Alimentation : savoir ou ne pas savoir ?
Pour éviter des dérapages, le consommateur français veut de plus en plus savoir ce qu'il mange. Cette recherche de transparence et d'informations est un souci légitime. Pour être réellement utile, cette quête doit être précédée d'une formation à la nutrition. Un rôle qui devrait être dévolu à l'Education Nationale, d'après Benoît Vidal-Giraud, ingénieur agronome et fondateur de Verbe et Actes, agence de réalisation d'opérations de développement en marketing filières.
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« Jusqu'à une époque récente, les consommateurs français croyaient de bonne
foi connaître les produits alimentaires qu'ils consommaient. S'ils demeurent
convaincus de posséder des lumières en matière de qualité, ils réalisent depuis
peu qu'ils ignorent tout ou presque des procédés de fabrication. Après la
deuxième guerre mondiale, tout le monde - ou presque - avait un agriculteur
dans sa famille proche. A l'occasion de vacances à la campagne dans la branche
restée paysanne, la proximité avec la réalité de l'agriculture était
régulièrement renouée. On peut dire d'une certaine façon que la production
trouvée sur les marchés des villes était mythologiquement "celle du cousin".
Une forte défiance s'est instaurée
En l'espace de
quelques décennies, un double phénomène est intervenu : la réduction
considérable du nombre d'agriculteurs et l'évolution technologique très rapide
de leur métier. Au fur et à mesure que celui-ci se modifiait en profondeur, il
y avait de moins en moins d'occasions pour les citadins de suivre "de visu"
cette transformation. Le fossé s'est progressivement creusé entre une
population agricole de moins en moins nombreuse et de plus en plus technique,
d'une part, et une population urbaine de plus en plus nombreuse et de moins en
moins avertie, d'autre part. Jusqu'à un décrochage quasi complet, qui fait
qu'aujourd'hui les enfants des villes ne font pas le lien entre la vache et le
hamburger, et demandent où poussent les frites. Quand, à l'occasion des récents
scandales, l'opinion a pris conscience de ce décalage, une forte défiance
vis-à-vis de l'alimentation s'est instaurée. Parfois fondée sur de véritables
faits, elle repose également sur des craintes plus ou moins rationnelles et sur
une propension toute naturelle à amplifier les discours alarmistes. Face à
cette situation, la réaction générale semble être de dire : il faut connaître
ce que l'on consomme, et donc savoir comment c'est produit. C'est l'exigence de
traçabilité et de transparence. Elle s'applique normalement aux fournisseurs
directs (commerçants, restaurateurs ou grandes surfaces) ainsi qu'aux pouvoirs
publics. Ces précautions ne sont plus suffisantes. L'apparition de nouveaux
problèmes en montrent les limites. Résultat, les consommateurs sont de plus en
plus nombreux à vouloir juger par eux-mêmes ce qui est bon pour eux. Reste que
le "savoir" et la "connaissance" ne peuvent se limiter à des informations
glanées dans la presse ou dans les rayons des grandes surfaces. C'est bien
plutôt de formation qu'il s'agit, avec tous les investissements collectifs et
individuels que cela requiert. Voyez le paradoxe entre le nombre de gens qui
exigent des étiquettes complètes sur les emballages et le nombre de ceux qui
les lisent vraiment. S'y ajoute la simultanéité de l'envie et de la crainte de
savoir, conduisant souvent à déléguer à des intermédiaires le soin de jouer les
filtres, et à rechercher l'image de la transparence plutôt que la transparence
elle-même. En matière de viande, par exemple, le paradoxe est flagrant. Le
consommateur moderne veut oublier le lien violent qui existe entre les animaux
vivants et les produits carnés. Tout ce qui l'évoque est soigneusement évité,et
contourné, tant dans les packagings (pas de photos sur les étiquettes) que dans
les appellations (dans les rayons on trouve de la viande de "boeuf", et dans
les champs des "vaches...). Cette ambiguïté devrait être affrontée par la
distribution, en particulier les chaînes de grandes surfaces. Certaines, comme
Carrefour, ont implanté la notion de "filières Qualité", en naviguant entre
information concrète et promesse d'information. D'autres comme Continent ont dû
renoncer à aller trop loin : l'expérience tentée avec Soviba pour permettre aux
consommateurs de remonter, à partir du code barre, à l'établissement d'élevage
d'origine et aux caractéristiques de l'animal, le tout affiché sur un écran
d'ordinateur installé à côté du rayon boucherie, a été abandonnée, faute
d'intérêt de la part des clients. Peu de gens veulent réellement savoir que
leur steak s'appelait Marguerite et vivait en Normandie !
Former les enfants au cours de leur scolarité
Pour l'industrie, le chemin
est étroit : communiquer largement, c'est répondre en apparence au voeu du
consommateur, c'est aussi prendre le risque de le plonger dans des questions de
plus en plus complexes qui le dépassent rapidement. Ne pas communiquer, c'est
certes prolonger l'opacité qui a tellement nui à l'industrie, mais c'est aussi
préserver les images d'Epinal qui sont encore présentes dans notre inconscience
collective. Finalement, l'information doit sans doute être simplement
disponible, pour ceux des consommateurs qui auront l'envie réelle de s'y
plonger, et pour les administrations, grandes surfaces, médias, organisations
de consommateurs... Tous ceux auxquels une partie de la population confiera
l'analyse de cette information. Jusqu'au jour où de nouvelles raisons de
défiance apparaîtront et où se reposera alors le problème de l'autonomie de
jugement ! La seule réponse satisfaisante à long terme pourrait être la
formation des enfants aux fondements de la nutrition, de l'alimentation et de
la technologie agroalimentaire, pendant leur scolarité. Devenu adulte et "s'y
connaissant" alors mieux, le consommateur comprendra ce qu'il mange. Vaste
programme... ! Mais pour terminer sur une note moins défensive, soulignons
qu'il aura par-là même acquis une bien meilleure connaissance du rôle positif
de la nutrition sur la santé, et qu'il pourra donc exercer à la fois un regard
critique et une approche équilibrée et variée de son alimentation. »