Recherche

Les plus de 50 ans ne veulent plus compter pour des prunes

La date était connue depuis longtemps. L'échéance est enfin arrivée : cette année 2006 signe le début de la fin de l'activité des fameux baby-boomers. Une nouvelle étape à ne pas rater pour ne pas continuer à ignorer 40 % de la population française.

Publié par le
Lecture
16 min
  • Imprimer


Le marketing aime les formules choc et les nombreuses études consacrées aux 50 - 64 ans ne dérogent pas à la règle. « Il naît un senior toutes les trente-sept secondes », rappelait, par exemple, lors des rencontres Séniorscopie Notre Temps - Interdeco, Pascale Lévêque, directrice des études d'Interdeco Expert. « Une femme fête son cinquantième anniversaire toutes les minutes », souligne, de son côté, le département études d'Emap Media Régie, en charge du mensuel Pleine Vie. Au-delà du poids des mots, ces rappels ont le mérite de mettre en lumière une réalité encore trop souvent occultée par un marché toujours porté par la vague du jeunisme. Une réalité qui concerne rien moins que 20 millions de personnes aujourd'hui et qui seront 25 millions en 2020. Autant dire une cible de poids, mais que les marques comme les professionnels de la communication ne savent pas toujours comment atteindre.

Alléger le poids des mots

Le flou commence au niveau du langage même. Seniors ou Baby-boomers les 50- 64 ans ? Comme le rappelle Sandrine Cayeux de TNS Secodip dans l'étude Seniors - Consumers 2004, « le terme de “Senior” prend son origine dans le sport. Il a été adopté par le marketing pour désigner d'une façon pudique, les Français les plus âgés. » Quant à l'appellation “baby-boomer”, elle fait référence à un contexte historique particulier qui n'a plus guère de signification pour une bonne partie de la population aujourd'hui. Emap Media Régie et le magazine Pleine Vie ont, en tous les cas, imaginé récemment un nouveau mot, spécifiquement réservé aux femmes à partir de 50 ans, qu'ils ont baptisé les “Vitanova”, un raccourci pour évoquer à la fois la force de vie et la nouvelle phase qui caractérise cette étape. « La “ménagère de moins de 50 ans” a la vie dure alors que les plus de 50 ans représentent près d'une consommatrice sur deux, explique Nicolas Cour, directeur du marketing et des études d'Emap Media Régie. Nous avons voulu en savoir plus sur elles pour donner des clés qui permettent de mieux communiquer dans leur direction. » La régie de Pleine Vie a ainsi fait appel à Aloa Consulting pour animer des sessions exploratoires auprès de femmes de 50 à 75 ans et, interrogé 600 femmes de 50 ans via le panel interne Emap Media Régie. L'originalité de cette étude est de reposer non sur des critères d'âge ou de CSP mais d'aller au-delà pour s'axer sur un comportement lié à un état psychologique. Partant du constat que la vie après 50 ans n'est plus du tout homogène, elle identifie trois grands “temps de vie”, dont les frontières sont strictement individuelles. Selon Aloa, la première phase se termine par une période transitoire de crises et de ruptures, avec la fin de l'activité professionnelle, le départ des enfants, l'évolution du physique et le rapport à l'apparence, suivie de l'émergence d'un nouvel équilibre qui marque enfin un nouveau cycle. “Pour cette période de vie qui dure quinze à vingt ans et parfois plus, la femme a le sentiment d'avoir achevé de “construire sa vie”. Elle accepte son âge et sa maturité. Il s'agit maintenant d'en profiter, c'est pourquoi la notion de projets est primordiale, pour notamment repousser le plus loin possible la “période 3” qui marque la vieillesse et le recentrage sur soi”, ajoutent les responsables de l'étude. A partir de ces constats, croisés avec les avis recueillis auprès de professionnels du marché, Emap Media propose un certain nombre de clés pour communiquer efficacement auprès de cette Vitanova. Il s'agit de la traiter comme une cible de (re)conquête sous peine de la perdre, la reconnaître comme une “pro” de la consommation et des marques, bref une femme active. Selon l'étude sur les Vitanova, parue en novembre 2005, il faut, en outre, prendre en compte les valeurs et la culture de cette cible pour combattre l'idée reçue que ce sont les mêmes que celles des femmes de moins de 50 ans.

