Médias tactiques, à la croisée des chemins
Médias tactiques, médias de proximité, quelle que soit leur dénomination, ces outils de communication entament une étape de leur évolution. Cette génération doit négocier le virage de la maturité pour s'installer sur le marché.
Je m'abonneSi l'on estime que la famille implique querelles et conflits avant l'éventuelle réconciliation, alors les médias tactiques ont réussi à créer une famille. Pas simple, en effet, de regrouper des concepts totalement hétérogènes et souvent trop récents pour être vraiment reconnus par le marché. L'histoire avait pourtant bien commencé, il y a près de trois ans, avec la constitution de l'Association des supports et médias tactiques (ASMT) . Initiée et dirigée par Stéphane Marrapodi, elle regroupait une quinzaine de sociétés. Mais, depuis quelques mois, une bonne partie d'entre elles ont déserté les rangs pour s'associer à d'autres dans la création d'une structure dédiée, l'Association des médias de proximité (AMP), présidée par Stéphane Pinte. Bien au fait du marché pour avoir été directeur du département affichage événementiel et médias tactiques chez Vocationpublics, ce dernier est passé de l'autre côté de la barrière en 2006 pour créer Made In Out, positionnée sur deux réseaux d'affichage de proximité: Cab'in, implanté dans les cabines d'essayage des magasins du Printemps, et Camp'in, situé dans les campings. «Quand j'ai créé Made In Out, je voulais rassembler les acteurs du marché, car si l'ASMT a su donner un élan positif, elle était en perte de vitesse en termes de membres et de visibilité sur ce marché, où pourtant les offres intéressantes ne cessent de se développer, explique Stéphane Pinte. Il fallait redonner un nouveau souffle et une nouvelle vision de nos médias.» L'AMP rassemble ainsi 17 sociétés dont la spécificité est la proximité, des plus installées sur le marché comme Cart'com, Média-cup, Visual Force aux plus récentes comme Evoo (voir encadré p. 44) ou Sam'Axe, société spécialisée dans l'affichage modulable dans les événements sportifs et musicaux, créée par Françoise Grimberg, ex-coordinatrice média de Coca Cola.
Selon Stéphane Pinte, l'association devrait accueillir de nouveaux membres, dont Info-Ecran qui propose la diffusion de spots publicitaires dans les taxis et Tagattitude, spécialiste des solutions de marketing mobile.
Stéphane Marrapodi préfère estimer sobrement que, «tant que des initiatives se prennent, cela veut dire que nos médias évoluent, J'espère juste que cela permettra de les consolider». Et ce dernier n'exclut pas que Tapage Média, le groupe qu'il dirige avec Benoît Paget, rejoigne un jour les rangs de l'AMP. En attendant, difficile de savoir ce que pèsent ces médias sur la scène publicitaire. La création de l'ASMT leur avait permis d'entrer dans la base de données de la pige plurimédia de TNS Media Intelligence, dans la catégorie 7e média, créée pour l'occasion. Mais son éclatement a donné un net coup de frein à la mesure des investissements publicitaires qui leur étaient consacrés. «Les chiffres que l'on peut avoir ne sont plus significatifs de la représentativité de ce marché, confirme Eric Trousset, directeur du marketing de TNS Media Intelligence. On possède les ingrédients pour avoir une couverture encore plus étendue et nous espérons pouvoir repartir avec eux sur de nouvelles bases en janvier 2008. La pige est le seul outil de promotion transversal pour cet univers extrêmement hétérogène.»
Nicolas Barral (Extrême Les Corsaires):
«On utilise les médias tactiques comme des médias circonstanciés délivrant un message spécifique dans un endroit distinct, dans le cadre d'une démarche globale.»
Cart'com, 20 ans après
- Si certains médias de proximité ont besoin de faire leurs preuves, ce n'est pas le cas de Cart'com. Le système de diffusion gratuite de cartes postales publicitaires imaginé par Philippe Casen, directeur général de Non'Stop Media, fêtera ses 20 ans le 25 octobre prochain. S'appuyant sur une étude réalisée par OpinionWay fin 2006, Michael lllouz, directeur marketing et communication de Non'Stop Media, déclare «qu'il existe une génération Cart'com chez les 35-40 ans et que l'ensemble des urbains que nous touchons via les 7 000 lieux implantés dans 60 villes françaises ont de vraies habitudes d'utilisation du média» Les dirigeants ont créé Non Stop People, une structure destinée à «suivre les gens qui bougent là où ils bougent» avec toute une panoplie de supports médias comme In'Door, un réseau d'affichage intérieur grand format lumineux; City'K, un service de consultation gratuit de presse magazine disponible sur des présentoirs dans 800 lieux de Paris et 7 grandes métropoles. E'Card, enfin, est la version numérique de Cart'com, «à la demande des étudiants et des blogueurs qui désiraient envoyer nos cartes via le Net», explique Michael lllouz. II teste, par ailleurs, sur son site Cart'com city guide, une nouvelle extension de la marque sous forme de guide des lieux branchés.
