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L'international, levier décroissance pour les instituts

Pour suivre leurs clients dans leur développement à l'international, les instituts d 'études sortent de l'Hexagone. rachats ou créations de sociétés, constitution de réseaux formels ou informels et acquisition d'expertises se multiplient, notamment dans les pays émergents.

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Depuis deux ans, la crise économique a touché tous les secteurs. L'industrie des études n'y a pas échappé. La plupart des sociétés de ce domaine ont ainsi vu leur chiffre d'affaires baisser. «Mon chiffre d'affaires en grande consommation se maintient grâce à l'international. En France, les clients de ce secteur sont plus fragiles », admet Didier Laporte, président d'eQual (30 % de CA à l'international). Et les grands groupes tels que GfK, Ipsos, Synovate, TNS, Kantar, etc. n'y échappent pas. En 2009, pour la première fois en trente ans, le chiffre d'affaires d'Ipsos a régressé: il s'est établi à 943,7 millions d'euros, en retrait de 3,6 % par rapport à 2008. «En début d'année 2009, nous avions sous-estimé les conséquences de la crise sur le secteur. Nous n 'imaginions pas que les entreprises allaient couper aussi fortement dans kurs dépenses études», a reconnu Didier Truchot, coprésident du groupe Ipsos, lors de la présentation, en février dernier, des résultats de l'année 2009. Toutes les lignes de métier du groupe ont souffert. Mais la présence géographique diversifiée d'Ipsos a permis de limiter les pertes: si le chiffre d'affaires européen du groupe a baissé de 4 %, celui d'Amérique du Nord de 7,5 % et celui d'Amérique latine de 1%, en revanche, le chiffre d'affaires en Asie-Pacifique et Moyen-Orient a progressé de 5%. «La croissance organique du groupe dans les pays émergents a augmenté de 3,6 % en 2009 et ces pays représentent aujourd'hui 30 % de l'activité d'Ipsos», souligne Didier Truchot. D'ailleurs, depuis le quatrième trimestre 2009, la progression en Amérique latine, en Asie Pacifique et au Moyen-Orient s'est élevée à 10%.

Déjà, en 2008, les chiffres publiés par Esomar concernant le marché mondial des études montraient que les seuls marchés en croissance étaient ceux des pays émergents de la région Asie-Pacifique, d'Amérique latine, du Moyen-Orient et d'Afrique, qui, ensemble, pesaient pour 21 % du total mondial. Une tendance qui sera certainement confirmée en 2009. « Nous prévoyons en 2010 une croissance plus forte des pays émergents», estime Didier Truchot. Et d'ajouter: «La croissance pourrait être anémique, notamment dans sa composante grande consommation sur beaucoup de marchés importants en Amérique du Nord et en Europe. Mais elk devrait être significative dans certaines autres zones du monde. Notamment, dans la «Chïnelnde«, concept probablement plus opérant que celui de «Chine Amérique" évoqué l'automne dernier par ks médias. »

Rachats et réseaux

Car de tout temps, pour accompagner leurs clients dans leur développement à l'international, les instituts d'études n'ont eu de cesse de se déployer hors de leur pays d'origine. Ces dernières années, la demande a porté sur l'Europe de l'Est, l'Asie et l'Amérique latine. La Turquie fait actuellement l'objet d'une forte demande, tout comme la Corée. Les grands groupes comme GfK, Ipsos, TNS Sofres, Synovate, WPP/Kantar, - pionniers dans le développement international continuent de racheter des sociétés sur les cinq continents, s'adaptant sans cesse à la demande de leurs clients. A titre d'exemple, le réseau de filiales intégrées de GfK couvre actuellement 110 pays (avec une

présence précoce dans les pays d'Europe de l'Est), celui d'Ipsos 64, celui de TNS 75, et celui de Synovate 62... Par ailleurs, la couverture géographique a progressivement concerné toutes leurs lignes de métier.