La pub traîne les pieds

Autant de conseils qui paraissent de bon sens, mais qui ne raisonnent pas forcément comme tels aux oreilles des annonceurs et des agences. Comme le rappelle Nicolas Cour, « 5 % seulement des investissements publicitaires sont dédiés aux plus de 50 ans et seulement 1 % des spots TV les mettent en scène, souvent d'ailleurs en maltraitant leur image ». « Il y a encore et toujours un énorme décalage entre le poids démographique de cette population qui amène à penser qu'il existe là un énorme potentiel de marché et la réalité publicitaire liée à des annonceurs qui ont peur de donner une image vieillissante à leur marque », note Patrice Angot, directeur associé marketing et commercial du site Seniorplanet. Les quelques médias qui leur sont spécifiquement dédiés ont ainsi toujours du mal à figurer en digne place dans les plans. « Il est effectivement encore difficile de convaincre les marques d'utiliser les titres dits “seniors”, confirme Zyslat Belliat, directrice déléguée des études d'OMD. On préfère utiliser la télévision que l'on sait très regardée par cette cible ou encore les radios généralistes qu'ils écoutent en risquant dans tous les cas de verser dans la caricature. C'est d'autant moins simple que les plus de 50 ans n'ont pas forcément envie de se laisser enfermer dans des catégories dédiées, sachant que la transition est longue avant de percevoir réellement son âge. » En dépit du fait que les experts leur répètent, par exemple, que leur revenu net imposable annuel moyen est supérieur de 30 % à celui des foyers de moins de 50 ans, les marques de grande consommation continuent pour beaucoup à préférer s'adresser aux jeunes lorsqu'elles lancent un nouveau produit. « Elles continuent de croire que les plus de 50 ans ne changent pas facilement de marques, ce qui n'est pas vrai, ajoute Zysla Belliat. C'est une population exigeante mais essayeuse. » En télévision, Michel Drucker a, par exemple, planché sur le lancement d'une chaîne senior avant d'abandonner. Seule, la petite chaîne Télé Mélody a osé s'essayer à l'exercice. Créée il y a quatre ans, elle revendique plus de 700 000 foyers abonnés et près de 2 millions téléspectateurs par semaine et elle a concentré ses programmes autour des “chansons cultes et des variétés mythiques”. La chaîne, dirigée par Bruno Lecluse, est ainsi la seule télévision à proposer chaque jour les grandes émissions de variétés des années 60 et 70, diffusées dans leur intégralité. A la différence de Nostalgie en radio (encadré p. 36), Télé Mélody privilégie la chanson française. A la rentrée 2005, son catalogue s'est étendu à cinq émissions de variétés par jour. Depuis la fin de l'année dernière, la chaîne propose une nouvelle émission quotidienne d'un quart d'heure qui est une sélection de chansons françaises des années 70-80. Et, pour permettre à ses téléspectateurs de mieux s'y retrouver dans ses programmes, elle a lancé mi-janvier, “L'Agenda Mélody”, une chronique hebdomadaire, qui fait le point sur la programmation et l'actualité des artistes phare de cette époque. Reste qu'il n'est pas facile de s'adresser à cette cible.

Les duellistes affûtent leurs armes

Son hétérogénéité n'est pas non plus sans poser problème aux médias qui souhaitent s'adresser directement à elle. Les remous qui agitent Notre Temps chez Bayard et Pleine Vie chez Emap en sont une des illustrations. Le premier a marqué ses intentions en reprenant l'an dernier la marque et les abonnés du magazine Vivre plus, édité par Média Participations. « Nous voulons relancer courant 2006 ce mensuel en visant une cible un peu plus jeune que Notre Temps », indiquait au moment du rachat Hervé Sauzay, directeur du département générations et modes de vie de Bayard. Le groupe avait d'abord misé sur Côté Femme pour parler aux femmes de 50 ans, sans réussir ce pari. AvecVivre plus, positionné comme « le générationnel à centre d'intérêt qui prend la vie, au-delà de 50 ans, du bon côté », Bayard Presse veut se donner une seconde chance. Chez Emap, qui semblait également intéressé par ce titre, on teste et reteste actuellement la nouvelle formule de Pleine Vie qui doit sortir au printemps. « Nous sommes confrontés à une vraie dichotomie entre un important portefeuille d'abonnés, à la fois mixtes et plus âgés, et un lectorat plus jeune, à 70 % féminin, constitué d'abonnés et d'acheteurs en kiosque, explique Christine Seguin, directrice de la communication et du développement du mensuel. Cela nous oblige à faire un grand écart pas très confortable entre les deux sans casser ce qui en constitue le socle. » La dernière refonte de la formule date de 2002. « Elle avait notamment renforcé le fait que Pleine Vie fonde sa promesse éditoriale et son approche journalistique, non pas sur une “ghéttoïsation” ou une spécificité des sujets abordés mais sur l'intégration dans l'angle de ces sujets des spécificités de la cible », note Christine Seguin.

