Placement de produits: les marques entrent en scène
À la recherche d'autres moyens de communication, les marques reconsidèrent le placement de produits. Alternative encore plus tentante depuis l'ouverture du procédé à la fiction télévisuelle et aux clips musicaux. Si le marché n'en est qu'à ses débuts, diffuseurs, producteurs et annonceurs tentent de s'adapter.
Je m'abonneAu supermarché Casino, Véro, alias l'actrice Valérie Bonneton, charge ses bras de produits Casino Bio. Antoine (Laurent Laffite), lui, ne quitte plus son polo rouge Lacoste... Ces marques figurent dans des scènes du film Les petits mouchoirs de Guillaume Canet. Un carton au box-office (5,2 millions de tickets de cinéma vendus, selon CBO-Box office) qui a profité aux produits placés. « En termes de visibilité, nous avons bien fait de positionner notre marque dans cette production, explique Arnaud Leblin, directeur de la communication institutionnelle chez Lacoste. D'autant plus que les valeurs du film notamment l'amitié et le confort de vie correspondent à notre univers. »
Le placement de produits, c'est permettre à l'annonceur de faire la promotion de ses produits dans une fiction susceptible de toucher sa cible, le tout moyennant paiement. Un concept loin d'être neuf. Déjà, dans les années 1910, Henry Ford avait glissé ses modèles T dans le film muet She wanted a Ford. « Le placement existe depuis la naissance du cinéma », confirme Olivier Bouthillier, patron de Marques et Films, agence spécialisée dans le placement de produits. Mais, il faut attendre les années quatre-vingt pour que la technique se démocratise, avec comme meneur Steven Spielberg. « Dans E.T. l'extra-terrestre, la présence de confiseries Reese's Pieces est certainement à l' origine de l' essor de cette technique», avance Jean-Marc Lehu, professeur de marketing à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Depuis, le réalisateur américain est devenu spécialiste du genre. Ainsi, dans Minority Report (2002), le cinéaste étale 17 marques identifiables. Gap, Lexus, Guiness, Nokia... son longmétrage est un vrai nid à placement de produits. Selon le journal professionnel Daily Variety, sur les 102 millions de dollars de budget film, 25 millions auraient été apportés par les marques. Si, ces dernières peuvent paraître, aux yeux des détracteurs, un envahissement commercial de l'oeuvre, au final, tout le monde y gagne. D'un côté, les annonceurs, qui par un placement de produit peuvent régler leur déficit d'image, affirmer leur leadership ou vanter les mérites d'un nouveau produit. De l'autre, les metteurs en scène et les producteurs qui, au-delà de la source de financement qu'il peut représenter, le perçoivent comme un ancrage dans le monde réel. « Les marques font partie intégrante de nos vies. Aujourd'hui, un urbain est confronté à près de 5 000 logos par jour. Dans ce contexte, insérer des marques dans la réalisation d'un film apporte un rendu réaliste », confirme Olivier Bouthillier (Marques et Films) .
Le placement de produits scénarisé
Pour crédibiliser l'oeuvre, le placement de produits doit s'intégrer à l'histoire du film de manière naturelle. « A l'inverse d'un spot publicitaire classique, l'introduction du produit ne doit pas être trop intrusive ni agressive. Elle doit susciter une émotion chez le spectateur afin qu'il s'en souvienne le plus possible, détaille Catherine Emond, directrice de l'agence de placement de produits Casablanca. Contrairement aux Etats-Unis où le producteur a le dernier mot, en France si un placement n 'est pas en accord avec l'histoire, il peut être refusé par le réalisateur. » C'est ce qui a été le cas pour Les petits mouchoirs. Au montage, Guillaume Canet a coupé la séquence dans laquelle apparaît la marque d'équipement des surfeurs Billabong. « On devait voir deux acteurs entrer dans le magasin Billabong, enfiler des combinaisons de la marque et s'essayer au surf assure Olivier Bouthillier (Marques et Films). Au final, le réalisateur n'a conservé que les quelques secondes où les acteurs s'apprêtent à entrer dans le magasin.» La marque s'est donc vue rembourser une partie de la somme qu'elle avait versée lors de la préproduction. Mais difficile d'obtenir des chiffres précis. Sur ce point, les marques se font discrètes. Olivier Bouthillier, qui s'est occupé du placement pour ce film, confie, cependant: « Ce placement était fixé à 10 000 euros, au départ. La marque a bénéficié d'une décote de 70 %.» Une somme de départ loin d'égaler les 300 000 euros que peut atteindre un placement dans les grosses productions. Mais qui pèse lourd en comparaison des nombreuses marques qui ne dépensent rien pour un placement. C'est le cas d'Apple. Le site Brandchannel a fait les comptes, la marque à la pomme apparaît dans des films cinématographiques près d'une vingtaine de fois par an. « Les scénaristes préfèrent que leurs héros utilisent un Mac, explique Jean-Marc Lehu, cela les rend plus séduisants. »
