«Le courrier est un média premium face à Internet»
CHANGEMENT DE STATUT, FIN DU MONOPOLE A L'HORIZON 2011, BAISSE DU CHIFFRE D'AFFAIRES SUR L'ACTIVITE COURRIER... LE GROUPE LA POSTE VIT DES BOULEVERSEMENTS HISTORIQUES. L'ENTREPRISE, QUI FAIT FACE A DE NOUVEAUX DEFIS, DOIT OPERER DES CHOIX STRATEGIQUES. ECLAIRAGES ET PREMIERES PISTES AVEC LE NOUVEAU PATRON DU COURRIER.
Je m'abonneMARKETING DIRECT L'Etat qui se donne six mois pour «boucler» la réforme de La Poste, c'est une belle feuille de route au lendemain de votre nomination?
- Le changement de statut de La Poste au 1er janvier 2010 et la mise en place de la nouvelle stratégie du Courrier, liée à la baisse des volumes, n'ont ni les mêmes causes, ni les mêmes origines. Mais il se trouve que le calendrier est identique et cela tombe plutôt bien! En effet, le changement de statut va offrir au groupe davantage de manoeuvrabilité, notamment grâce à la dotation en capital de l'Etat. C'est une très bonne nouvelle pour la mise en oeuvre de la stratégie du Courrier.
Dans l'augmentation de capital prévue, quelle est la part attribuée à la branche Courrier?
- Le président de la République a annoncé une augmentation de capital à 100% publique de 2,7 milliards d'euros. Ces capitaux, qui arrivent au niveau du Groupe La Poste, seront utilisés pour le désendettement et pour le développement de nouveaux projets. Alors que le Courrier va générer moins de cash, cet apport va nous permettre de ne pas réduire la voilure. Mais il n'y a pas d'affectation a priori à tel ou tel métier.
L'activité Courrier (plus de 50% du CA total du groupe) est en sérieuse perte de vitesse. Le développement d'Internet a-t-il fait des dégâts?
- C'est l'une des raisons évidentes de la baisse des volumes. Le Web est devenu une technologie informatique parfaitement intégrée aux processus de fabrication d'information de l'entreprise. Ce média offre aussi une facilité d'usage très attractive pour les sociétés. La lente érosion des volumes s'est enclenchée en 2004 (-1% par an en nombre d'objets) et s'est poursuivie jusqu'en 2008: le chiffre d'affaires de la branche Courrier est alors en recul pour la première fois. Et, début 2009, nouvelle rupture, avec une baisse du chiffre d'affaires de 6,5%. Désormais, les prévisions tendent vers 30% de baisse des volumes à l'horizon 2015. Pour autant, nous ne voyons pas Internet comme un concurrent: nous devons avant tout adapter nos offres au marché et ne pas être fatalistes. Je suis convaincu que les usages du courrier vont changer. Face à l'e-mail, l'usage premium est très clairement du côté du papier. Le courrier a un avenir et il y a urgence à agir!
Quelle stratégie développez-vous pour relancer ce business?
- Notre horizon est 2015. En effet, en six ans, les usages du courrier vont se repositionner, et cela nous laisse le temps d'installer nos nouvelles offres dans le paysage pour faire face à la baisse des volumes. La branche Courrier devra être rentable à cette échéance, autofinancer son développement, assurer ses engagements clients tout en restant un employeur attractif. Baptisé «2015 Réinventons le Courrier», ce plan offensif repose sur trois axes: l'offre; la performance économique grâce à la reconfiguration de l'appareil de production et la réduction des coûts de structures et des coûts indirects; le contrat social avec les postiers. Concernant l'offre, nous devons innover et nous armer face à l'ouverture du marché à la concurrence, tout en respectant nos obligations de service universel et de service public. Dans 500 jours, le service réservé [distribution des plis de moins de 50 g, NDLR] va tomber, nos concurrents ne vont pas donc se priver d'investir le trafic le plus rentable. C'est naturel.