Les sociétés d'études de taille moyenne suivent ce déploiement à leur rythme, soit en développant un réseau de partenaires privilégiés (en qualitatif comme en quantitatif) , soit en ouvrant des bureaux ou filiales dans des pays-clés pour elles (et leurs clients). La dernière solution pour elles consiste à intégrer un réseau. Ainsi, LH2 vient de rejoindre Iris, principal réseau de sociétés d'études indépendantes, en tant que membre exclusif pour la France. BVA fait, quant à lui, partie des réseaux Win et Global Network Research. Parallèlement, les access panels providers vont toujours plus loin dans l'internationalisation de leurs bases de panélistes on line comme Toluna, SSI, ou encore eRewards (qui vient de racheter Research Now) .

Didier Truchot (Ipsos):« La «Chinein» de est un concept probablement plus opérant que celui de «Chineamérique». »

Didier Truchot (Ipsos):« La «Chinein» de est un concept probablement plus opérant que celui de «Chineamérique». »

Stéphane Truchi (ifop):«Aujourd'hui, on ne peut pas être international sans être en Chine. »

Stéphane Truchi (ifop):«Aujourd'hui, on ne peut pas être international sans être en Chine. »

Michaël Bendavid (Strategic Research, « La connaissance des marchés et des consommateurs est un préalable incontournable au développement des offres et des marques. »

Michaël Bendavid (Strategic Research, « La connaissance des marchés et des consommateurs est un préalable incontournable au développement des offres et des marques. »

Luc Milbergue (Stratégir): « Notre progression en 2009 est fortement liée à notre stratégie de développement international. »

Luc Milbergue (Stratégir): « Notre progression en 2009 est fortement liée à notre stratégie de développement international. »

La Chine, objet de toutes les attentions

Parmi les pays émergents, certains présentent un dynamisme économique prometteur, qui fait d'eux l'objet de toutes les convoitises de la part des marques internationales. Un constat que dresse Michaël Bendavid, dg de Strategic Research: «Les Bric (Brésil, Russie, Inde, Chine, NDLR), principaux pays émergents à croissance rapide, sont des zones où se joue l'avenir des grandes firmes internationales. Ils devraient représenter une part croissante des investissements en matière d'études: la connaissance des marchés et des consommateurs est un préalabk incontoumabk au développement des offres et des marques. » Hugues Cazenave, p-dg d'OpinionWay (25 % de chiffre d'affaires à l'international, notamment en qualitatif), partage ce point de vue: «Nous travaillons de façon régulière sur les cinq grands marchés européens, ainsi que sur les Etats-Unis, la Chine et Japon, et nos clients commencent à nous demander des études en Inde et au Brésil. » Quant à Philippe Lespinet, p-dg de PLM Marketing Research, il ajoute: «Aujourd'hui, nos clients historiques comme LG et Samsung, qui nous commandaient des études dans les principaux pays européens, nous demandent de mettre en oeuvre les mêmes projets au Mexique, en Inde, au Brésil, en Russie. Si les tests ne sont pas concluants dans ces marchés, les produits ne seront même pas lancés ailleurs. » Cette évolution est également constatée chez Sorgem: «Il y a dix ans, on nous interrogeait sur les Etats-Unis, l'Europe de l'Ouest, Japon. Aujourd'hui, nous avons beaucoup de demandes sur la Chine; ce qui nous a amenés à nous positionner sur ce type de pays. Et nous avons de plus en plus de sollicitations sur la Russie, alors qu 'il y a une montée en puissance du Brésil et quelques demandes pour l'Inde», détaille Maria di Giovanni, directrice associée de Sorgem (60 % de chiffre d'affaires à l'international) . Conséquence: les filiales et les rachats se multiplient. Société leader dans les études qualitatives à l'international, Sorgem a ainsi ouvert une filiale en Chine et créé Metis, une structure de conseil dédiée au pilotage des marques internationales. De son côté, pour mieux servir sa clientèle asiatique et chinoise, Added Value a racheté, en 2009, l'institut Saffron Hill basé à Singapour et aux Philippines. Quant au groupe Harris Interactive, il a acquis en 2007 Marketshare, un institut basé à Hong Kong et à Singapour.

