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Faire émerger les forces internes

TNS Sofres, leader des études en France, a traversé récemment une période mouvementée. Quelle est désormais la situation? Pour le savoir, nous avons rencontré Denis Delmas, président de l'institut et vice-président de TNS Europe. Ce dernier éclaire certains points: la réorganisation, l'état du marché, les projets menés et les perspectives d'évolution.

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Marketing Magazine: Comment avez-vous ressenti 2010?

Denis Delmas: Sur le marché des études ad hoc, la situation est encore fragile et difficile dans tous les secteurs. Nous ressentons une grande prudence de la part des acteurs privés et parapublics. Ceci est non seulement dû aux contraintes budgétaires, mais aussi aux difficultés liées au manque de visibilité. Les projets sont ralentis, voire gelés. Nous qui sommes des accompagnateurs de ces projets, nous ne savons pas où nous allons.

Comment expliquez-vous que le marché des études n'ait connu la crise qu'en 2009?

Pendant 25 ans, notre marché a progressé. Celui-ci n'a connu la crise qu'après d'autres domaines, comme la communication. Il est né avec les panels, puis s'est étendu aux études marketing et communication. Il s'est aussi parallèlement ouvert à d'autres secteurs que la grande consommation, tels que les télécoms, le parapublic, l'énergie... L'autre explication de cette croissance structurelle vient de l'évolution des thématiques d'études. Auparavant, ces dernières concernaient le marketing. Par la suite, elles se sont aussi adressées à la communication, puis à la DRH, à la production. Ces deux axes (diversification sectorielle et nouvelles thématiques) expliquent la progression de notre marché. Les «clients» historiques ne dépensent pas davantage en études, mais ces «nouveaux clients» ont pris le relais.

Grâce à leur maturité, il semblerait que les professionnels des études aient évité de succomber aux sirènes du show médiatique?

Le marché est en effet resté prudent. Ce qui nous vaut des particularités qui ne sont pas forcément positives. Les études restent un métier très peu concentré. La France, qui totalise environ 4 % du marché mondial, compte plus de 400 instituts. TNS Sofres, le leader, ne représente que 10 % du marché français. Contrairement à d'autres secteurs, le marché est fragmenté. Autre différence: c'est un métier local (80 % des études concernent le national) , ce que beaucoup ne perçoivent pas.

A quoi ce particularisme hexagonal tient-il?

Les raisons sont essentiellement d'ordres méthodologique et juridique. En politique par exemple, les études ne se font pas de la même façon en France et en Allemagne. Chez nous, c'est le face-à-face avec les quotas. Au niveau légal, l'existence de la Cnil nous différencie. Ce caractère franco-français de notre marché agace nos grands managers, mais c'est une réalité en fonction de laquelle il faut s'organiser. Et si nous travaillons sur de grands comptes, cela reste une petite partie du business, contrairement à la communication. Je vais passer pour un dinosaure, mais je pense qu'à court et moyen terme, cela ne va pas évoluer beaucoup, compte tenu de la clientèle et des particularités de notre métier.

Ne seriez-vous pas quelque peu pessimiste concernant l'avenir?

2010 a été une année morne, moins catastrophique certes que 2009, mais pas formidable. Cela vient en partie d'un manque de différenciation entre les acteurs. Notre personnalité n'est pas perçue. Ce problème de valeur ajoutée est notre mea culpa: nous ne sommes pas suffisamment forts pour faire notre propre promotion. Les standards de qualité, de norme, de performance... ne sont pas connus. Par ailleurs, la médiane des budgets en études est faible. Nous vendons des milliers de petits contrats. Nous avons beaucoup de clients. Nous sommes des artisans, une caractéristique qui reste méconnue.

Parlons de TNS Sofres. Comment expliquez-vous l'hémorragie des «têtes» qui sont parties chez Ipsos?