Internet, un média d'avenir

En attendant cette nouvelle formule, voire le lancement d'un second titre générationnel dont on parle régulièrement, Emap annonce déjà l'arrivée de Pleine Vie sur le Web. Chez Bayard, le site notretemps.com, qui existe depuis 1998, vient de connaître des évolutions. « Il nous fallait tenir compte de la diversification du public en renforçant à la fois ses liens avec la marque et en élargissant son domaine, explique Jean-Marie Nazarenko, directeur du site. Mais nous ne sommes pas prêts à vendre notre âme pour aller draguer les baby-boomers. » Ce support, qui a terminé 2005 avec un rythme de 500 000 visites uniques par mois et dont le cœur de cible est constitué de 50 - 65 ans, développe notamment les services proposés aux internautes, gratuits et payants. Ils sont depuis peu regroupés dans un ensemble baptisé “notretemps.complus”, proposé dans une fourchette de prix allant de 20 à 72 E, selon la formule, le nombre de services et la profondeur de l'offre promotionnelle choisie. Soixante partenaires ont rejoint notretemps.complus pour y proposer des réductions allant de 6 % pour des séjours au Club Med à 60 %. « Les premiers chiffres d'abonnés sont très significatifs, voire inattendus », note Jean-Marie Nazarenko. D'après ce dernier, l'objectif du groupe est de diminuer la publicité qui représente 60 % des revenus à 50 % d'ici trois ans, au bénéfice du développement des services payants. Chez Notre Temps, le mot senior n'apparaît nulle part; « le terme devrait d'ailleurs assez vite tomber en désuétude », estime Jean-Marie Nazarenko. C'est différent chez seniorplanet.fr, comme son nom l'indique. « Sur Internet, il faut appeler un chat un chat pour être pertinent, explique Patrice Angot, directeur associé du site. Si nous lancions un magazine papier, nous ne nous appellerions pas ainsi, car l'achat d'un magazine est un geste ostentatoire. Il en va différemment sur Internet qui est un média de l'intime et c'est en cela d'ailleurs qu'il convient à cette population confrontée entre l'être et le paraître. » Pour ce dernier, ce média est celui qui a le plus de pertinence pour toucher les 50 ans et plus. « 2006 marque d'ailleurs un cap avec l'explosion du baby-boom, précise-il. En commençant à partir à la retraite, ils se retrouvent partager le même statut que leurs parents, ce qu'ils ont toujours refusé. Ils vont maintenant aller chercher tous les stigmates de la différenciation, notamment en termes de médias. »

« Arrêtons les caricatures » Interview Marc-Antoine Jarry, directeur du planning stratégique d'Ogilvy & Mather - agence notamment à l'origine des campagnes Dove - estime que le marché doit aller à la rencontre des plus de 50 ans.

Marketing Magazine : Pourquoi est-ce que cela semble si difficile de convaincre le marché qu'il faut communiquer en direction des seniors ?

Marc-Antoine Jarry: Je dirais, aujour­d'hui, que c'est beaucoup plus simple qu'il n'y paraît. L'enjeu est d'abord de valider l'opportunité économique de s'adresser à eux. Certains le font sans en donner directement l'impression. La communication financière, par exemple, est globalement dirigée vers les plus de 50 ans sans qu'elle éprouve la nécessité de le crier sur les toits. Le fait que plus de 45 % des voitures neuves soient achetées par les seniors, a pour conséquence que la publicité automobile s'intéresse à eux, sans là non plus le souligner. A l'inverse, la grande consommation estime qu'il est plus intéressant de s'adresser aux foyers de quatre personnes qu'à des personnes seules. Or, ils s'apercevront de plus en plus que cette cible est un bon test pour prendre en compte la fragmentation des moments de vie qui se fait quel que soit l'âge. Globalement, on se trouve face à des freins qui ne sont pas liés à la cible, mais à l'état d'esprit des managers du marketing et de la communication.

MM : Sur quoi reposent ces freins ?

M-A. J: Depuis cinquante ans, notre métier a été amené à confondre renouvellement des cibles et jeunesse. Or, ces jeunes qui avaient au départ le pouvoir démographique et économique sont aujourd'hui des seniors! Il faut se déshabituer de penser que la seule cible motrice, c'est les jeunes. Les 50 ans et plus ont inventé beaucoup de choses et sont toujours, pour une bonne partie, très dynamiques. Il y a un vrai décalage entre l'image et la réalité de la cible. Les seniors d'aujourd'hui n'ont rien à voir avec l'image des grands-parents que nous avions enfants. Ce sont plutôt nos parents, nos amis ou nos patrons.

MM : Comment peut-on combler ce décalage ?