Aux Pays-Bas et en Suède, les concurrents se concentrent déjà sur les gros dépôts de courrier à destination des zones denses. Dans ce contexte, il est primordial d'écouter encore davantage nos clients. Dans cet objectif, nous lançons une démarche globale s'appuyant sur des chartes d'engagement client adaptées à chaque cible: particuliers, PME, grands comptes. L'idée, simple, consiste à demander à nos clients ce qu'ils attendent de La Poste. Certes, ce n'est pas original, d'autres grandes entreprises françaises l'ont déjà fait, mais c'est nouveau pour nous. Nous nous donnons neuf mois pour échanger avec nos clients et publier ces chartes avant le 30 juin 2010.
Quelles offres préparez-vous?
- Sachant que seules 2% des entreprises françaises font du marketing direct, nous bénéficions d'un champ de conquête assez large! Pour autant, nous devons adapter nos offres pour compenser au moins partiellement cette diminution parce que le volume du courrier est globalement annoncé en recul et que les usages vont changer. Grâce à nos innovations, nous espérons récupérer au moins un tiers de la baisse du trafic. Le fer de lance des offres à venir repose sur une conviction nourrie de l'observation du marché: «le courrier est le média de la relation client». Sachant aussi que toutes les alliances entre Internet et le courrier sont gagnantes, nous misons beaucoup sur ce duo.
Nous sommes fiers aussi de nos développements en interne. Nous avons lancé Maileva en 2003 et Mediapost Multicanal en 2007, qui font, à elles deux, déjà plus de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires. Au-delà du fait qu'elles sont rentables, elles génèrent un volume de courrier non négligeable. Ce sont des idées comme celles-ci qu'il nous faut faire émerger et multiplier.
Sur quelles filiales rentables du groupe entendez-vous vous appuyer pour faire face à la concurrence?
- Premier pilier, Mediapost, qui détient plus de 50% du marché de l'imprimé publicitaire. C'est un média d'avenir, car il n'est encore utilisé massivement que par la grande distribution. Nous allons donc convaincre les grandes marques et les agences pour qu'elles l'intègrent dans leur plan médias. Mediapost est aussi un vecteur de notre développement en Europe. Nous allons continuer à prendre des positions dans plusieurs pays d'Europe sur des niches, dans le Sud et l'Est, là où le courrier se développe. J'aime à répéter que le 1er janvier 2011, La Poste va passer de 99% de parts de marché en France à 20% de parts de marché en Europe...
Second pilier, Docapost, filiale des solutions documentaires, qui participe au développement du courrier transpromotionnel et que nous souhaitons développer en Europe. Ajuste titre, puisque la moitié des 100 plus grands clients de cette filiale ont leur siège social hors de France. Le Transpromo a de l'avenir grâce à La Poste, notamment pour asseoir notre positionnement de média de la relation client. En effet, la facture papier est un contact client qu'il faut exploiter et non pas systématiquement dématérialiser, dans une logique de réduction des coûts. Ce qui apparaît comme un centre de coûts va devenir un investissement publicitaire. Enfin, nous lançons une filiale dédiée au développement de nos projets internet, dont le nom provisoire est Digipost.
Malgré l'amélioration de la qualité du service Courrier, allez-vous abandonner la distribution du courrier à J + 1?
- Il est hors de question d'abandonner le j +1 et de laisser croire à la détérioration du service rendu. Et, de toute façon, c'est une décision qui ne s'improvise pas. Une évolution de l'offre aussi importante dans un réseau aussi complexe que celui de La Poste prend plusieurs années! Ce qui importe, ce sont les attentes de nos clients. Et ceux-ci souhaitent un très haut niveau d'exigence dans les engagements que l'on prend. Côté entreprises, l'empreinte environnementale est de plus en plus un critère de choix. Aujourd'hui, nous distribuons à J +1 85% des lettres, qui représentent moins d'un quart des objets postaux. Demain, sur la base des chartes d'engagement clients, nous allons vérifier si, pour chaque offre, la nature et le niveau d'engagement correspondent aux attentes des clients.
Parmi les axes de développement, citons les activités Colis et Transports express (22% du CA du groupe). Les acteurs de l'e-commerce sont devenus stratégiques. Qu'allez-vous leur proposer?