On ne peut pas parler d'hémorragie, il s'agit de trois départs sur 2 500 personnes! Ils sont partis, parce qu'ils étaient riches d'une grande expérience. Il est donc normal que certains aient eu envie d'accéder à des responsabilités. Nous avons annoncé cet automne une réorganisation importante. J'avais repris momentanément la direction générale de la France, après le départ de Yannick Carriou. Personnellement j'ai la responsabilité de 15 pays. J'ai donc confié la direction générale France à Laurent Guillaume et Edouard Lecerf, des seniors «sofrésiens», des professionnels du métier que je connais bien. J'ai préféré choisir une solution interne.

Pour quelles raisons?

Cette maison est un vivier de talents. Si vous prenez l'ensemble des managers de la concurrence, ce sont tous des ex-Sofres. Mme Aliette, Mme Parisot, M. Truché, Mme Zeitoun... Nous sommes très fiers d'être l'école de la profession. Nous avons d'ailleurs une école interne et nous investissons beaucoup en formation... Nous disposons d'une grande richesse humaine, et certains nous disent que «la concurrence en profite». C'est normal que le leader le fasse. Nous partageons beaucoup, nous sommes attachés à une culture Sofres, à une communication interne forte, à des valeurs.

Pour vous, est-ce l'inverse de la stratégie d'Ipsos?

Je ne parlerai pas des concurrents. Regardez d'où viennent les professionnels des études... Nous, nous sommes comme cela. Cela fait 15 ans que je suis dans la société et je partage entièrement ces valeurs.

Les récents départs ont-ils un rapport avec le rachat de Research International?

Dans cette maison, nous avons connu de nombreuses évolutions: l'acquisition de Secodip, la fusion avec Taylor Nelson, le rachat de NFO, l'entrée dans le groupe WPP... Puis le rapprochement avec Research International. A chaque fois, certains professionnels sont partis. Nous sommes habitués à ces chocs de culture. Il est vrai que le mariage avec Research International a eu lieu durant l'année la plus difficile, en 2009. Quand tout va bien, c'est déjà difficile. Mais là, c'était comme une double peine. Il fallait gérer le quotidien et la fusion. Certains en sont sortis avec quelques égratignures. Cette particularité peut expliquer des difficultés internes.

Qui remplace Brice Teinturier, votre médiatique porte-parole pour les études politiques?

L'organisation a changé. J'ai préféré faire vivre les talents en interne. Les deux directeurs généraux se partagent les équipes opérationnelles et les supports. Laurent Guillaume récupère le consumer, l'automobile, la finance et le qualitatif, le marketing et les relations humaines. Edouard Lecerf va superviser la technologie, les médias, l'énergie/services/industrie, le transport et la politique, ainsi que le corporatif et les opérations. Il dirige les activités politiques, notre vitrine, mais nous ne voulons pas qu'une seule tête incarne ce domaine.

C'était pourtant le cas avec Brice teinturier...

Cela a peut-être été excessif dans le passé en effet. Nous voulons élargir le cercle de représentation. Edouard Lecerf a été le patron des études politiques chez Ipsos et au SIG (NDLR: Service d'information du gouvernement) . Ce n'est pas un novice de cette sphère. Ce sera notre tête médiatique en politique, mais il y en aura d'autres.

Allez-vous continuer d'éditer l'ouvrage L'Etat de l'opinion?

Bien sûr. Il a résisté depuis 1984 aux départs de Pierre Weill, Jérôme Jaffré... C'est notre côté académique. Nous le faisons parce que cela nous amuse et que cette activité nous confère un rôle d'éclaireur. L'Etat de l'opinion est aussi un de nos outils qui montrent à nos clients notre capacité à nous interroger sur le social, la politique... Cela nous correspond bien. De plus en plus, nos clients, à côté de leurs études tactiques, nous posent des questions beaucoup plus amples. Le fait d'être à la fois dans les études marketing et opinion nous donne une force pour y répondre. Il s'agit de relier le sociétal et l'économie. Grâce à ses compétences, la «maison» Sofres peut répondre à toutes les problématiques. La taille ne rend pas intelligent, la diversité des compétences, oui.

