux concepts
commerciaux comme son éponyme Résonance. Cette enseigne centrée sur l'univers
de la maison permet de toucher les produits, de les sentir, mais également de
s'affaler dans un salon pour se désaltérer à une fontaine d'eau ou simplement
faire une pause. Mais c'est probablement l'odeur qui crée le plus de surprise.
Comme le souligne Thierry Lageat, responsable marketing sensoriel chez Eurosyn
du groupe Brime Technologie, « c'est le plus suggestif mais aussi le sens le
plus difficile à travailler ». Et il est devenu tout aussi important de
parfumer que de dé-parfumer. Procter et Gamble ne s'y est pas trompé en lançant
Febreze, un neutralisateur d'odeur. Woolmark travaille aussi sur l'absorption
d'odeur et la libération de parfum. Jusqu'à Renault qui réfléchit dans la plus
grande discrétion à l'utilité de l'odorat comme levier marketing. Mais hésite
encore entre odeur de neuf, odeur de marque ou matière désodorisante... Moins
connue, l'odeur peut également être subliminale... Comme celle du lait qui
renvoie à l'enfance. Et pourrait nous renvoyer à un univers régressif lui aussi
dans l'air du temps. « L'enfance permet de valoriser son équilibre sensoriel »,
explique Hélène Lacroix-Sablayrolles. Une affirmation que ne dément pas le
succès du marché des bonbons chez les adultes ou celui des petits gâteaux BN
consommés à 40 % par des adultes. La régression est partout. Jusque chez les
Parisiens qui vont s'éclater en dansant sur les vieilles crèmes des années
70-80 comme Chantal Goya ou Plastic Bertrand. Facile. Et que dire du principe
de facilitation. Véritable apologie de la paresse, ce nouveau terme marketing
montre un être fainéant qui, s'il ne trouve pas un produit qui le valorise
socialement, se dirige vers celui qui nécessite le moins d'effort physique ou
mental.
Intelligence services
On peut d'ailleurs se
demander où commence et finit cette tyrannie de la facilité quand on voit le
nombre d'applications technologiques au service du bien-être. Particulièrement
dans le domaine des textiles dits "intelligents" qui constituent la deuxième
peau des urbains. Les textiles techniques sont en pleine expansion et
représentent désormais dix millions de tonnes par an. Longtemps considérés
comme l'arlésienne du marché, ce sont les collants "hydratants" qui ont ouvert
le feu au début 1999 avec Cosmétiq' Beauté de Dim (voir MM n° 38). Seul hic
pour pérenniser leur succès, une fatigue certaine au bout de quelques lavages
qui tend à s'amenuiser. « Désormais, nous arrivons à produire des tissus qui
supportent jusqu'à dix ou quinze lavages, explique Gérard Cirouze, P-dg des
Tissages de l'Aigle. Nous travaillons même sur un principe de régénération qui
permettrait de recharger les agents actifs pendant le lavage grâce à un
additif, ou de changer de propriétés. » Le tee-shirt hydratant deviendrait
rafraîchissant pour les week-end et pourquoi pas bactériostatique en vacances
pour bloquer les bactéries sans les tuer. Deux chercheurs sont même arrivés à
mettre au point un "traitement antibactérien permanent" pour les fibres et les
étoffes. Un travail qui a nécessité 2 années d'études et un investissement de
près de 3 MF sous l'égide d'Atlas, une filiale des écoles d'ingénieurs de Lyon.
Ils continuent leurs essais à l'Itech. Et une société chargée de la
commercialisation du procédé pourrait être créée. Mais, comme sur tout secteur
en effervescence, il est bien difficile de séparer le bon grain de l'ivraie. Ce
qui crée une certaine agitation autour des matières intelligentes. Pour preuve
l'annonce intempestive dans la presse du lancement du premier costume
anti-stress de Monoprix, aussitôt démentie par le distributeur faute de
cautions scientifiques suffisantes. Le concept pourrait pourtant être repris
par un spécialiste du prêt à porter masculin et servir de clin d'oeil
marketing. Reste que les fonctionnalités dites intelligentes ne cessent de se
multiplier. Et qu'il est aujourd'hui potentiellement possible de protéger son
corps de la pollution avec un textile "bombardé" d'une couche de carbone, de se
protéger contre les UV solaires. Une société américaine, Tactex, vient même de
mettre au point un tissu intelligent intégrant une fibre optique qui interprète
les informations transmises via un "clavier" à touches sensorielles. Le premier
produit commercialisé, le "MTC Express", pourra être relié à un PC ou un Mac et
permettra à l'utilisateur de réaliser des applications comme "produire de la
musique ou gérer un système électronique"... Que deviendra notre corps ainsi
environné ? Darwin seul pourrait le dire et encore...