- La lettre Max, un produit essentiellement dédié au Web qui s'intègre parfaitement dans la chaîne de valeur de l'e-commerce, est un succès: nous en vendons un million par mois. Par ailleurs, les webmarchands sont une formidable opportunité de développement pour notre activité Colis. En effet, cinq des dix plus grands clients de Colissimo sont des e-commerçants qui n'existaient pas il y a cinq ans. Notre objectif auprès de ces acteurs est de les convaincre de l'importance du papier à travers le mailing et le catalogue. Ce n'est pas toujours intuitif pour les pure players. Aux Etats-Unis, le mini-catalogue papier est pourtant au coeur du business sur Internet. D'ailleurs, plusieurs études démontrent que le média papier reste le premier déclencheur d'achat sur le Web. De nombreuses offres online vont voir le jour à La Poste. D'ores et déjà, nous réalisons 50 MEuros de chiffre d'affaires sur Internet grâce à des produits mixtes. En s'appuyant sur les nouvelles technologies, nous allons travailler sur l'idée que La Poste incarne «le messager de la confiance».
Les nouveaux entrants seront mis à contribution dès 2011 alors même que vous avez lancé un plan d'économies de 200 MEuros pour 2009 (dont 50% pour la branche Courrier). Voilà des conditions pour que le groupe reste compétitif...
- La loi prévoit en effet un financement du service universel par cotisation des concurrents, mais à certaines conditions, notamment liées à leur seuil d'activité. Mais ce fonds de compensation, s'il est mis en place, ne financera probablement pas à lui seul le service universel.
Quels projets menez-vous pour moderniser vos plateformes logistiques?
- Notre projet, Cap Qualité Courrier, lancé en 2004, et qui représente un investissement de 3 MdEuros sur huit ans, nous permet de construire un réseau performant de Plateformes industrielles du courrier (PIC). Cette année, nous allons en ouvrir 18. Nous serons prêts en 2011!
Etes-vous optimiste quant aux avancées du Syndicat des opérateurs postaux?
- C'est une création originale. Ses deux missions se concentrent sur l'organisation concrète de ce marché concurrentiel - mais régulé - et sur la préparation de la convention collective du secteur. Cette organisation est utile au marché, donc utile au client.
A 46 ans. vous avez déjà plus de 20 ans d'ancienneté dans le groupe. Cette nouvelle mission, c'est presque un sacerdoce?
- [Rires] Très humblement, je me sens prêt. Je serais inconscient d'ignorer l'ampleur de la tâche, mais elle est passionnante et j'y prends beaucoup de plaisir.
POINTS-CLES
- 20,8 milliards d'euros de chiffre d'affaires réalisés en 2008 par le Groupe La Poste, dont 54,3 % par la branche Courrier, 22,9 % par les services financiers et 22,6% par le secteur Colis-Express - Volume du CA Courrier: 11,3 milliards d'euros (-3% versus 2007) - 30% de baisse des volumes de l'activité Courrier à l'horizon 2015 - Changement du statut de La Poste au 1er janvier 2010 - Ouverture du marché à la concurrence au 1er janvier 2011 - La branche Courrier est le 2e opérateur européen par le chiffre d'affaires - B3,9 % de lettres distribuées en J +1 - 100 000 facteurs se rendent au domicile des Français 5 j/7 - La branche Courrier possède 9 plateformes industrielles nouvelle génération.
NICOLAS ROUTIER, DG DELEGUE DU GROUPE LA POSTE, DG DU COURRIER
«A l'horizon 2015, la branche Courrier devra être rentable.»
PARCOURS
Nicolas Routier entre à La Poste en 19BB, à la direction financière. De 1994 à 1997, il est directeur de La Poste de l'Oise. Puis, il intègre le comité de direction de La Poste à la suite de sa nomination comme directeur des achats, poste qu'il exerce jusqu'en 2001. Nicolas Routier devient alors directeur de la stratégie et membre du comité exécutif du groupe. En 2002 il est nommé directeur général délégué en charge de la stratégie et du développement et président de Sofipost. A la fin 2003, il devient conseiller du président du groupe et p-dg de Mediapost. Agé de 46 ans, il est diplômé de Sciences Po Paris (1983) et de l'ENSPTT (1988).