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Jeux vidéo, le nouveau terrain de jeu des marques

Le placement produit dans les jeux vidéo, ou advergaming, débarque dans l'Hexagone. Un moyen pour renouer le contact avec un consommateur qui attend désormais des marques plus de créativité et de relation.

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Année 2008. Un virus des plus puissants attaque les systèmes informatiques des Bourses japonaise et américaine. Le Japon, en voulant réagir, viole plusieurs traités internationaux. Inquiétant pour la Corée du Nord qui décide d'envahir la Corée du Sud. Non, vous n'êtes pas devant la série 24 heures Chrono, ni devant le film culte Mission Impossible, mais dans le jeu vidéo Splinter Cell (édité par Ubisoft) avec son héros fétiche Sam Fisher. Jusquelà rien d'exceptionnel. Sinon que Sam, bien que superpuissant, n'est pas insensible aux marques. Il les utilise même, mâche du chewing-gum Airwaves, passe devant des affiches Axe et vérifie son planning sur son palm Sony Ericsson. Sam n'est pas un cas isolé. Alexandra Ledermann, sélectionnée pour intégrer une prestigieuse école d'équitation en Ecosse (éditeur Ubisoft également), gère, dans le jeu vidéo du même nom, son emploi du temps sur un agenda Oxford. Les exemples sont nombreux et démontrent tous que la publicité dans les jeux vidéo est en plein boom. D'ici à 2010, les revenus publicitaires générés sur les jeux vidéo atteindront ainsi plus de 2 milliards d'euros, selon Massive, première régie au monde pour la publicité dynamique au sein des jeux vidéo. Ce qui représentera cinq fois les investissements de 80 millions de dollars constatés en 2005, dixit un rapport de Park Associates. Il faut dire que, selon l'Agence française pour le jeu vidéo (AFJV), le marché des loisirs est en pleine révolution. Et pour cause, la croissance de l'équipement des foyers français permet aux jeux vidéo de figurer parmi les premiers loisirs culturels des Français. Toujours selon l'AFJV, le marché des consoles va même battre des records : plus de 2,8 millions ont déjà été vendues en 2005. Quant au marché des CD-Rom PC, la croissance du parc installé va inévitablement favoriser le développement des ventes, que GfK estimait à 8 % en volume en 2005. Au total, le marché des loisirs interactifs (consoles+logiciels consoles + CDRom PC) devrait donc passer la barre des 1,5 milliard d'euros en 2005, en croissance de 8 %, dépassant ainsi le chiffre d'affaires prévisionnel du marché de la musique, après avoir dépassé celui du cinéma en 2004.

Un nouveau moyen complémentaire

Pas besoin d'être un super héros pour comprendre l'engouement des marques pour les jeux vidéo. « Il suffit, d'une part, de se pencher sur l'environnement encombré de la communication et, d'autre part, d'observer simplement le consommateur de plus en plus las des moyens traditionnels, recherchant un lien émotionnel avec la marque », analyse Jean-Marc Lehu, maître de conférence à la Sorbonne, qui ajoute : « La marque n'a plus de contact privilégié avec le consommateur. Ce dernier a identifié le caractère commercial de la publicité. » Dans son dernier ouvrage(1) consacré au placement produit au cinéma mais également dans les chansons, les jeux vidéo ou les romans, l'auteur cite J.Walker Smith, président du cabinet Yankelovich Partners : « De plus en plus de marques sont à la recherche de nouveaux moyens pour entrer en contact avec le consommateur… C'est exactement le type d'antimarketing que les gens trouvent plus attirant…Que les marques montrent quelles ne se prennent pas au sérieux. » Et quoi de plus ludique et insolite qu'un jeu vidéo ? “Sam Fisher serait sans doute moins efficace privé de ses téléphones Sony Ericsson P900 et T637”, écrit Jean-Marc Lehu dans son livre. Idem pour le taxi au centre du jeu London taxi (2005) probablement plus propre car nettoyé avec le détergent Flash (Procter & Gamble). Les exemples sont d'ores et déjà bien nombreux. “Les marketeurs n'ont parfois dans la vraie vie plus qu'une seconde ou une minute pour capter l'attention de leurs clients. Avec les jeux vidéo, l'audience se mesure désormais en heures. Réussir à capter l'attention du consommateur est vraiment une aubaine pour les marketeurs”, note Erik Hauser, fondateur de Swivel Media, une agence de marketing services, dans un rapport de Trendwatching. « Le marché bouillonne. En 2007, nous commencerons à y voir plus clair », ajoute Eric-Alexis Fortier, en charge de la commercialisation du site jeuxvideo.com chez Hi Media. Dès le mois prochain, de nouveaux produits investiront d'ailleurs les linéaires ciblant désormais une population davantage féminine à l'instar du jeu Desperate Housewives qui pourrait ouvrir le placement produit à des crèmes de soins ou des collections de prêt-à-porter. « C'est l'évolution du marché(2) des jeux vidéo qui a fait émerger le placement, souligne François Denoeux, responsable du développement B to B, média et partenariat d'Ubisoft. Nous sommes devenus un produit massmarket. Ce ne sont plus les seuls hardcore gamers qui achètent. Ce marché s'adresse à des populations de plus en plus larges. »

