- En s'engageant, les marques prennent le risque de se couper d'une partie de l'engagement. Selon vous, mieux vaut-il être clivant ou fédérateur?
Cela n'a plus de sens de vouloir plaire à tout le monde. Plus aucun produit ou service ne peut avoir cette ambition. Les marques doivent concentrer leurs efforts sur un petit nombre de clients, et susciter leur engagement. Et pour cela, elles ne doivent plus hésiter à être avant-gardistes, à prendre des risques, à oser les extrêmes !
- En France, dès que des marques se sont engagées auprès d'hommes politiques, elles ont été immédiatement désavouées par les consommateurs. Le risque aujourd'hui est donc de choisir des engagements très mainstream, qui ne blessent personne, comme l'écologie...
Certes. Mais regardez Patagonia. Eux s'engagent certes pour l'écologie, mais n'hésitent pas à aller toujours plus loin. Et ce, alors que cela signifie ne pas vendre certains produits, ou les vendre plus cher, ou ne pas être totalement maîtres de l'emplacement de leur magasin. Mais ces choix, parfois radicaux, donnent du sens à leur message et donc à leurs produits.
- Qu'ont les marques américaines à apprendre des françaises?
Dans les années soixante, la France a beaucoup copié les États-Unis car ce qui comptait alors était le prix. Grâce à notre excellente productivité, nous pouvions les baisser et donc importer nos produits qui, par voie de conséquence, gagnaient en notoriété. Aujourd'hui, tout le monde peut produire à très bas prix. Car toutes les marques ont accès aux mêmes usines, aux mêmes robots... Toute la différence réside alors, là encore, dans la capacité des marques à susciter l'engagement. Et en France, vous êtes, à ce niveau, brillants ! Pourquoi ? Notamment car les marques sont, en France, dirigées par de véritables leaders qui s'impliquent corps et âme. L'autre raison, c'est bien entendu l'héritage dont bénéficient les marques françaises. Pourquoi quelqu'un préfère-t-il un sac Louis Vuitton alors qu'il pourrait en avoir un faux pour 20 fois moins cher ? Tout simplement car il achète une histoire et surtout une certaine idée d'exigence et de qualité. Et cela vaut tout autant pour du sel de Normandie. Alors que je pourrais en obtenir pour presque rien, j'en acquiers pour 6 euros le petit pot. Pourquoi ? Parce qu'on ressent, dès qu'on le prend en main, que quelqu'un l'a fait et s'est inquiété de sa bonne conception. Et que chaque fois que je l'utiliserai, cela me rendra heureux. Et ce, pour seulement 6 euros... On peut dire que c'est une affaire! Il ne s'agit plus du prix, mais plutôt de l'émotion et de l'expérience apportées.
- À l'inverse, qu'ont les marques françaises à apprendre de leurs homologues américaines?
Les États-Unis sont très inspirants au niveau de la relation client. Les marques ont en effet compris les exigences de leurs clients qui s'attendent à obtenir, dès le lendemain de la commande, le produit, ainsi qu'au moindre problème, des excuses, un remplacement, voire un remboursement. Et les Français ont à apprendre à ce niveau, ainsi qu'à celui de l'expérience client. Quand je suis né, dans les années soixante, ce qui était incroyable, c'était d'acheter un stylo qui marchait. Aujourd'hui, n'importe quel stylo à n'importe quel prix marchera... ce qui est important et ce qui fera payer le prix aux clients, c'est l'expérience offerte, avec le produit, mais également en magasin.
- De nos jours, quel est l'enjeu majeur des marques?
Elles doivent refuser de se développer si telle n'est pas leur vocation. Sinon, le risque est de ne plus respecter leur promesse, de compromettre leur engagement. C'est exactement ce qui est arrivé à toutes les marques qui ont connu leur heure de gloire et qui sont retombées dans l'oubli. Attention donc à grandir selon votre propre rythme, et en ignorant les exigences des marchés. Prenez Starbucks, cette enseigne est puissante comme jamais. Mais dès qu'elle cherche à se diversifier, par exemple en se lançant sur les déjeuners, c'est un échec. Car leurs clients leur font confiance sur l'expresso, mais pas sur l'egg sandwich !
- Quels conseils donneriez-vous aux marketers français?
Nous sommes tentés de commencer gros. C'est une erreur. La véritable opportunité, c'est de commencer petit, de faire des promesses à une centaine, voir un millier de personnes, les tenir, tout en leur offrant la plus belle expérience possible. Ce n'est qu'ensuite que vous pourrez l'étendre à une dizaine de milliers de consommateurs et même plus !
- Selon vous, quelle marque est la plus exemplaire?
Plusieurs marques me satisfont dans l'interaction que j'ai avec elles. Il y a ainsi tous les magasins en bas de chez moi où on connaît mes goûts et mes attentes. Il y a également cet entrepreneur new-yorkais, Danny Meyer, dont tous les restaurants, mais aussi la chaîne de restauration rapide Shake Shack, procurent des expériences chaleureuses et personnelles. Car à chaque fois que vous passez la porte de ses établissements, vous avez l'impression d'être partie intégrante d'une communauté. L'autre exemple, c'est bien sûr la chaîne canadienne Tim Hortons. Quand vous y commandez un double-double, vous achetez plus que des donuts... Vous devenez un peu plus Canadien. Et quand vous achetez quatre donuts, et qu'on vous en offre huit, le partage que cela implique renforce encore ce sentiment.
- Quel impact aura la présidence de Trump sur le monde créatif?
Je ne veux pas parler de politique. Cela me rend trop triste...
- Vous dites que les marques doivent être uniques. Mais comment y parvenir?
Aujourd'hui, les gens peuvent acheter tout ce qu'ils veulent auprès de qui ils veulent. Donc, pour qu'ils vous choisissent, vous devez agir différemment, affirmer votre singularité dans ce que vous faites. Et bien sûr, oser ce que les gens ne veulent pas faire, ou ont trop peur de faire.
Pour aller plus loin:
New York, l'État du retail
Les marques américaines, pionnières du social media