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Réputation en ligne : le grand buzz

Elle peut représenter jusqu'à 70 % de la valeur d'une entreprise. Elle est une donnée extrêmement mouvante et sur laquelle la marque a finalement peu d'emprise. Elle, c'est la réputation, aujourd'hui indissociable du Web 2.0 qui se crée ou se défait sur la toile et les réseaux communautaires et dont la problématique doit être intégrée par les entreprises.

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@ Corbis / Fotolia.com

Cela tient parfois à peu de choses. Une petite vidéo amateur montrant les faiblesses d'un produit, une demande de retrait d'un lien ou d'un post embêtant, un billet d'indignation... et la nouvelle fait le tour du Web en quelques jours ou quelques mois avant de sortir dans la presse (et inversement), jetant le discrédit sur la marque en question. Les cas les plus marquants - Kryptonite, la SNCF, Poweo, HSBC, Yahoo!, Apple et les autres - sont répétés à l'envi lors des multiples conférences organisées sur le sujet, tant il est abordé depuis quelques mois. Certes, le phénomène n'est pas nouveau. La question de la réputation a toujours été une préoccupation des entreprises mais la maturité des internautes lui a fait prendre une autre dimension. Ainsi, « aujourd'hui 90 % de ce qui se dit d'une marque sur le Web n'émanent pas de celle-ci ou de son site internet », tient à rappeler Philippe Duhot, fondateur de l'agence de communication Opt'in Power. Et comme le résume, non sans une pointe d'ironie, Chris Anderson, l'auteur de The long tail : « Votre marque n'est plus ce que vous en dites mais ce que Google en dit. . . » On mesure donc l'ampleur du travail quand on sait que l'an dernier, 29 des 100 entreprises les plus importantes du monde se trouvaient associées à des commentaires négatifs sur la première page de Google (Forbes).

Un marché qui mûrit

Reste à savoir comment se protéger de ces attaques de plus en plus protéiformes. Car en plus des traditionnels commentaires négatifs postés sur les blogs et les forums, les entreprises doivent faire face à de véritables pirates du Net dont les techniques et l'organisation deviennent de plus en plus poussées. Alors qu'il y a cinq ans, le sujet était traité par quelques start-up spécialisées, depuis plusieurs mois, les cabinets de conseils en intelligence économique, marketing ou RP multiplient les départements dédiés à la gestion de la réputation en ligne. « C'est le signe que le marché devient mature », explique Jérôme Delaveau, dg de Human to Human. Et ce même si, « la plupart des entreprises se trouvent un peu dépassées et doivent donc déléguer l'analyse et la gestion du Web à des agences », précise Pierre Santamaria, directeur général d'Oto Research. Tant et si bien que certaines sociétés qui s'engagent dans la partie ont aujourd'hui décidé de se spécialiser davantage encore, à l'image de l'agence Beau Fixe qui s'occupe uniquement de la gestion de la réputation en ligne des dirigeants de société. Et pourtant, si les agences n'hésitent plus à lancer ce type d'offres, les entreprises, elles, sont particulièrement réticentes à “avouer” qu'elles se préoccupent de ce qui peut se dire d'elles sur le Web. Curieusement, le président de la République a été moins frileux. En mars dernier, à la suite d'attaques répétées contre lui, Nicolas Sarkozy a décidé de créer un pôle de cinq personnes dédié à la gestion de sa réputation, pôle qui sera chargé de « surveiller tout ce qui se dit sur la Toile, de traquer les fausses rumeurs et de déjouer toute désinformation à l'encontre du président ». Les blogs et forums politiques ont copieusement raillé la nomination de Nicolas Princen, embauché à la tête de ce nouveau service, craignant qu'il ne devienne les yeux de Big Brother... Pourtant, mieux valait en faire état en toute transparence plutôt que d'avancer masqué jusqu'à temps d'être découvert... « Il n'y a rien de mal à regarder ce qui se passe sur le Net, ce qui est analysé par les entreprises est dans le domaine public », tient à rassurer Nicolas Chazaud, qui réalise une thèse sur le sujet et travaille pour LexisNexis, un fournisseur d'intelligence services. « Nous voyons davantage cela comme une écoute que comme une surveillance », précise Martial Delpuech, directeur des relations publiques de Telecom Italia, société qui détient la marque du fournisseur d'accès à Internet Alice et l'une des rares entreprises à bien vouloir communiquer sur le sujet.