Dix heures par semaine devant un jeu

Et population plus large (mixité grandissante et âge moyen de 26 ans) ne veut pas dire attention diminuée. « Quand le “gamer” joue, l'oeil rivé sur son écran, les mains occupées, il est très attentif », note François Denoeux. Une aubaine pour les marques d'autant que « le gamer passe facilement dix heures par semaine devant son jeu », ajoute Jean-Marc Lehu. « Le joueur est très réceptif lorsqu'il joue. Il est en action avec son environnement », explique Bruno Vannod, directeur général d'Advertising.com qui fait remarquer : « Quand vous jouez au golf, vous avez la possibilité d'utiliser un meilleur équipement que dans la vraie vie, de l'essayer et peut-être même de l'acheter dans le monde réel. » En outre, comme dans les films, l'advergaming a du sens. « Je peux me choisir une Ferrari, une Porsche, une BMW. Les marques dans le jeu peuvent me permettre d'accéder à des marques que je sais inaccessibles. Il y a donc une création de l'accessibilité virtuelle », poursuit Jean-Marc Lehu. Une façon de reprendre le pouvoir pour des marques qui ne connaissent plus leur consommateur ? Pour cet expert, rien n'est plus sûr. A certaines conditions toutefois.

Un maître mot : la cohérence

« Si les marques apprennent à bien jouer sur ce terrain, elles repartiront pour un quart de siècle, prédit ce dernier. Le placement produit dans les jeux vidéo rend crédible un jeu comme le sont les placements dans les films. Mais attention à la saturation par surexposition. » Un avis partagé par les éditeurs et les agences médias. « Une publicité doit être bien placée, pas trop exposée et en cohérence avec le contenu du jeu », prévient Eric-Alexis Fortier. Autre atout exigé, être cohérent. « Pour que cela fonctionne, le placement produit, que ce soit dans un film ou dans un jeu vidéo, doit être intégré dans une stratégie média. La cohérence du message vidéo, du film, du hors-média doit être totale », avertit Jean-Marc Lehu. Reste que les annonceurs sont encore frileux. « Le ratio coût du contact est très intéressant mais c'est une pratique difficile à mesurer. Malgré la forte notoriété du jeu (Alexandra Ledermann, ndlr), cela ne nous donne pas une puissance très large », témoigne Christophe Gérard, coordinateur marketing Europe de la division papier du groupe Hamelin pour l'agenda Oxford. « L'enjeu va être d'évangéliser ce média auprès des annonceurs, lâche Eric Alexis Fortier. Il va falloir arriver à déterminer le score de vente et qui va être derrière sa console. » Ce que font désormais certains, à l'instar de Massive qui donne aux annonceurs la possibilité de cibler les joueurs, de personnaliser les campagnes et de les changer rapidement avec des messages différents. Quant à l'audience, Jean-Baptiste Geraud, directeur de Sulake France, éditeur de Habbo Hotel (une communauté virtuelle qui regroupe près de 20 pays et attire 7 millions de visiteurs uniques par mois dans le monde) estime que la publicité dans les jeux peut parfaitement se mesurer. « Nous utilisons deux formes de pub dans Habbo Hotel. La pub classique sous forme de bannières, de skyscrapers (bannières verticales) où nous utilisons l'outil DART pour la mesure d'audience et où nous fournissons via DART le nombre de PAP(3), le nombre de clics et donc le taux de clics final. Pour les campagnes à l'intérieur du jeu, les posters sont cliquables et nous mesurons, via un outil interne appelé MediaMax, le nombre de fois où le poster a été affiché. » Pour François Denoeux, la mesure d'un jeu est simple : « On sait qu'un jeu, sans compter le marché de l'occasion, est vu en moyenne par trois personnes. Il suffit de comptabiliser les ventes. A partir du moment où il est vendu, il est forcément utilisé. »

