Recherche

Vers une société schizophrène

La publicité se fait trash et provoc ou, au contraire, guimauve et naïve. Les individus hésitent entre la déprime et l'hédonisme. Le cinéma alterne entre filmographie apocalyptique et contes de fées. Bref, la société est en plein paradoxe, capable du meilleur comme du pire.

Publié par le
Lecture
14 min
  • Imprimer


«L'époque est au paradoxe. Les individus ont un tempérament schizophrène. » Vincent Grégoire, du bureau de style Nelly Rodi, ne mâche pas ses mots pour décrire notre société moderne. Il est vrai qu'un oeil extérieur y perdrait son latin en observant les comportements des individus et en s'immisçant au coeur de leurs émotions, de leurs désirs et de leurs craintes. Il verrait tout et son contraire. Et pour cause, les hommes ont une espérance de vie qui ne cesse d'augmenter, le temps de loisirs n'a jamais été aussi important, les progrès technologiques permettent de réaliser des choses qu'on croyait impossibles il y a encore quelques années, les voyages sont devenus abordables pour le plus grand nombre, les massages font fureur… Pourtant, les visages ne rayonnent pas de bonheur. Et la dépression pourrait bien être le mal du siècle. « Quand on regarde les gens, on n'a pas un sentiment d'euphorie », observe Gilles Lipovetsky, philosophe et auteur de La société de déception (Ed. Textuel). Les inquiétudes sont palpables : peur du chômage, de la pollution, du terrorisme…

Une dualité qui amène le philosophe à décrire deux faces de la société : d'un côté, celle qui promet le bonheur, et de l'autre, celle qui entraîne des déceptions, un mal-être, un mal de vivre. Il en résulte une culture à deux faces, à la fois hédoniste et ludique, tout en étant envahie par le référentiel de la santé, qui inonde à peu près tout, de notre alimentation à l'air que l'on respire, en passant par notre domicile. Pour Gilles Lipovetsky, « toutes les formes d'excès sont désormais frappées d'interdiction » : de fumer, de boire, de grossir, de se laisser aller… Chez Colette, on ne vous sert que de l'eau…

L'écrivain remarque que si « autrefois, les fêtes étaient orgiaques, dionysiaques », aujourd'hui elles sont seulement « sympas ». De même, si du temps de nos grands-parents, il n'était pas étonnant de croiser un passant en train de chantonner dans la rue – pour son propre plaisir –, aujourd'hui, les gens le prendraient soit pour un mendiant, soit pour un fou… En outre, « nous sommes constamment sur un effet de balancier », note Vincent Grégoire.

Si l'attention portée à la planète est de plus en plus forte, si les individus économisent davantage, s'ils décortiquent la publicité et s'en méfient, ils s'autorisent tout de même à lâcher prise le week-end. Après une semaine passée à surveiller leur assiette, ils se permettent un dîner au restaurant. Et se consolent de leurs petits bobos quotidiens en s'oubliant dans des vagues de shopping compulsives.

Haro sur la demi-mesure

Ces référentiels contradictoires sont parfaitement représentés dans la publicité. Quand Nina Ricci nous plonge, pour le lancement de son dernier parfum, dans un monde féerique avec une héroïne se situant entre Alice aux Pays des Merveilles et Blanche-Neige, Marithé et François Girbaud choisissent de choquer dans leur campagne automne-hiver en montrant un monde hanté par la guerre et les effluves de pétrole. De même, quand le site de rencontres Match.com nous fait pénétrer dans un monde merveilleux empli d'oiseaux chantants, de papillons multicolores et où les personnages ont le visage en forme de coeur, Eastpak horrifie en transformant les détenteurs

La lecture de cet article est réservée aux abonnés

Le saviez-vous ?


La Vie Ouvrière et nvo.fr c'est l'information sur le travail et les luttes sociales. Indépendants des grands groupes de presse, c'est grâce à ses abonnés que la Vie Ouvrière et nvo.fr peuvent vous rendre compte des réalités du monde syndical et social. Soutenez l'entreprise de presse de la CGT. Abonnez-vous !


À partir de 5 € par mois

Déjà abonné ? Je me connecte

Marketing Day : Le Podcast
sponsorisé
Sens & stratégie de marque : qui pour succéder à Rache…

Aurélie Charpentier

S'abonner
au magazine
Se connecter
Retour haut de page