Franck Sitbon (Webformance) :

« Les entreprises ont de plus en plus conscience que la gestion de leur réputation en ligne est un enjeu colossal. »

Grégory Pouy (Vanksen) :

« Pour régler un problème avec les blogueurs, il faut éviter de le faire sous forme d'opération marketing. »

Réagir à temps

Il faut dire que l'expérience de Telecom Italia a été plutôt fructueuse. Au temps de Tiscali France, en 2005, le directeur des RP, voyant l'image de la marque se dégrader, avait soumis et obtenu, la création d'un “service de relation web”. Composé de deux personnes et externalisé chez Webreport, celui-ci a été particulièrement précieux lors de la crise qu'a dû affronter Alice au tout début de son lancement, en 2006. « La cellule est tout de suite intervenue sur les forums et a été chargée de canaliser les commentaires vers la communauté Alice. De plus, nous avons tissé des liens avec des blogueurs, qui sont notamment venus dans l'entreprise pour comprendre comment nous travaillions. Quand nous avons rencontré de sérieux problèmes avec la hot line, cette communauté avait déjà acquis une certaine notoriété et légitimité. La plupart des clients mécontents étaient donc très vite redirigés vers celle-ci et pouvaient discuter avec la cellule ou les techniciens », explique Martial Delpuech. Si la communauté Alice n'a pas empêché les protestataires de faire entendre leur voix, elle a permis de mieux gérer la situation. « Au plus fort de la crise, nous avions recensé 14 000 messages en un mois, dont 70 % étaient négatifs, avoue le directeur des RP. Aujourd'hui, nous en comptons 1 500 dont 90 % de neutres ou positifs. Si nous n'avions pas établi ce lien en amont, nous n'aurions pas pu remonter la pente ou très difficilement. »

La reconnaissance de ses erreurs permet en effet de désamorcer en partie une crise sur le Web. « Les internautes sont très sensibles au fait que l'entreprise assume la responsabilité du problème », confirme Stéphane Billiet, p-dg de Hill 8c Knowlton qui s'est occupé de la gestion de la “crise” Poweo lors de la diffusion d'une vidéo controversée sur le Net en octobre 2007. À cette époque, alors que l'effet Coupe du Monde de Rugby bat son plein, la marque signe avec Chabal et utilise son image dans une petite vidéo virale où le rugbyman met ses doigts dans la prise pour y “puiser son énergie”. Tollé chez les internautes qui accusent alors l'entreprise d'être “irresponsable”, de “vouloir tuer les enfants” sur leurs blogs, forums et réseaux sociaux. Ils saisissent aussi le Bureau de vérification de la publicité et contactent le service clients ou le directeur de la communication. Bref, le buzz est bien là : la vidéo est vue 300 000 fois, mais pas forcément dans le sens attendu au départ... Dans les trois jours, Poweo décide de retirer la publicité des sites de partage, demande aux hébergeurs de faire de même et diffuse une lettre d'excuse. Les internautes, en majorité, saluent alors la réaction du fournisseur d'énergie. « Au final, j'ai l'impression que nous sommes plutôt sortis grandis de cette situation, remarque Ivan Roussin, le directeur de la communication de la marque. Et je pense que, même si nous avons perdu de l'argent (toute la durée de l'utilisation de l'image de Sébastien Chabal), le coût en termes de réputation aurait été bien plus important si nous avions laissé traîner les choses. »

Stéphane Billiet (Hill & Knowlton) :

« Aujourd'hui, les entreprises françaises ont compris qu'il faut gérer leur réputation, mais ne savent pas comment s'y prendre. »

Ivan Roussin (Poweo) :