Concernant Dominique LévyDominique Lévy, directrice associée et directrice du planning stratégique de TNS Sofres, a quitté, cet été, l'institut pour prendre la direction d'Ipsos Marketing., n'y aura-t-il personne pour la remplacer directement?

C'est toujours la même stratégie de valorisation des compétences internes. Cela rentre dans le lancement d'O3, la nouvelle unité, dirigée par Stéphane Marcel (NDLR: par ailleurs directeur marketing et développement), qui regroupe le qualitatif, le planning stratégique et Ideat Architects, notre cellule innovation. O3 vient en soutien des équipes en interne sur différents secteurs. C'est un planning stratégique de 40 personnes! O3 est pour nous un investissement important. De même que le digital, le second gros chantier de cette fin d'année 2010.

TNS Sofres a réalisé une étude, Digital Life, auprès d'internautes de 46 pays. Combien cet investissement représente-t-il et pourquoi le faire maintenant?

Je ne peux pas répondre sur le montant de l'investissement. L'offre digitale est lancée en même temps à New York, à Pékin et en Europe... Elle mobilise près de 1 000 personnes, et nous ne sommes qu'un grain dans le réseau. Mais il est vrai que nous avons beaucoup investi dans ce projet. Et l'enquête «Digital Life»L'étude internationale «Digital Life»L'étude internationale «Digital Life» étudie les activités, les comportements et les attitudes des internautes dans 46 pays. n'est que le point de départ de cette offre, très structurée, à la fois transversale et internationale. Nous sommes à un moment-clé: les clients vont investir dans le digital. Les annonceurs sont perdus. D'un côté ils sentent que cela bouge très vite, mais en même temps, ils pensent: «Par rapport à mon business et à ma marque, que dois-je faire?». Ils hésitent entre la cerise sur le gâteau et le clafoutis. Le digital est un vrai enjeu et les clients sont à des niveaux de maturité différents. Nous n'innovons pas pour nous amuser. Que TNS Sofres fasse des études constitue pour nos clients un acquis. Mais aujourd'hui, ils nous demandent un accompagnement en aval (pour leur réseau, en interne, à l'international...), et une intégration dans les dimensions business de l'entreprise (mesure de l'innovation, de la satisfaction client) . Ils nous disent: «Comment pouvez-vous nous accompagner pour que les études ne soient pas simplement des résultats qui s'intègrent dans l'opérationnel?» C'est une question légitime.

Seriez-vous en train de basculer dans le conseil, une perspective d'évolution souvent évoquée par les instituts?

Ce que nous faisons, les grands du consulting ne le font pas, car ils sont trop gros. Et le conseil en marketing échappe aussi aux agences de communication qui, je pense, ont désinvesti ce sujet. Nous avons une place à prendre, en raison de notre connaissance marketing et sociétale, de la force de nos produits et de la diversité des talents de l'entreprise. Cela va nous permettre de nous développer et d'avancer. Certes, les clients nous demandent toujours de leur fournir le basique du métier (réaliser des études), mais aussi de leur donner des signes, des perspectives. Cette interrogation latente est devenue une demande réelle. C'est la raison pour laquelle nous avons investi massivement dans deux projets: O3 et le digital. C'est notre devoir en tant que leader.

Vous allez mettre les forces internes en avant sur ces deux chantiers?

Nous l'avons fait pour le lancement d'O3. Nous avons beaucoup de spécialistes de la formation très diversifiés et nous voulons de plus en plus les médiatiser. Les clients sont très intéressés. 2011 sera pour TNS Sofres l'année de l'accompagnement en innovation et en digital.

Parcours

Denis Delmas, 49 ans, président de TNS Sofres et vice-président de TNS Europe.


1985: Démarre sa carrière chez AC Nielsen, au marketing, puis devient directeur [de projet.
1990: Rejoint la Cegos, où il occupe les fonctions de manager puis de directeur.
1994: Intègre Secodip en tant que directeur marketing puis directeur général.
1998: Devient directeur général de MPG (groupe Havas).
Décembre 2001: Devient président de TNS Sofres, puis vice-président de TNS Europe.

Catherine Heurtebise

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