Du monde réel au monde virtuel

Reste que certains jeux ne sont pas vendus en magasin, mais sont jouables en ligne sur abonnement. Et là, l'advergaming y est également bien présent. Les jeux en ligne étant un vrai phénomène de société. Ces univers virtuels ou “youngunivers” (univers des jeunes) comme les surnomment les Américains, regroupent désormais des millions de consommateurs dans des communautés en ligne via des jeux tels que Second Life, Anarchy Online, ou encore Habbo Hotel réservé aux plus jeunes. Ces joueurs du village mondial cher à Mac Luhan ont tous le même désir, s'échapper et avoir l'opportunité de vivre une réalité virtuelle. Second life en est l'illustration parfaite. Ce Far West numérique est peuplé d'hommes et de femmes à la recherche d'expériences inédites, venus bâtir un nouveau monde, commencer une nouvelle vie ou tout simplement réenchanter le quotidien. Dans cette vie virtuelle, la BBC a retransmis le festival rock de Dundee en Ecosse, MTV a recruté des mannequins pour son défilé de mode. Idem sur Habbo Hotel qui compte 600 000 visiteurs uniques et qui répertoriait, en mai 2006, 320 000 joueurs connectés. Ce n'est donc plus de la science-fiction. Des entreprises réelles investissent pour de bon ce monde virtuel pour capter de nouveaux publics ou tester des formes de collaborations inédites. « Les marques viennent depuis peu sur notre site, explique Jean-Baptiste Geraud. ll y a encore deux ans, on ne rentrait pas dans les cases des agences. Nous réalisions seulement des partenariats avec les marques. Cette année, nous avons travaillé avec cinq marques qui se sont toutes intégrées au jeu. » Parmi elles, l'INPES (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé), itunes ou Delichoc ont tenté l'expérience. « Nous avons pour Delichoc redessiné un théâtre où chaque jour les Habbos se donnaient rendez-vous. 213 577 Habbos s'y sont retrouvés sur trois semaines. » Pour Jean-Baptiste Geraud, le jeu vidéo est donc forcément un « excellent canal » de publicité mais aussi de vente. Si l'espace virtuel a participé au lancement du film Scary Movie, « les possibilités sont bien plus nombreuses. On pourrait par exemple vendre de la musique via des juke-box ou du mobilier virtuel dessiné par Ikéa », glisse-t-il.

Les jeux, nouvel appât des jeunes

Mais attention aux faux pas. « Capter l'attention des jeunes ou des Young Adults est de plus en plus difficile, car cela coûte très cher. Ils ont été élevés au biberon de l'Internet. Il n'y a plus aucune magie de la télévision. Il ne faut donc surtout pas que les jeux vidéo soient considérés comme un support publicitaire », avertit Eric Clemenceau, vice-président Europe de Massive. Avant de poursuivre : « Pour éviter le rejet de la pub par le gamer, le mot-clé est l'intégration conceptuelle. Il faut pour l'annonceur se montrer malin et jouer avec ces joueurs. Une marque peut par exemple devenir un point de repère dans le jeu en notifiant, par exemple, deux ennemis derrière le distributeur Sprite. » Maintenant que les jeunes ont découvert le plaisir et le besoin de passer du temps (et beaucoup) à échanger, voire vivre dans ces nouveaux univers, pas besoin d'être Sam Fisher pour saisir la balle au bond. « C'est un aubaine pour les marques d'avoir la possibilité d'être dans un jeu. De plus, elles peuvent tracer les gamers qui viennent jouer sur le réseau », glisse Bruno Vannod. “Cette planète est saturé de publicités traditionnelles, alors trouvez un nouveau monde”, avertit l'agence d'advergaming IGA qui précise que la clé est de comprendre le joueur et le jeu lui-même. Alors, mission impossible ? « Bien au contraire, rassure Jean-Marc Lehu. D'un point de vue marketing, c'est peut-être même l'occasion pour les marketeurs de s'adresser enfin au consommateur. » Avant de préciser que « le marketeur rajeunit, le joueur non. La démarche sera donc plus stratégique ». Reste à ne pas saturer le monde virtuel avec des marques bien réelles. Car en pénétrant à outrance dans un univers que le consommateur croyait sien, les marques pourraient bien frôler le “game-over”.

« Il faut renouer le contact avec le consommateur »


Pour Jean-Marc Lehu, auteur de La publicité est dans le film, la réalité de notre quotidien comporte des marques. Il est donc logique de les retrouver dans les jeux vidéo.