« Grâce à la crise que nous avons vécue, nous avons compris l'importance d'une réaction immédiate et transparente. »

Un travail en amont

Encore faut-il avoir les ressources pour identifier le problème. Aujourd'hui, beaucoup d'entreprises ont saisi l'importance de l'analyse du Web, mais à l'occasion d'une crise, quand il est presque trop tard. Or, toutes les sociétés de RP ou de conseil sont unanimes : même si la réputation ne se décrète pas - contrairement à l'image de marque -, « le meilleur travail se fait dans la prévention, en collaborant avec les réseaux d'influence », insiste Philippe Duhot. Pourtant, peu de marques en ont aujourd'hui pris conscience : « Rares sont celles qui ont tenté d'optimiser leur présence sur Internet en amont par l'achat de mots-clés ou la création de contenus informatifs », déplore Franck Sitbon, dg de Webformance. Et encore moins investissent dans des logiciels ultra-puissants qui permettent de scanner précisément tous les bruits du Web, à l'image de ceux proposés par Digimind ou LexisNexis. Ces systèmes aux algorithmes très perfectionnés, restent en effet, de par leur coût, l'apanage des grosses entreprises. Et savoir ce qui se dit ne suffit pas. Reste, et c'est là la partie la plus importante, à analyser ces données et à les exploiter au mieux. Les acteurs les plus avancés disposent ainsi de Community Managers à l'anglo-saxonne, soit des personnes dédiées à l'écoute et à la relation avec les internautes. C'est par exemple la voie suivie par Packard Bell depuis un an. La marque d'ordinateur qui souffrait d'une image un peu vieillotte et peu qualitative chez les “geeks” a décidé de prendre le problème à bras-le-corps en nommant deux collaborateurs aux postes de Community Managers. Ces ingénieurs chevronnés de la hot line y consacrent environ 30 % de leur temps de travail. « Nous voulions des personnes internes à l'entreprise, qui connaissent parfaitement la marque et l'organisation, explique Laurent Samama, directeur marketing de Packard Bell. En revanche, nous les avons voulues très indépendantes du service marketing, il s'agit vraiment plus de relation client. » Un bon point selon Grégory Pouy de l'agence Vanksen : « Si, pour régler un problème, on mène une opération marketing avec les blogueurs, ces derniers vont juste amplifier le mauvais buzz. » Pour Packard Bell, ce dialogue aurait ainsi permis à la marque de désamorcer plusieurs difficultés rencontrées par leurs clients. « Parfois, nous avons préféré ne pas réagir, mais jamais nous n'avons fait intervenir le service juridique », soutient Laurent Samama.

Le dialogue, toujours ?

Le recours à la solution forte est pourtant encore largement plébiscité par les entreprises. Or, « sur Internet, la censure ou le fait de couper court à un dialogue est très mal accepté », insiste Franck Sitbon. La SNCF en a fait les frais. Il y a un an, quand celle-ci a dû faire face à la montée en puissance d'un blog très critique sur sa ligne Paris-Rouen (le Train Train quotidien), l'entreprise n'a pas su ou voulu réagir aux différents posts qui alimentaient abondamment le blog. Jusqu'au jour où un caricaturiste y a publié le logo détourné de la compagnie ferroviaire. « Tant qu'il n'y avait que des commentaires, la SNCF refusait de répondre au motif que nous n'étions pas des institutionnels et de ce fait, pas légitimes, explique Xavier Moisant, l'auteur du blog. Mais dès que nous avons touché à la communication de la marque, ils ont demandé à l'hébergeur de supprimer le post au regard de la Loi pour la confiance dans l'économie numérique. Ce qu'il a fait. » Résultat, le blog crie à la censure, la nouvelle est reprise par des blogs très influents et par la presse... et le conseil régional suspend une subvention de 30 millions d'euros accordée à la SNCF. Mais les institutions sont parfois en pointe en termes de best practices à l'image de la RATP et de son site Vous-et-la-ratp.net qui héberge au sein d'un forum bien identifié au nom de la marque, toutes les critiques et suggestions de ses utilisateurs. Et surtout, elle y donne suite, avec réponses écrites et parfois même actions.