M-A. J: En s'adressant à eux de la bonne manière. Les chefs de produits de 25 - 30 ans, comme beaucoup de professionnels en général, n'ont pas d'expérience personnelle de cette étape de vie. Ils leur parlent toujours de l'extérieur, rarement en tenant compte de leur vécu psychologique, émotionnel. Or, comme pour toutes les catégories de la population, s'il n'y a pas d'empathie, on commet des erreurs. Il faut les rencontrer, mettre des vrais gens derrière les cibles comme nous l'avons fait, par exemple, pour Nestlé ou la Caisse d'épargne. A partir de là, on comprend leur formidable modernité et leur acuité vis-à-vis du marketing. Cela fait cinquante ans qu'ils consomment, c'est une fantastique cible de crash - test: si vous arrivez à les convaincre, vous pouvez convaincre tout le monde!

MM: Faut-il emprunter des canaux médiatiques particuliers pour aller les chercher ?

M-A. J: Qui dit plus de 50 ans, dit plein de cibles différentes. Il faut arrêter les caricatures. Ils sont lecteurs de presse, ils regardent la TV, ils surfent sur Internet et ils y restent longtemps. Bref, on peut utiliser toute la palette des médias, ce n'est pas le sujet. Le sujet est de bien comprendre à qui parler et, à partir de là, on trouve toujours les moyens pour leur parler.

MM : Peut-on également aller les chercher dans les endroits qu'ils fréquentent, comme on le fait pour la cible jeune ?

M-A. J: Là aussi, ils sont globalement partout. Il existe, bien évidemment, des lieux de socialisation qui parlent à la partie la plus âgée de la cible, les plus de 65 ans. On va chercher les jeunes dans les boîtes de nuit, rarement les seniors dans les dancings alors que c'est la même activité… Mais il y a aussi les clubs de loisirs, les associations, très importantes pour cette population. Sans parler des lieux de tourisme: ce ne sont pas les modes d'entrée qui manquent! Encore une fois, il s'agit au préalable de délivrer le bon message et que les marques comprennent que c'est leur rôle d'aller au-devant d'une société en mouvement.

Nostalgie surfe sur la tendance revival

Radio « Aux Etats-Unis, les programmes musicaux se limitent aux années 64-69, en France, la période s'étend des années 50 à 80. C'est ce que nous avons voulu pour Nostalgie. » Pour Mike Wagner, directeur de l'antenne de Nostalgie et de Chérie FM, il n'a jamais été question d'appliquer à Nostalgie l'exemple des formats des “goldies” made in USA. Deuxième station musicale de France avec 4 185 000 auditeurs (Médiamétrie Sept-Oct 2005, audience cumulée L-V 5h-24h, cible 13 ans et +), la radio revendique ainsi un cœur de cible d'auditeurs de 35 - 59 ans. La structure d'audience moyenne de ceux qui sont prêts à “entrer dans la légende” se répartit à hauteur de 10 % auprès des 25-34 ans, 33 % des 35-49 ans et 29 % des 50-59ans.

Fans des années 80

Axée sur la nostalgie, la radio consacre quelque 42 % de sa programmation aux années 60, autant aux années 70 et le reste aux années 80. Mais, depuis la rentrée, cette dernière période fait l'objet d'un focus particulier. La grille s'est étoffée d'un nouveau concept baptisé “Classique 80”. « Cette émission est un peu le hit parade de NRJ il y a vingt-cinq ans, note Mike Wagner. L'objectif est de recruter les trentenaires avec des musiques qui leur parlent. L'émission “Classique 80” a tout de suite porté ses fruits car Nostalgie a gagné 14 % sur les 25-49 ans en audience cumulée par rapport à la période avril- juin 2005. » Pour les baby-boomers, la station a créé l'an dernier “Nostalgie, mon histoire”, des soirées privées organisées autour d'un artiste et d'invités qui ont joué un rôle important dans sa vie. Cette stratégie de recrutement des 30 - 40 ans s'est matérialisée par le développement de jeux aux dotations plus importantes. La station revient cette année à la publicité institutionnelle dont elle était absente depuis quatre ans. Si Nostalgie est « dans l'air du temps, voire était en avance sur cette mode revival, comme le dit Stéphane Abecassis, responsable du marketing opérationnel des radios adultes au sein de NRJ Régie, elle n'a pas toujours eu l'écoute du marché publicitaire. Jusqu'il y a encore deux ans, la radio était mal connue et perçue comme ringarde. Nous avons montré que son succès reposait sur une tendance de fond et nous avons terminé 2005 avec une progression de 3,5 % du nombre de marques référencées. »

Léna Rose

S'abonner
au magazine
Se connecter
Retour haut de page