Jouer tous les registres du média
Une hétérogénéité qui ne les rend pas non plus toujours très lisibles pour les agences médias. «Toutes les agences n'ont pas un interlocuteur spécifique et l'offre est telle qu'il leur est difficile d'avoir une approche efficace dans le cadre d'un plan global», explique Stéphane Pinte. L'ASMT a ainsi essayé de leur simplifier le travail sur son site en segmentant les acteurs en trois pôles (la prise en main, l'affichage et les nouvelles technologies) et en expliquant chaque thématique. Mais certains n'ont pas attendu ce travail d'évangélisation pour inclure cette catégorie de médias dans leurs plans. «Non seulement on les suit, mais on les préconise. Il n'y a pas de barrière imperméable, c'est un débat un peu désuet, une forme d'hémiplégie intellectuelle, estime Mathilde Pasty, responsable du planning stratégique chez Cospirit et directrice média de Média Track. Nous avons depuis douze ans une approche holistique des médias: on ne s 'interdit rien pour faire rencontrer des contenus, des messages et des individus.» Elle prône ainsi l'affichage sur les taxis pour toucher les CSP+, les Smart pour parler à une clientèle plus jeune ou les cartes postales publicitaires, «un média un peu cadeau qui véhicule une idée de générosité et un bon moyen pour faire du buzz». Une agence comme LeDouze se présente comme la première du genre dédiée aux créations et aux stratégies 100% tactiques. «Par définition, ces médias permettent de mieux identifier et de suivre l'univers de vie de cibles bien précises. Ils sont aux médias ce que le Web communautaire est au Web», note Matthieu Reinartz, cofondateur de l'agence née il y a un an. «On utilise déplus en plus ces médias tactiques, non plus comme des médias complémentaires mais comme des médias circonstanciés avec l'objectif de délivrer un message spécifique dans un endroit distinct, dans le cadre d'une démarche globale», ajoute, de son côté, Nicolas Barral, directeur commercial d'Extrême Les Corsaires, bon opération de lancement de la gamme de dentifrices Max Fresh de Colgate en est une illustration. Pour la positionner sur la cible des 13-25 ans parallèlement à un plan médias classique, Extrême Les Corsaires a choisi de profiter de chaque moment où cette jeune population est exposée au problème de la mauvaise haleine (réveil, nourriture, alcool, tabac, mauvaise hygiène, pollution), pour mettre en avant la signature de Max Fresh «Après un gros coup de chaleur, un Max de fraîcheur». Elle a ainsi été mise en scène sur 400 000 boîtes à pizza pendant deux semaines, sur 913 miroirs installés dans les toilettes de 600 établissements (bars, boîtes) et sur des présentoirs de Cart'com implantés dans les mêmes lieux de loisirs de jour et de nuit. Mais, comme le reconnaît Nicolas Barral, Colgate est un des cas les plus emblématiques de l'utilisation d'un nombre relativement important de médias tactiques. Une telle opération s'est, par ailleurs, appuyée sur des sociétés déjà installées sur le marché, en l'occurrence Publipizz, Loomédia et Cart'com. «Notre étalon roi est toujours l'efficacité de ce type de média et les annonceurs rechignent à aller sur ceux dont l'efficacité n'est pas archiprouvée, ajoute-t-il. On est sur un marché où beaucoup disparaissent à peine arrivés et la prime à la nouveauté n'est retenue qu'avec beaucoup de prudence.» De même, «il existe toujours des freins, on est encore trop souvent estampillés hors média, événementiel, regrette Pascal Paul, dirigeant de Médiamobile. Alors qu'en affichant comme nous 1 200 faces de taxis dans Paris, on crée à la fois de l'impact et de la puissance.» Pour lever ces freins et mieux s'imposer dans les plans médias, les sociétés misent sur différentes cartes. Celle des propositions communes, à l'image de TacTic Média qui propose ses sachets de sandwiches et sets de table publicitaires au moment de la Coupe du monde de rugby en même temps que d'autres sociétés de l'AMP. Celle de l'interactivité également, sorte de passage obligé dans les campagnes classiques. Le fait que des sociétés comme Mobile Tag, Info-Ecran et Tagattitude, rejoignent l'AMP, illustre la volonté de l'association de répondre à la demande d'une communication interactive ciblée sur une population, un lieu et un moment. «Nous avons lancé une offre début 2006 et réalisé trois campagnes pour Le Figaro, Intel et HP, illustre Pascal Paul. Les gens passent, en moyenne, 20 minutes dans les taxis et ont donc le temps déjouer avec leur portable.» Carlogo propose de son côté, depuis le début de l'année, des Smart équipées de la technologie bluetooth, une nouvelle génération de véhicules communicants. «Mais c'est une technologie plus compliquée à mettre en oeuvre que des innovations comme l'hologramme, les adhésifs électroluminescents ou l'olfactif du système Scenty. Cette technologie permet pourtant la diffusion de la senteur de son choix à partir d'un véhicule et fonctionne déjà bien auprès des marques», précise Olivier Moschino, dirigeant de Carlogo. «Il n'y a pas encore le recul suffisant pour connaître l'impact des campagnes qui intègrent des dispositifs bluetooth, mais c'est dans l'air du temps et nos marchés se doivent de suivre cette évolution de près», estime Stéphane Marrapodi, dont le groupe Tapage Média a travaillé pour Coca-Cola, EMI ou Levi's.
