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La boîte à outils de la Négociation
Chapitre III : Définir votre stratégie
Fiche 06 : Les deux forces de Sun-Tzu
- Retrouvez 7 fiches outils dans ce chapitre
- Publié le 11 déc. 2017
La boîte à outils de la Négociation
7 chapitres / 52 fichesInteraction entre ce qui est visible et ce qui est caché
En résumé
Cet outil adopte l'approche stratégique de Sun-Tzu qui distingue l'interaction de deux types de forces :
- les forces normales servant à engager la négociation ;
- les forces extraordinaires cachées servant à la gagner.
Les forces normales annoncées aux interlocuteurs au début de la négociation permettent au négociateur de fixer l'attention de l'autre, alors que dans le même temps il prépare ses forces extraordinaires en les gardant secrètes jusqu'au moment opportun (ouverture de la fenêtre de tir).
Pourquoi les utiliser ?
Objectif
Savoir préparer dans votre négociation des arguments en forces normales et des arguments en forces extraordinaires.
L'utilisation de ces deux forces, normales et extraordinaires, a pour but de conjuguer deux éléments afin d'augmenter l'efficacité de la négociation.
Contexte
Le concept de forces normales et de forces extraordinaires, fut défini par le général chinois Sun-Tzu, il y a deux mille cinq cents ans. Ce concept est développé dans son livre L'Art de la guerre, publié pour la première fois en France en 1772.
Nous ne garderons de cet " Art de la guerre " que ce qui ressort d'une réflexion stratégique.
Comment les utiliser ?
Sun-Tzu distingue deux types de forces : les forces normales visibles par l'ennemi qui servent à engager la bataille et les forces extraordinaires cachées à l'ennemi et qui servent à la gagner.
Le négociateur décide, lors de la préparation de la négociation, quelles sont ses forces normales et ses forces extraordinaires.
Étapes
- Établir sa liste de forces normales. Le négociateur choisit au moment de sa préparation ses forces normales (ses arguments et ses objectifs) qu'il met volontairement en avant pour attirer l'attention de l'interlocuteur dès le début de la négociation.
- Établir sa liste de forces extraordinaires. Le négociateur choisit soigneusement ses forces extraordinaires qui devront rester cachées le plus longtemps possible (cf.outil 10, la zone cachée de la fenêtre de Johari).
- Identifier la fenêtre de tir qui permettra d'injecter dans la négociation vos forces extraordinaires. Cette fenêtre de tir doit être parfaitement délimitée dans le temps : avant c'est trop tôt, après c'est trop tard.
À Austerlitz : Napoléon dit à Soult " Combien de temps pour escalader le plateau [de Pratzen] ? ", " Une demi-heure Sire ", " Alors, vous attendez encore un quart d'heure. "
Le choix de la fenêtre de tir est indispensable pour renforcer l'efficacité du négociateur.
Tant que, dans la préparation de la négociation, ne sont pas définies vos forces extraordinaires, vous restez vulnérable.
Méthodologie et conseils
Prendre en compte, suivant ces deux axes spécifiques et complémentaires, forces normales et forces extraordinaires, permet de mieux visualiser sa stratégie.
Ne pas multiplier le nombre de forces extraordinaires, le temps de négociation étant limité, vous seriez moins efficace.
Ne pas rester trop longtemps en forces normales, car vous n'auriez plus le temps d'injecter vos forces extraordinaires.
Avantages
- La nécessité d'utiliser une fenêtre de tir vous oblige à rester vigilant sur le rythme que vous donnez à la négociation.
- La nécessité de préparer systématiquement ces deux forces, visibles et cachées, nourrit votre créativité dans votre recherche d'arguments et d'attitudes.
Précautions à prendre
- À la fin de la négociation, claironner sa victoire est à éviter. Faire perdre la face à l'autre n'est jamais souhaitable, n'oubliez pas qu'une négociation n'est jamais terminée...
Comment être plus efficace ?
Le choix de ces deux forces normales et extraordinaires doit se faire dès la préparation. Chaque force doit être parfaitement choisie avec toute sa batterie d'arguments.
Étape 1 : identifier les trois éléments
- Forces normales : celles qui sont montrées.
- Forces extraordinaires : celles qui sont cachées jusqu'au moment choisi.
- Fenêtre de tir : soigneusement délimitée dans le temps.