Mais si le poids des grosses structures peut constituer un atout, leur organisation pyramidale peut parfois se révéler problématique. « Nous avons remarqué que les grandes entreprises font intervenir plusieurs services sur le sujet, au risque parfois de ne pas être assez réactifs », explique ainsi Christophe Asselin, consultant chez Digimind. Même si des exceptions peuvent bien évidemment confirmer la règle. Certaines entreprises pour lesquelles le Web est constitutif de leur ADN sont bien évidemment sur le qui-vive, à l'image d'une multinationale qui dispose d'un service d'une dizaine de personnes s'occupant de cette question et dont la réaction doit intervenir en moins de 48 heures en cas de crise. L'action doit, en effet, être ultra-rapide, car plus le temps passe, plus les commentaires se multiplient... et restent. « Il est parfois un peu injuste de voir que des commentaires très durs et vieux de deux ans restent encore visibles sur les premières pages alors que le problème a été résolu », déplore le directeur des relations publiques de Telecom Italia.

Pour pallier ce problème, certaines sociétés se sont créées outre-Atlantique pour “faire le ménage” sur la Toile : ils sont appelés les “nettoyeurs” et opèrent dans la plus grande discrétion. L'une d'entre elles, Réputation Defender, promet ainsi de “trouver tout ce qu'on dit de vous en ligne” et de vous “débarrasser des contenus indésirables”. Sur son site, la société prétend ne travailler que pour des particuliers mais au téléphone, son patron, Mickaël Fertik avoue proposer des services très chers (de 25 000 à 300 000 dollars) pour de très grandes entreprises publiques américaines, sous couvert d'anonymat bien entendu. « Nos méthodes sont légales et morales », tient à préciser le P-dg, même si lesdites méthodes restent floues : « Nous avons quelques trucs qui nous permettent de faire remonter les contenus positifs et taire les négatifs. » Une méthode à l'opposé de celles préconisées par les sociétés françaises, Réputation Defender avouant elle-même ne pas réussir à s'implanter sur le marché hexagonal. Quoi qu'il en soit, que la vision américaine ou française l'emporte, une chose est sûre, la réputation des marques comme celles des individus devient un marché dont le potentiel n'est plus à démontrer et qui sera de plus en plus disputé.

Laurent Samama (Packard Bell) :

« Les deux collaborateurs dédiés à la gestion de notre réputation nous ont permis de rapidement désamorcer une crise. »

Philippe Duhot (Optln Power) :

« 90 % de ce qui se dit d'une marque sur le Web n'émane pas de celle-ci ou de son site internet. »

Jérôme Sicard (Mark Monitor) :

« Le brandjacking a un impact sur l'image des marques. »

Le Brandjacking: une pratique en augmentation

Selon la quatrième édition du Brandjacking Index, réalisée par MarkMonitor, la pratique du Brandjacking, ou l'abus de marque, a pris de l'ampleur en 2007. « Cela a non seulement un impact sur les ventes mais aussi sur l'image des marques qui sont victimes de ce type d'attaques », explique Jérôme Sicard, P-dg de MarkMonitor. Les attaques contre les marques prennent des formes multiples et ce, de plus en plus, au fil des avancées technologiques. Voici les plus importantes :
- Le cybersquatting consiste à enregistrer un nom de domaine très proche de celui d'une marque pour en détourner le trafic. Cette forme la plus courante d'abus de marque a augmenté de 33 % sur l'année 2007.
- Le phishing repose sur la récupération de données
(souvent bancaires) auprès d'internautes en se servant d'une fausse identité de marque. Cette pratique est en augmentation de 533 % dans le secteur des services et retail en 2007.
- Le google bombing est une technique de référencement visant à influencer le classement d'une page dans les résultats du moteur de recherche Google.
- L'astroturfing consiste à lancer une opération de communication sous couvert de mouvement spontané pour dénigrer un concurrent.

BEATRICE HERAUD

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