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Les business models innovants du numérique

L'innovation technologique révolutionne les business models, remettant en question les méthodes marketing qui régissent l'innovation produit. Retour sur le modèle d'affaire de ces flibustiers de la nouvelle économie.

Publié par Maud Vincent le | Mis à jour le
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Les business models innovants du numérique

Ils se nomment Uber, Blablacar, Auto-Lib, Airbnb, Pebble, Parrot. Le point commun de ces plateformes web : "disrupter" les marchés existants dont elles détrônent les leaders historiques.Née en 2008, la plateforme communautaire d'hébergement Airbnb s'est imposée comme le leader mondial de la location de vacances. Présente dans plus de 34 000 villes et 190 pays, elle est aujourd'hui valorisée à hauteur de 13 milliards de dollars, davantage que les grandes chaînes hôtelières mondiales comme Accor ou Hyatt. Fondée en 2009, l'application Uber, qui met à mal les taxis partout dans le monde, affiche de son côté une valorisation de 41 milliards de dollars. Et l'engouement ne devrait pas se tarir avec la vague des objets connectés qui arrivent sur le marché grand public (bracelet, montre...). Sur quels piliers marketing reposent ces nouveaux produits et services ? Dans quelle mesure ces flibustiers de la nouvelle économie révolutionnent-ils les business model traditionnels ? Qu'est-ce que les utilisateurs plébiscitent tant ?

"People, people, people" : plus qu'un slogan marketing, ce pourrait être le mantra que psalmodient les entrepreneurs du Web. S'ils s'appuient sur la technologie et les opportunités qu'offrent le numérique et plus particulièrement la mobilité, les produits développés par ces start-ups reposent avant tout sur une approche "human centric". On parle moins de clients que d'utilisateurs, d'abonnés que de membres. On y stimule l'intelligence collaborative, on y favorise la construction d'écosystèmes communautaires. La satisfaction client est leur obsession. Expérience utilisateur, design thinking, amélioration continue... En mettant l'usager au centre de leur business model, les start-up parviennent à instaurer une relation de confiance et à créer un attachement fort à leur produit. Ce qui, à l'ère des réseaux sociaux qui dote tout consommateur d'un fort pouvoir de recommandation, a pour effet de générer un bouche-à-oreille positif mondial. Et, in fine, d'accélérer leur croissance.

1. Valeur d'usage


La valeur d'usage désigne la valeur d'un bien ou d'un service pour un consommateur en fonction de l'utilité qu'il en retire et du besoin qu'il vient combler. Une approche économique que les entrepreneurs numériques, qui se présentent comme des "résolveurs de problème"(1) ont érigée en règle d'airain. Faciliter, voire améliorer la vie des gens, est ce qui les anime.

C'est parce qu'ils pallient une insatisfaction client (Airbnb et la saturation du marché hôtelier, Blablacar comme solution alternative à un réseau SNCF perçu comme trop cher) ou répondent à un besoin latent (communiquer sans laisser de tracer avec Snapchat, améliorer la qualité de son sommeil grâce à Withings Aura ou bien encore s'assurer de la bonne prise de ses médicaments avec le pilulier connecté Medissimo) que ces nouveaux produits et services acquièrent une forte valeur d'usage, à la source de leur succès et croissance.

Pour Olivier Ezratty, blogueur spécialiste de l'innovation technologique(2), "la valeur se crée à la jonction de trois axes : faire gagner du temps et/ou de l'argent et/ou de l'émotion." Et d'illustrer : "Netflix propose ainsi un service qui permet sur un mode fluide et multidevice d'avoir des contenus illimités qui procurent une émotion pour un petit prix mensuel."

(1) S'inspirer des start-up à succès, Adrien Tsagliotis, éditions Dunod, 2015.

(2) Blog Opinions libres

2. Un service "data-driven"


D'où vient la valeur des objets connectés si ce n'est du service qu'ils fournissent à leur utilisateur ? Lorsque Withings commercialise sa balance connectée, la start-up vend bien plus qu'un pèse-personne. En ajoutant aux mesures de poids, des fonctions avancées telles que la qualité de l'air, la masse grasse et le rythme cardiaque, elle se positionne comme un coach santé. Le capteur de plantes de la société Parrot, qui mesure l'humidité, l'ensoleillement, l'engrais et la température, aide tout à chacun à avoir la main verte. Plus que des objets, ce sont des assistants personnels. "Le plus important dans un objet connecté, ce sont les services embarqués, qui peuvent déboucher sur un business model fondé sur l'abonnement, notamment si la fréquence d'usage est élevée" , relève Olivier Ezratty. Or, ces services tirent leur pertinence et leur raison d'être des données personnelles qu'ils recueillent et exploitent . "C'est à partir de ces data couplés au cloud et au haut débit que les start-up peuvent délivrer des services enrichis et des expériences toujours plus personnalisées", relève Vincent Ducrey, co-fondateur du Hub Institute, think tank digital.

3. Crowd et relation directe


C'est la nature même d'entreprises collaboratives comme Airbnb, Blablacar ou Uber qui ont construit leur modèle économique sur la mise en relation directe. Ce pouvoir conjugué de la multitude et du réseau se déploie à tous les étages de la chaîne de valeur : du crowdsourcing qui consiste à collecter des avis pour par exemple co-construire un produit ou un service, au crowdfunding pour lever des fonds, sans oublier la communication avec les réseaux sociaux et la co-distribution (crowdretailing) avec les market places. Parce qu'ils reposent principalement sur un contenu/un inventaire généré par l'utilisateur (UGC - User Generated Content), les services collaboratifs accordent une très grande importance à l'expérience utilisateur et à la constitution d'une base fidèle et engagée de membres actifs.