Exemple d'une négociation commerciale et salariale : un directeur négocie avec son équipe de collaborateurs leur mode de rétribution en fonction du chiffre d'affaires. L'objectif du directeur : augmenter le chiffre d'affaires.
Forces normales : le directeur fait croire qu'il vaudrait mieux que soit attribuée une prime égale collective, proportionnelle au chiffre d'affaires de l'équipe.
Forces extraordinaires : le directeur souhaite en réalité que cette négociation débouche sur une rétribution au mérite, le plus performant recevant la prime la plus élevée.
Fenêtre de tir : le directeur choisit d'utiliser ses forces extraordinaires dans la dernière demi-heure de la négociation.
Étape 2 : préparer les arguments
- Arguments forces normales
Exemple : le directeur : " évidemment, la prime sera alignée sur la moyenne du chiffre d'affaires. Les plus performants tirant le groupe vers le haut. les moins performants le tirant vers le bas. " Le directeur laisse volontairement flotter le malaise dans le groupe. Chacun connaissant nominativement ceux qui sont les plus performants et les autres... mais ne pouvant nommer personne. Le groupe est alors pris en double contrainte :
- ne rien répondre, c'est tirer pour plusieurs d'entre eux la prime vers le bas... ;
- dire que ce n'est pas juste, c'est obliger le groupe à faire le tri entre les plus performants et les autres.
- Arguments forces extraordinaires
Exemple : le directeur : " évidemment, il y aurait bien une solution... c'est la rétribution la plus juste, la moins contestable... la prime calculée sur le mérite de chacun ! "
Étape 3 : évaluer le rapport de force
Le négociateur évalue le rapport de forces pour chacune de ses forces normales et extraordinaires.
- Forces normales : prime pour tous, c'est la tempête dans les crânes des collaborateurs. Le groupe se débat silencieusement dans la double contrainte où il est enfermé.
- Forces extraordinaires : la force du " c'est juste et injuste ", c'est la maturation du groupe qui l'apporte. Chacun se trouvant soulagé que le directeur apporte la solution, sans que le groupe soit obligé de distinguer les plus performants. Si cette solution est adoptée, il doit y avoir débat et accord sur la pertinence des critères d'évaluation de la performance.
Étape 4 : choisir la fenêtre de tir
Si la fenêtre de tir est bien choisie, elle multiplie l'efficacité des forces extraordinaires, pour un moment de l'action que les anciens Grecs appelaient le Kairos (l'instant vertueux où tout réussit).
Cas :Le candidat, film de Niels Arestrup
Élection présidentielle. Deux candidats :
- (Yvan Attal) jeune politique présenté en catastrophe, le candidat officiel du parti étant empêché par un cancer foudroyant ;
- l'adversaire, un pro de la politique.
Yvan Attal, alors qu'il s'épuise à s'entraîner avec tout un staff, est victime d'un malaise. Après examen, il sait que son coeur est en parfaite santé. Il apprend que le cancer du candidat officiel est improbable, mais aussi :
- que le président du parti veut que la dernière question du débat télévisé soit posée par chaque candidat ;
- que le président et que l'ami-conseiller d'Attal sont en contact, bien que l'ami-conseiller ait prétendu le contraire.
Yvan Attal, se voyant sacrifié et trahi, décide d'attaquer pour gagner.
Analyse du cas
Décisions stratégiques d'Yvan Attal :
- Forces normales : Son manque de charisme et les mauvais sondages. (il se donne volontairement l'image d'un looser).
- Forces extraordinaires : il dit " je suis malade du coeur " à son ami, pour qu'il le dise au président une fois le débat commencé, pariant que celui-ci en informera son adversaire.
- Fenêtre de tir : à la dernière question.
Action :
Tout au long du débat il marque sa différence.
À la fin il voit qu'un petit bout de papier est passé à son adversaire.
La fenêtre de tir s'ouvre :
L'adversaire comme il l'avait prévu le questionne sur sa santé, il lui répond que tout va bien et lui tend son bulletin médical.
À lui de poser sa question : " Pouvez vous révéler aux téléspectateurs ce qui est écrit sur le petit bout de papier qu'on vient de vous passer ? ".
Son adversaire en plein désarroi, décontenancé, sans force, se tait...
Échec et mat, Yvan Attal a gagné !