Regards croisés
MM: Etes-vous surpris par la place prise par les gratuits?
Vincent Leclabart: Dès le début, on savait que l'arrivée des quotidiens gratuits serait un phénomène dont il faudrait tenir compte. Nous pensions, en revanche, que les annonceurs mettraient du temps à s'y intéresser. Or, ils y sont venus très vite. C'est une presse que nous utilisons beaucoup pour Leclerc par exemple, ou pour Gaz de France à l'occasion d'événements précis comme l'Open de tennis. Les annonceurs sont devenus très pragmatiques. L'époque où l'on estimait qu'il était valorisant de communiquer dans tel titre et dévalorisant dans tel autre est révolue, sauf peut-être pour certains secteurs, comme le luxe, où il y a encore une forte projection de la valeur de marque dans les titres.
Dorothée Joly: En dépit de la méfiance des agences médias et des annonceurs aux débuts de la presse gratuite, nous nous sommes positionnés très tôt auprès de cette dernière. En effet, elle offrait d'une part la possibilité de toucher un segment de population très consommateur de TV à des coûts nettement moindres, et d'autre part, de mieux cibler le lectorat en région qu'avec les quotidiens nationaux payants. Dès mars 2003, soit tout juste un an après le lancement de Métro et 20 minutes, la CNP Assurance a communiqué ses résultats annuels auprès d'une cible large d'actionnaires et de clients CNP en assurance-vie dans les colonnes de 20 minutes. Elle a ensuite fait preuve de fidélité à l'égard de ce segment de presse, en incluant Métro, puis Economie Matin. Peu à peu, d'autres clients ont suivi, et parmi les plus récents Nexity en 2005 et en 2006, l'Agence nationale des services à la personne (le Chèque emploi service universel) en 2006 pour ses campagnes de notoriété, ou Natixis, dernièrement, pour sa campagne d'introduction en Bourse.
MM: Quel bilan tirez-vous, cinq ans après l'arrivée des premiers titres?
Vincent Leclabart: Un bilan positif dans le sens où ils ont apporté une bouffée d'oxygène à la presse. C'est particulièrement le cas pour les quotidiens qui apportent un superbe complément de couverture, en permettant de toucher une population que l'on n'atteint pas autrement. Le cas des magazines est différent. Avec leur système de diffusion uniquement localisé à certains endroits, ils connaissent moins cette relation de proximité avec le lectorat qui fait la puissance des quotidiens.
DorothéeJoly:Je suis plutôt admirative de l'inventivité et de la créativité de ces éditeurs qui ont réussi à construire une nouvelle famille de presse en cinq ans. On est face à une offre qui s'élargit de plus en plus. Le fait qu'elle évolue en se segmentant est beaucoup plus intéressant pour nous, spécialistes des médias. Un bémol toutefois concernant les titres les plus installés. Comme la diffusion augmente, le prix de la page s'accroît, ce qui rend moins vrai l'argument premier du ticket d'entrée.
Dorothée Joly (Euro RSCG C&O):
«La presse gratuite offre la possibilité de toucher un segment de population très consommateur de TV.»