Mathilde Pasty (Cospirit/Media Track):
«Nous avons depuis 12 ans une approche complètement holistique des médias: on ne s'interdit rien pour faire se rencontrer des contenus, des messages et des individus.»
Média gourmand
Des chocolats labellisés Max Havelaar, des madeleines, palets bretons, spéculoos, nougats et pralines à déguster avec son café mais aussi une information sur le dernier lancement de Bouygues, Nokia, Mercedes Benz ou Volkswagen, c'est ce que propose le concept de la Voocard imaginé par Evoo.
L'agence de communication spécialisée dans «le développement de supports publicitaires, de réseaux de distribution et d'opérations uniques» et membre de l'AMP mise, en effet, sur la gourmandise et un moment de plaisir partagé pour communiquer différemment Le concept repose sur un système de packagings autobloquants brevetés aux formes personnalisées, replié autour de douceurs sucrées qui, une fois ouvert, dévoile un message publicitaire Ce concept original est décliné dans un réseau de 120 établissements haut de gamme.
Mouvements de concentration en vue
«Nous disposons d'une palette d'outils très complète à laquelle nous cherchons à apporter des innovations originales à la demande des annonceurs. Mais, parallèlement, notre objectif à moyen terme est de consolider notre groupe», déclare Stéphane Marrapodi.
Tapage Média est, en effet, devenue une marque ombrelle, l'élément déclencheur ayant été le rachat d'UPskin. Avec l'intégration du réseau de Smart publicitaires créé par Vincent Berny et Frédéric Vincent, le groupe a réorganisé ses offres autour de trois pôles. Tout d'abord l'indoor, composé de Loo Média (affichage bars et lieux branchés), Descartes Médias (cartes postales publicitaires), Publipizz (boîtes à pizza), Réseaudience (gobelets publicitaires) et Atout Ticket (tickets de parking). Ensuite, l'outdoor, avec UPskin et, enfin, le pôle Event (opérations de street marketing, échantillonnage, roadshows, habillages événementiels, etc.). «Ce rachat a donné naissance à la première offre nationale de médias tactiques. Nous allons digérer tout cela et identifier à l'horizon 2008 d'autres opérations à même de nous permettre d'atteindre la taille critique nécessaire», précise Stéphane Marrapodi.
Cette évolution du groupe, qui devrait atteindre 5 millions d'euros de chiffre d'affaires consolidé à fin 2007, pointe du doigt la nécessaire évolution à laquelle va se trouver confronté l'ensemble du marché de ces médias. «Nos médias constituent un marché d'avenir et il est évident que des grands groupes vont de plus en plus s'y intéresser, soit en développant eux-mêmes ce type d'activités, soit en rachetant des sociétés», estime Michael lllouz, directeur marketing et communication de Cart'com / Non'Stop Média et porte-parole de l'AMP. La nécessité de proposer une communication globale à des marques qui souhaitent de plus en plus toucher leurs consommateurs à tout moment et de la manière à la fois la plus pertinente et la plus originale possible n'a effectivement pas échappé aux médias classiques qui ont développé des structures comme TF1 Hors Média ou NRJ Event. «Le marché des médias de proximité compte une cinquantaine de sociétés. Il n'en restera probablement à terme qu'une demi-douzaine à 20-25 millions d'euros de chiffre d'affaires», pronostique Michael lllouz.
Quand le média s'envoie en l'air
- On savait déjà que l'aéroport était un espace médiatique largement utilisé La chaîne pour enfants Gulli vient de signer un accord de trois ans avec Aéroports de Paris pour aménager des espaces ludiques dédiés aux 7,2 millions d'enfants de moins de 15 ans, qui fréquentent annuellement les terminaux de Paris-Orly et Paris-Charles-de-Gaulle. Mais l'aérien peut aller encore plus loin dans ce domaine, à l'image de Sky Europe qui positionne pour la première fois ses avions comme un média. «Le trajet en avion est considéré comme ennuyeux par les passagers qui sont bloqués pendant quelques heures C'est pourquoi nous avons eu l'idée d'en faire un espace médiatique, explique Karim Makhlouf, directeur commercial de la compagnie slovaque. Nous proposons une manière de voyager low cost mais avec des services axés sur l'art de vivre» La première étape a consisté à afficher sur un avion de la flotte un visuel d'Adriana Karembeu, égérie de la campagne d'affichage de Sky Europe. La compagnie a également conclu un accord avec la marque de lingerieTriumph. Elle envisage, par ailleurs, de proposer de privatiser un avion et est en contact avec Fashion TV pour y organiser des défilés de mode. Des opérations en accord avec le slogan de la compagnie «Le style n'est pas qu'une question d'argent, Sky Europe, la première compagnie aérienne à la mode»