Marketing Magazine :Le placement produit est-il une des dernières chances pour que les marques sortent du lot ?


J.-M L : Simplement et très sincèrement : oui ! Les médias “classiques” sont chaque jour confrontés à de nouveaux obstacles. Des obstacles technologiques permettant de contourner leur contenu publicitaire traditionnel. Des obstacles concurrentiels et des obstacles financiers qui font que les investissements sont de plus en plus difficiles à justifier, en matière de rentabilité quant à l'impact obtenu. Intégrer les marques dans des vecteurs culturels et/ou de divertissement, en poursuivant la tendance du branded entertainment, n'est certainement pas la solution magique, mais elle permet de renouer le contact avec le consommateur, dans un environnement dénué a priori de connotations commerciales négatives. L'objectif numéro un du placement de produits ou de marques est la notoriété. Objectif numéro deux : l'image. Nombre de marques sont aujourd'hui critiquées ou simplement ignorées. Dans certains cas, un troisième objectif lié plus directement aux ventes peut être atteint. Mais aujourd'hui, quantité de brand managers vendraient ce qu'il reste de leur âme pour simplement déjà remplir les objectifs numéros un et deux.

MM : Le placement de produits est-il ouvert à toutes les marques, même aux plus petites ?


J.-M L : Oui, le placement de produits concerne toutes les marques sans discrimination... Certes les “grandes” marques sont celles qui sont le plus présentes à l'écran. Parce qu'elles peuvent éventuellement négocier leur présence à des tarifs plus intéressants pour les producteurs. Mais également parce que leur pouvoir d'évocation est naturellement plus important. Mais a contrario, en 2006, on a pu récemment remarquer la marque de vêtements Analog dans Antartica, prisonniers du froid, la marque de jouets Graco dans Superman returns ou encore les produits laitiers Farmland Dairies dans Camping Car. Et pourtant, toutes ces marques ne sont pas leaders sur leurs marchés respectifs. Les personnages peuvent être en contact de marques peu connues, dès lors que leur présence est cohérente, qu'elle se justifie au vu du scénario, et que leur intégration à l'écran est faite au bénéfice partagé de la marque et du film. Un “bon” placement part toujours d'un besoin du scénario pour lequel on identifiera la marque idoine, et non d'une marque qu'on fera rentrer de force dans l'histoire.

MM : En est-il de même pour les jeux vidéo ?


J.-M L : Le cas des jeux vidéo est très intéressant, car bien que beaucoup plus récent que celui rencontré dans les films, il suit les mêmes objectifs et les mêmes recommandations. A l'instar des films, les opportunités de placements ne concernent que les jeux se déroulant dans un monde représentant la réalité. Or, depuis que les jeux vidéo existent, l'objectif numéro un de ces jeux est justement de se rapprocher le plus possible de la réalité en termes de graphisme. Certains jeux d'aventures (Le Parrain, Bons Baisers de Russie…), utilisent des avatars qui sont à l'image d'acteurs réels de cinéma. Des jeux de sport (Fifa, NHL, Tony Hawk…) reprennent trait pour trait ceux de sportifs de la discipline. Si la réalité de notre quotidien comporte des marques, il paraît alors logique de les retrouver dans le jeu. Une course automobile dans des automobiles anonymes ou des joueurs de football avec des maillots portant des logos de marques inconnues pourrait même paraître étrange.

MM : Est-ce que l'arrivée des annonceurs dans ce milieu va inviter les éditeurs à davantage marketer leurs produits ?


J.-M L : Les coûts de développement des jeux étant toujours plus élevés et les chances de succès réservées à quelques titres seulement chaque année, il peut être intéressant, voire salutaire pour le développeur, de bénéficier d'un apport financier provenant des marques. Dans le futur, l'interactivité galopante des jeux devrait permettre des placements de plus de plus en plus personnalisés et de plus en plus de connexions potentielles directes avec les marques rencontrées au cours du jeu. La chose est encore plus facile avec les jeux en ligne. Dès lors que la plate-forme aura identifié le joueur sur des critères de segmentation particuliers, l'insertion de marques spécifiques pour ce joueur est alors un jeu d'enfants… et d'adulte

Les jeux vidéo en chiffres


500 millions de joueurs dans le monde. 16 millions de joueurs en France. 9 heures par semaine sont consacrées aux jeux par les joueurs européens dont 3,77 heures avec des amis. 33 % des Européens jouent en réseau avec la France et l'Allemagne en tête de liste (source Massive).

Ava Eschwège

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