Pays en plein développement, la Chine attire donc de plus en plus les marques internationales et, dans leur sillage, les sociétés d'études. Désormais, les instituts cherchent à y être toujours plus présents, d'une façon ou d'une autre. «On ne peut pas être international aujourd'hui sans être implanté en Chine», martèle Stéphane Truchi, président du directoire de l'Ifop. L'Ifop (25 % à 30 % de chiffre d'affaires à l'international) a ainsi été le premier institut français à s'installer dans le pays et a relancé son bureau il y a trois ans. Avec succès, au point de créer une direction générale d'Ifop Asia à Shanghai, confiée à Stéphane Courqueux. Ipsos, qui compte 18 bureaux dont 4 en Chine, a également conforté sa présence en rachetant en 2008 B-Thinking, institut leader dans les études automobiles. Et grâce à l'implantation de la Sofres en Asie (suite au rachat du réseau Frank Small & Associates en 1997), TNS est un acteur majeur sur la région. Sa filiale en Chine se place aujourd'hui en leader des études de marché et d'opinion.

De son côté, Numsight (50 % de chiffre d'affaires à l'international) a ouvert, en 2006, un bureau à Hong Kong. «Nous avons débuté avec des budgets demandés par la France et, aujourd'hui, nous commençons à avoir des budgets locaux», explique Eric Janvier, Managing Partner. D'ici à la fin de l'année, BVA devrait ouvrir une filiale In Vivo BVA en Chine avec un partenaire local. «Nous faisons de plus en plus d'études en Chine, ce qui nous a incités à développer notre propre modèle surplace», explique Christine Marty, dga marketing et communication de BVA. L'institut envisage aussi d'implanter une filiale en Russie, probablement avec un partenaire. Enfin, Mica Research (50 % du chiffre d'affaires à l'international) , fruit de la fusion d'Estel et IOD, dispose d'une filiale à Shanghai (ouverte en 2003), avec une plateforme téléphonique de 30 postes.

Stratégir a tenté également «l'aventure» chinoise, en créant récemment une joint-venture: Stratégir WisdomAsia. Une politique encouragée par les résultats du groupe. «En 2009, le groupe Stratégir est en croissance de plus de 20 % par rapport à 2008, souligne Luc Milbergue, président du groupe Stratégir. Ces résultats, dans le contexte économique actuel, sont fortement liés à notre stratégie de développement international: il a été réalisé grâce à nos filiales en Allemagne et au Royaume-Uni ainsi qu'à notre joint-venture en Chine, et décuplépar nos partenariats i

en Europe, y compris en Europe de l'Est, aux Etats-Unis et en Amérique latine. La part du chiffre d'affaires à l'international était de 30 % en 2009 et de 40 % au premier trimestre 2010. »

L'inde et le Brésil montent en puissance

Outre la Chine, l'Inde et le Brésil suscitent également l'intérêt des marques internationales, notamment dans le secteur du luxe. Les instituts mettent donc en avant leurs expertises sur ces pays. En 2008, Ipsos a racheté Alfacom au Brésil, société leader des études Loyalty dans le secteur automobile. Très présentes en Amérique latine et au Brésil, les différentes filiales de TNS ont interviewé plus d'un million de personnes sur le continent. PLM Marketing Research, déjà implanté à Londres, mais également en Inde - et ce, depuis 18 ans -, a ouvert une filiale au Brésil en 2009. Enfin, de sa filiale à Buenos Aires, l'Ifop couvre toute l'Amérique du Sud, y compris le Brésil, où l'institut apporte sa connaissance du marché du luxe.

Doucement mais sûrement, c'est désormais au tour de l'Inde de devenir un nouvel Eldorado du marché des études. Didier Truchot admet pourtant que son groupe rencontre encore quelques problèmes de taille en Inde, malgré le rachat il y a deux ans d'une petite société. Il n'en va pas de même pour TNS India (4 bureaux, 21 field centres) , qui est n° 1 en Inde. «L'Inde et l'Afrique sont au coeur de la stratégie de développement de TNS Political and Social dans ks pays émergents», a indiqué Mark Francas, Global Deputy Head of TNS Political & Social, lorsque l'institut a remporté, en avril dernier, un très important contrat d'études pour le gouvernement indien. En avril dernier également, le réseau Iris a coopté son premier institut-membre indien.