A lire :

- L'interview de Rémy Poulachon, Sedona : "Tous les modèles de relation directe sont des modèles de rupture"

- La rencontre avec Ganaël Bascoul, Soon Soon Soon : "Le crowd remet en cause les techniques classiques du marketing"

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Destruction et migration de valeurs : "nestification" et "uberisation"

Pour décrire la migration de valeur liée aux mécanismes numériques d'intermédiation, deux barbarismes ont vu le jour : "l'uberisation" et "la nestification". Dans sa série d'articles publiés sur son blog Opinions Libres "Comment éviter de se faire uberiser", l'expert et consultant en nouvelles technologiques Olivier Ezratty(1) revient sur ce double phénomène économique. " "Uberiser" désigne l'apparition d'une marque digitale en concurrence frontale avec le secteur traditionnel qui entraîne une fragilisation, voire la disparition à terme, du modèle économique et des acteurs historiques. " Amazon dans le commerce, Google dans la publicité, Netflix dans la vidéo, Square dans la banque et, bien sûr, Uber face aux taxis : progressivement, tous les services se digitalisent, faisant la part belle aux pure-players, plus agiles et moins contraints par des structures et des modèles économiques historiques.

" La "nestification" décrit le même phénomène de destruction et de migration de valeur mais, cette fois-ci, appliqué aux objets physiques ", précise Olivier Ezratty. Un marché au potentiel immense et qui concerne tant l'électroménager, les porte-clés, les porte-monnaies, l'éclairage, la santé, la surveillance, la joaillerie, le textile, etc. " Le CES (Consumer Electronic Show) était cette année une réelle foire aux objets, voire aux gadgets connectés. On assiste à une phase de bulle et d'innovation expérimentale. Reste à savoir quel standard émergera " , interroge l'expert. Un marché sur lequel Google devrait largement tirer son épingle du jeu : le moteur de recherche a racheté l'an dernier la start-up Nest, pour se positionner sur le marché de la maison intelligente.

(1) Après avoir passé 15 ans chez Microsoft où il crée notamment la Division développeurs et Plateforme d'entreprise, il lance son activité de conseil en stratégie et innovation en 2005. Il est aussi reconnu pour son activité de blogueur autour des thèmes de entrepreneuriat, des start-up, et de l'innovation.

Retrouvez notre série d'interviews consacrée à l'innovation :

- [RV Innovation] Nicolas Ferrary, Airbnb France : "Délivrer la meilleure expérience possible pour générer le maximum de bouche-à-oreille"

- [RV Innovation] Vincent Ducrey, cofondateur du Hub Institute : "Les nouveaux business models reposent sur la cross-fertilisation"

- [RV Innovation] Olivier Ezratty, consultant : "On vit une phase de bulle et d'innovation expérimentale"

- [RV Innovation] Rémy Poulachon, directeur de l'innovation, Sedona : "Tous les modèles de relation directe sont des modèles de rupture"

Retrouvez en kiosque le numéro spécial innovation du magazine "Marketing"


4. Expérience utilisateur (UX)


Ergonomie, design, simplicité, cohérence, rapidité, intuitivité sont les maîtres-mots de l'expérience utilisateur (ou UX pour "User eXperience"). A un clic de n'importe quel service ou produit, le client est plus volatil et exigeant que jamais. Ne pas le décevoir, répondre à ses attentes, lui fournir le meilleur service possible est indispensable pour le fidéliser et le transformer en ambassadeur de sa marque. Pour délivrer cette expérience "sans couture", les start-up pratiquent la méthode du "Design thinking", une méthode d'innovation centrée sur l'utilisateur ("human centric design") et qui fait la synthèse pluridisciplinaire ente les compétences analytiques des ingénieurs et des professionnels du marketing et les compétences intuitives des créatifs.

5. Agilité


"Move fast, break things", clame Facebook. La souplesse et la rapidité d'action sont une des armes de poids de ces entreprises web. Elles ont adopté la méthode expérimentale et itérative du "lean start-up" : il ne s'agit pas d'attendre que le produit soit parfait, mais de travailler au mieux ses fonctionnalités principales et de savoir quelle population on veut cibler en premier. Une fois défini son MVP ("Minimum Viable Product"), la start-up se confronte au terrain pour, rapidement, ajuster et améliorer son produit grâce aux retours des utilisateurs.

6. Open-innovation

L'ouverture et la cross-fertilisation des compétences et des savoirs encouragent la créativité et l'innovation. Symbole de ce maillage, la Silicon Valley est l'écosystème le plus dense au monde avec ses universités et laboratoires de recherche, ses investisseurs (business angels, VC), ses incubateurs (Y Combinator). Le "hackaton" qui rassemblent créatifs, marketeurs et codeurs pour inventer ou améliorer un service web en un temps records participe de cette approche, qui fait du désilotage la règle et de la collaboration un impératif.

L'ouverture des API aux développeurs tiers est une autre tactique prisée des start-up pour enrichir leur service tout en faisant progresser leur part de marché. C'est la stratégie actuellement développée par Uber qui, après avoir ouvert son API en août dernier, offre désormais à toute application mobile la possibilité d'intégrer directement son service de réservation. Ce business model disruptif est une traduction de l'économie des réseaux : pour créer de la valeur, les start-up se développent sous la forme de "hub", d'écosystèmes et de plateformes de partenaires.

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