Même constat dans le secteur de l'automobile. «Les constructeurs sont les premiers à avoir eu recours au placement de produit, assure Catherine Abonnenc, directrice des relations publiques du groupe Renault. En échange de prêter nos véhicules sur les plateaux de tournage, on s'assurait gratuitement de la visibilité de nos modèles dans les fictions. » En 2009, la marque au losange a placé ses automobiles dans 50 films. Une pratique qui s'est élargie à la fiction TV, et ce bien avant le texte de 2010 du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) autorisant les placements dans les programmes des services de télévision. «Les téléspectateurs savent que Julie Lescaut roule en Peugeot depuis le début de sa carrière, reconnaît Olivier Bouthillier (Marques et Films) . Le CSA sait se montrer tolérant dans certains cas. Masquer un logo que l'on voit dans de nombreuses scènes dénaturerait la fiction. »
Musique: les clips vidéo sous silence
L'industrie du disque décline. Artistes et producteurs scrutent donc de nouvelles sources de revenus. Aux Etats-Unis, le placement de produit est monnaie courante. Enceintes Parrot, iPod, vodka Nemiroff... une dizaine de produits apparaissent dans le clip «Bad Romance» de Lady Gaga. L'agence française U think!, filiale d'Universal dédiée à la mise en relation des marques françaises, s'est occupée du placement des enceintes Parrot. « C'est pl us facile sur le marché Outre-Atlantique, regrette Céci le Rap-Veber, directrice de l'agence. En France, malgré la loi du CSA, les diffuseurs restent frileux. » Quelques placements ont tout de même eu lieu en 2010. U think! a placé le portable Wave 723 de Samsung dans le clip «US Boy» de Jena Lee. Mais, l'agence a aussi rencontré une déconvenue. L' exposition de Play for her de Givenchy dans «Je danse» de Jenifer a été réduite au montage. Reste que le clip a récolté 400 000 vues en deux semaines sur les plateformes de vidéos en streaming. « Puisque les chaînes continuent de couper au montage, on mise sur le Web où le potentiel est plus important.»
Le placement investit les fictions télévisées
En dehors du secteur particulier de l'automobile, le premier placement de produit effectué à la télévision n'est pas une marque de soda ni un téléphone portable. En réalité, il s'agit d'un test de grossesse Evolupharm, apparu dans la série «Plus belle la vie», en juin 2010. Depuis le 5 mars 2010, le CSA
Depuis, d'autres annonceurs se sont engouffrés dans la brèche. A l'image des chips Sibell, qui s'exposent dans un épisode en juillet. « Le packaging était bien visible, se souvient Gilles Benkemoun, patron de la marque. L'intérêt est de montrer la marque le plus possible afin que cela se répercute dans les rayons. » Ce que confirme Sylvia Tassan Toffola, directrice Internet et nouveaux médias chez TF1 Publicité: « Un one shot n'a pas de sens, il faut créer de la rémanence.» Pour cette raison, la régie de TF1 a mis au point l'offre du club des partenaires, un forfait permettant à la marque d'apparaître dans six à douze fictions. Les cafés Malongo ont souscrit à cette offre. Sur le tournage de la nouvelle saison de «R.I.S», version française de la série américaine «Les Experts», une machine à café de la marque a été installée dans la salle de repos. Mieux encore, lors d'un épisode, le chef du laboratoire scientifique se sert un café. La tasse, frappée de la marque, est présente à l'écran pendant quelques secondes. «Il y a deux types de placements au sein d'une fiction: le «statique», où le produit est placé dans un décor, et le «dynamique» qui implique sa prise en main ou sa citation, précise Sylvia Tassan Toffola. Malongo a opté pour une combinaison des deux. » Au final, la marque apparaît 1 min 30 à l'écran sur cinq épisodes, pour environ 100 000 euros, précise la directrice. Une somme bien plus élevée que le placement auquel a souscrit Evolupharm. « Les prix ont augmenté depuis le premier placement TV, affirme Sylvia Tassan Toffola. Aujourd'hui, pour une seule apparition, il faut compter entre 10 000 et 30 000 euros.» Un montant intéressant pour qui n'a pas les moyens d'investir dans un spot télévisé classique.