A la recherche de la cross fertilization

Quel que soit le pays visé, la taille globale d'un institut n'est pas toujours le premier critère d'efficacité dans la conduite d'un projet d'étude international. Ce qui compte réellement, c'est l'expérience de l'équipe projet, ses qualités d'organisation et son degré d'ouverture internationale. Première étape: l'embauche de directeurs d'études et d'équipes plurilingues et multiculturelles. «L'international est un état d'esprit et demande un savoir-faire qui ne s'improvise pas», souligne Helen Zeitoun, dg de GfK Custom Research France. L'échange de connaissances entre filiales et entre lignes de métier, la formation interne et l'émulation importent également. Pour exemple, GfK Custom Research a mis en place depuis deux ans des «Knowledge Exchange Awards». Chez Added Value, le programme de compétition annuel s'appelle «AV Shine Awards». De son côté, Ipsos a mis en place un «Gold Medals» programme et un International Training Centre (e-learning) . Enfin, GfK, TNS Sofres et Added Value ont tous une «Académie» pour renforcer la formation interne.

Car le déploiement dans les filiales de nouvelles expertises permet d'enrichir la palette d'offres produits et de créer de l'innovation. Un exemple récent: le rachat par Ipsos d'OTX aux Etats-Unis va permettre la mise au point d'une nouvelle offre d'études dans les univers connectés des médias, de l'entertainment et du marketing. GfK va déployer en Europe l'expertise de Strategic Innovation, société américaine spécialisée dans l'innovation et rachetée l'an dernier. On se souvient que, par le passé, c'est le rachat d'une société en Afrique du Sud qui a permis à la Sofres, puis à TNS Sofres, de développer son offre Loyalty et relation à la marque basée sur le Conversion Model.

«L'international est une obligation de survie pour k métier des études. Les clients sont dans une optique de mondialisation, les consommateurs sont de plus en plus «digitaly connected" et donc exposés au contact avec les autres. L'esprit international est partout», souligne Helen Zeitoun. Les sociétés d'études vont chercher l'innovation en s'appuyant sur des insights, non seulement dans différentes catégories, mais aussi à l'étranger. Sorgem va plus loin et analyse la façon dont les valeurs d'une marque sont impactées à l'international et comment cette dernière peut s'en servir pour rebondir. Les données du programme d'études international Roper (institut entré dans le groupe GfK suite au rachat de NOP) sur 25 pays viennent éclairer les résultats d'analyse et les recommandations que GfK Custom Research est amené à faire dans tel ou tel pays. «Le Roper est une toile de fond sur les individus, qui vient éclairer telle ou telle problématique et expliquer les résultats par le background culturel», souligne Anne Lerner, Associate Director de GfK Custom Research France.

«Plus qu'un levier de croissance, l'international est une nécessité», résume Eric Lombard, Managing Partner de Numsight. L' Ifop a bien compris cet enjeu. «En 2010, l'Ifop va passer d'une organisation locale avec des filiales à une organisation globale, avec une politique de grands comptes internationaux, un board international et une réflexion sur les produits. Nous voulons apporter des services plus complets à nos clients. C'est un vrai projet d'entreprise», annonce Stéphane Truchi.

La question du nom de marque en Chine vue par Sorgem

Un nom chinois est indispensable pour les marques présentes sur ce marché. La plupart des habitants du pays ne parlent pas anglais (ou alors mal) et pratiquent encore moins le français ou d'autres langues. Ils n'ont pas l'habitude de prononcer des mots plurisyllabiques et il est encore plus difficile pour eux de mémoriser ces derniers.
Plusieurs possibilités de transcription existent: chercher des caractères dont la prononciation est proche ; traduire le sens du mot quand il y en a un ; véhiculer les valeurs de marques ou mieux encore, concilier les valeurs de la marque et la prononciation.

Les promesses du Brésil

En cohérence avec son positionnement?«Connection creates (value», l'Ifop enrichit la compréhension du consommateur à travers le monde en mettant en perspective des études réalisées in situ, l'interrogation d'experts du pays en question et la veille de tendances et d'évolutions de marché. Après la Chine, le Japon, la Russie, l'Ifop explore aujourd'hui le B de Bric et a livré quelques enseignements essentiels sur ce marché et ses consommateurs lors de la réunion du 4 mai dernier du Club Luxe de l'Adetem. Dixième puissance mondiale, classée comme 4e destination au meilleur potentiel d'affaires après la Chine, l'Inde et les Etats-Unis, pays qui a su faire grandir la classe moyenne grâce aux mesures sociales à grande échelle, le Brésil fait aujourd'hui partie des pays émergents les plus prometteurs en termes de potentiel de consommation. « Grâce à une utilisation décomplexée du crédit, la classe moyenne (52 % de la population, plus de 100 millions de personnes, une progression de plus de 20 millions entre 2006 et 2007), dite «classe comme consommation, achète tout par ce biais », explique Martine Ghnassia, directrice du Planning stratégique de l'Ifop. Ainsi, selon le magazine Exame, le Brésil compte parmi les grandes puissances de consommation dans la sphère de la cosmétique (plus de 70 % d'augmentation de la consommation entre 2002 et 2007, 3e rang mondial), de la téléphonie mobile (3e rang mondial) , des ordinateurs (+60 % entre 2002 et 2007), des boissons non alcoolisées (5e rang, +125 % entre 2002 et 2007), de l'automobile (5e rang, + 58 % entre 2002 et 2007).
A côté d'une classe pauvre, composée d'exclus, le Brésil compte une classe de très riches, voire de millionnaires. « C'est au Brésil que l'on trouve la plus forte progression dans le monde des millionnaires (+ 55% en cinq ans), souligne Martine Ghnassia. Quand on sait qu'il s'agit d'un des marchés du luxe les plus florissants au monde, avec une estimation de croissance de plus de 35 % dans les prochaines années, cela ne peut que faire rêver. » Pour les experts que l'Ifop interviewe régulièrement avec son département Planning stratégique, le Brésil est le pays «premier en tout» sur le luxe, la bulle de consommateurs extrêmement riches étant celle qui consomme le plus au monde et qui adore les produits de luxe européens au point de se les approprier. « Gagneront les marques qui sauront intégrer dans leur mix la brésilienne», estime Martine Ghnassia.

Le luxe et l'empire du Milieu

Tribune Par Ben Wood, directeur innovation d'added Value ParisLa Chine impériale était capable de rivaliser en somptuosité, sophistication et démesure avec n'importe quelle élite, mais la culture du luxe a virtuellement disparu pendant la majeure partie du xxe siècle. L'ouverture politique et la croissance économique phénoménale (une croissance annuelle qui dépasse les 10 % de moyenne sur les trente dernières années) ont changé la donne. Privés de consommation pendant plus de cinquante ans de communisme, les Chinois ont une revanche à prendre. Avec une classe moyenne estimée à 150 millions de personnes en 2010 et projetée à 670 millions en 2021, la Chine représente le nouvel Eldorado du marché du luxe mondial et pourrait, à terme, rivaliser avec le géant de la consommation du luxe, les Etats-Unis.