Un logiciel qui mesure l'impact du placement du produits
Comment calculer l'impact des ventes après un placement de produits? Une question que se posent tous les annonceurs. Et à laquelle répond Alain Maes, fondateur de l'institut d'études Public Impact, via Quattro, un logiciel de mesure de l'efficacité des placements de produits dans les fictions cinéma et TV, les clips et les jeux vidéo. Visibilité de la marque et du produit, perception du public, amélioration de la notoriété de la marque, market value générée par l'opération: l'outil se base sur quatre axes d'analyses dans lesquels se répartissent 50 critères. «Jusqu'à présent, l'efficacité du placement de produits dans une oeuvre de fiction était principalement évaluée au regard du succès rencontré par un film, explique Alain Maes. L'ouverture du marché aux oeuvres télévisées nécessite une approche plus fine de cette efficacité.» Autrement dit, pour mieux observer l'impact de son placement de produits, l'annonceur ne doit plus se contenter de compter le nombre et la durée d'apparition de son produit à l'écran.
«Plus Belle La Vie» sur France 3 a été la première fiction française à recourir au placement de produits à la télévision.
Jeu vidéo: les marques aux manettes
C'est via le jeu Splinter Cell Conviction (Ubisoft) sorti en 2010 que Philips fait ses armes dans le placement de produits dans le jeu vidéo. Le héros du jeu, Sam Fisher, entre dans une boutique Philips et teste le rasoir électrique Philips Nivea for men. Mieux encore, lors d'une animation, une voiture s'emplâtre dans le panneau d'affichage et détruit le logo de la marque. Une scène bien loin de l'image positive que sont censés véhiculer les placements de produits. Mais pour Mathieu Parisot, directeur marketing on line de Philips, les conditions d'exposition de la marque dans un jeu vidéo sont différentes de celles que l'on peut observer au cinéma: « Si le placement de produit apporte son lot de réalisme à l'univers du jeu vidéo, les marques doivent redoubler de prudence en la matière, explique-t-il. Les joueurs sont plus avertis. Une marque placée de façon gratuite dans un jeu est aussitôt rejetée.» De son côté, Renault a placé sa future gamme de voitures électriques en vente, à partir du second semestre 2011, dans le jeu vidéo le plus vendu au monde: les Sims 3 (Electronic Arts). «Le joueur apprend à recharger son véhicule et à mesurer ses économies en carburant, argumente Raphaëlle Gomez, responsable de la communication de Renault. C'est une façon d'intégrer les mécanismes de l'électrique dans l'inconscient collectif.»
Le marché encore à ses balbutiements
Pourtant, peu d'opérations de placement ont eu lieu à la télévision. Même l'agence Casablanca, pourtant en bonne position sur le placement de produits au cinéma, s'est mise en dehors du jeu: « Le secteur est encore en phase de test », affirme Catherine Emond. En ce qui concerne son concurrent Marques et Films, le constat n'est guère plus optimiste. L'agence a réalisé une trentaine de placements sur 2010. Des poussières en comparaison des 4 000 opérations qu'elle effectue au cinéma chaque année. Alors, à qui la faute? A la répartition des recettes d'un marché estimé à 70 millions d'euros, selon le cabinet NPA. Si au cinéma le producteur perçoit la totalité des revenus, à la télévision, la manne doit profiter au producteur qui finance le programme et à la chaîne qui le diffuse. « En général, la répartition se fait à part égale », avance Olivier Bouthillier (Marques et Films). Seulement à terme, les producteurs redoutent que les régies publicitaires des chaînes s'emparent d'une part importante du gâteau. Dans ce contexte, le CSA a prévu d'établir un état des lieux en 2012 en vu d'élargir à terme le placement de produits aux émissions de flux (jeux, téléréalité, etc.). Tout en se préparant à cette échéance, TF1 continue d'avancer ses pions sur 201 1. Face au succès du placement de produits sur la série «Plus belle la vie», la chaîne privée s'apprête à créer une fiction calquée sur le même modèle. « Avec une série quotidienne, nous pourrons communiquer la date de diffusion du programme à l'annonceur, ce qui représente une véritable garantie dans son investissement, annonce Sylvia Tassan Toffola. Nous pourrons également mieux cibler notre audience et apporter de la récurrence aux annonceurs afin qu'ils s'approprient l'univers de la fiction.» En créant une fiction rien que pour développer le placement de produits, TF1 montre que le procédé a de beaux jours devant lui.
Catherine Emond (Casablanca):
«A l'inverse d'un spot publicitaire classique, l'introduction du produit ne doit pas être trop intrusive. Elle doit susciter une émotion chez le spectateur.»