Le statut et la «face»Ce dynamisme économique a suscité des comportements que l'on retrouve de façon assez systématique dans les «nouveaux» marchés du luxe.
- L'importance du statut et du paraître. Les produits et marques de luxe sont le symbole extérieur de la réussite économique et sociale. Ils marquent l'appartenance à la nouvelle élite chinoise.
- L'équation prix élevé + marque reconnue = luxe respecté. Une tendance à se focaliser plus sur le prix et l'apparence que sur les qualités intrinsèques du produit et à privilégier les grandes marques de luxe reconnues de tous
.- Le rôle de la «face». La tradition du don est très développée en Chine, en particulier dans le monde des affaires. Le don est non seulement un moyen d'honorer le receveur et de lui démontrer la «valeur» qu'on lui accorde, mais également de symboliser ce que «vaut» le donneur. Par exemple, lorsque vous échangez un contrat signé pour plusieurs millions de RMB avec votre client, il est impératif de le lui fournir dans un sac Louis Vuitton. Ces dimensions du luxe sont encore bien visibles en Chine, surtout dans le Sud et le Sud-Est commercial de la Chine (Guangzhou, Shenzhen, Fuzhou, Xiamen).


Le statut et la connaissanceComme beaucoup de secteurs en Chine, celui du luxe évolue très rapidement. Dans les villes les plus sophistiquées telles que Shanghai et Beijing, soumises aux influences internationales, on observe l'évolution du «Status through Show» (le statut par le paraître) vers le «Status through Know» (le statut par la connaissance).
Pour se différencier, on veut montrer plus de discernement et de sagesse dans sa consommation de luxe, connaître l'histoire derrièreune marque et un produit, expliquer les raisons de son prix exclusif. Le plaisir de la possession en est décuplé avec en prime une image de personne cultivée et raffinée. Les marques de luxe sont conscientes de cette dynamique et des risques liés à un marketing trop superficiel et ostentatoire. L'utilisation des nouveaux médias digitaux, dont les Chinois sont extrêmement friands, est un excellent moyen de donner plus de contenu aux maisons et aux marques. De même que les événements qui créent des expériences luxueuses valorisant l'art de vivre et le mythe du produit.


A quand des marques de luxe chinoises?Après avoir longtemps considéré la Chine comme un réservoir de main-d'oeuvre à bas prix, le monde occidental lorgne cette nouvelle société de consommation qui constitue, pour lui, un puissant relais de croissance.
Cependant, la Chine commence à se développer et à exporter des marques et des services (et non plus seulement des produits pour d'autres pays et marques) dans les domaines de la mode, de la technologie, de l'automobile, du design. Des domaines où il est intéressant de noter que le Japon a su créer des marques super premium/luxe (Yohji Yamamoto, Comme des Garçons, Issey Miyake, Lexus, Infiniti...) sans le riche patrimoine culturel et le savoir-faire des maisons de luxe européennes. Dans le domaine de la mode, il existe déjà des marques de prêt-à-porter de luxe comme Shanghai Tang et Liwai qui proposent une fusion sino-européenne sophistiquée. Le groupe Swire développe des boutiques-hôtels parmi les plus design et avant-gardistes au monde. Des tableaux d'artistes chinois se vendent pour des millions d'euros à l'international. A quand un Lexus chinois?

Nathalie Bollé (GFK Custom Research): « Dans le cas d'une étude internationale, il faut tenir compte de la différence de notation liée au pays. »

Nathalie Bollé (GFK Custom Research): « Dans le cas d'une étude internationale, il faut tenir compte de la différence de notation liée au pays. »

La problématique des échelles de valeur

«L'analyse des études internationales est complexe, constate Nathalie Bollé, directrice du département Innovation & Shopper de GfK Custom Research. Il existe, par exemple, de fortes différences de notations entre les pays. Une connaissance du pays et de sa manière de noter est indispensable à l'analyse. » L'analyse de la base de données NPD, cumulant les scores de tous les tests d'innovation réalisés par GfK à travers le monde, montre ainsi que les niveaux d'intention d'achat sont très variables d'un pays à l'autre. En moyenne, pour les tests de concepts et de produits, l'intention d'achat est 46 points plus élevée en Inde qu'en Turquie. Dans de nombreux pays d'Amérique latine, et également en Inde, les scores sont bien plus élevés qu'aux Etats-Unis ou en Europe. «Dans le cas d'une étude internationale, les résultats ne peuvent donc pas être analysés en établissant des comparaisons entre les pays. La différence de notation liée au pays est à prendre en compte», ajoute Nathalie Bollé.

ANIKA MICHALOWSKA

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