Enchères et en Noces : les acteurs et les alliances
Une fois encore, le one-to-one touche au caractère sacré du marketing mix. Un de ses derniers bastions s'effondre : le prix, qui s'adapte désormais dynamiquement au client et au contexte. En frappant la table virtuelle, le marteau des ventes aux enchères on-line scelle un accord individualisé entre acheteur et vendeur à un instant précis. Dominique Beaulieu, associé de Valoris, nous aide à découvrir cet univers.
Comment tout a commencé...
Une conversation
ordinaire entre Pierre et sa fiancée transforme un soir de 1995 la face du
commerce électronique, et entame le développement de la plus grande communauté
on-line au monde. La collectionneuse française regrette de ne pouvoir donner
libre cours à sa passion pour les Pez™, petits personnages distributeurs de
bonbons à moins d'1 $, introuvables alors dans la baie de San Francisco. Qu'à
cela ne tienne ! Son conjoint Pierre Omidyar décide de lancer un site d'échange
aux enchères. C'est le début de la fantastique success story d'ebay, devenu
aujourd'hui le 22e site visité et le 40e site marchand, rentable et autofinancé
dès le premier jour. Sa capitalisation boursière, dépassant les 20 milliards de
$, égale celle d'Amazon avec dix fois moins de chiffre d'affaires, et en fait
la coqueluche de la bourse.
Qui dit mieux ?
Depuis,
tour à tour victimes ou prédateurs, les acteurs se sont empressés de se
positionner. Bertelsmann lance Andsold. Jeff Bezos, président d'Amazon, rachète
Live-Bid et annonce que son service de vente aux enchères lancé en avril 99
représente la plus forte croissance du groupe. Les portails s'emparent du
filon : Yahoo! assure s'approcher du million de références disponibles sur son
site. En septembre 99, une centaine de sites spécialisés, parmi lesquels Lycos,
Excite@Home, MSN (Microsoft) ou Dell, s'allient pour créer un site d'enchères
en ligne destiné à détrôner le pionnier eBay qui fait figure d'épouvantail.
Chaque site de l'alliance utilise sa propre charte graphique mais propose les
offres de tous les partenaires du groupe. Les acteurs traditionnels tardent à
réagir. Christie's, propriété de François Pinault, n'a pas donné suite à son
projet de site, redoutant les suites juridiques quant à l'authenticité des
objets. Sothebys, qui avait annoncé en début d'année dernière, un
investissement de 25 millions de dollars, a préféré s'allier à Amazon l'été
dernier. Onsale emboîte le pas et dépasse en deux ans le chiffre d'affaires que
Butterfield, vénérable maison d'enchères, avait mis un siècle à construire. Au
point qu'on peut se demander si des sociétés du monde virtuel, valorisées
artificiellement, ne sont pas en train de s'offrir à peu de frais les fleurons
d'un monde bien réel.
Une fois, deux fois, trois fois. Adjugé !
Vous voulez fidéliser vos clients par autre chose qu'une énième
carte de fidélité. Misez sur les valeurs sûres des effets personnels : - effet
d'excitation dû à la compétition qu'il faut livrer pour obtenir satisfaction :
certains objets ont compté jusqu'à 150 à 160 contre-enchères - effet
d'entraînement, car il suffit qu'une offre soit placée pour qu'immédiatement
l'objet suscite un engouement : l'offre d'un tiers dégèle la méfiance, "si
quelqu'un veut l'acheter, c'est que l'affaire le mérite". - effet de curiosité
lié au caractère unique et insolite de l'objet. Pour André Haddad, le système
d'alertes tue le côté ludique : « Les enchères valent par la surprise. Si vous
recevez ce que vous demandez, vous n'aurez pas de frisson. » Il relève
pêle-mêle quelques "coups de coeur" d'ibazar : 14 wagons Pullman, le troc d'un
serpent contre un lézard, le siège éjectable d'un avion de chasse Mystère 4
vendu 40 000 F, une péniche cédée 2 MF, une plage en Thaïlande, un maillot
dédicacé Zidane, un autogire (ULM à décollage vertical), un Boeing 707 parti à
18 MF. La marionnette des Guignols, que Papin a placé aux enchères, est grimpée
à 32 000 F, avec un prix de réserve de 100 000 F, au profit de son association
NeufDeCoeur - effet malin : on vient faire "une affaire", en affichant un
rapport mature à l'argent. Alexis Helcmanocki, fondateur de Ohmydeal!, n'hésite
pas à innover, en distribuant sur son site des points de fidélité virtuels
ouvrant droit à de vrais cadeaux mis aux enchères. Mais il fait figure
d'exception. La méfiance des directeurs marketing s'explique sans doute par la
peur que ce canal marginal ne s'étende par habitude à l'ensemble des produits
et des clients. Par frilosité, ils installent une ligne Maginot de prix fixes
comme ultime rempart à la préservation des marges. Mais elle est, chaque jour,
contournée par les clients ou par de nouveaux intermédiaires.
Fabrice Grinda, président fondateur d'Aucland
« Tout s'achète. C'est une question de prix »
Créé en juillet 1998, Aucland lève un an plus tard 120 millions auprès d'Europ@web (Arnaud), et passe de 2 à 130 personnes en un an et demi. Avec 60 000 objets en France et 150 000 enchères placées, elle espère entrer en bourse fin 2000. Son jeune fondateur livre quelques clés du one-to-one : - « Nous avons choisi de prendre chaque client par la main : un magazine explicatif, de nombreuses pages d'aide en ligne. - Nous systématisons la publicité en ligne personnalisée : en cherchant le mot "timbre" sur le moteur Altavista, une bannière "timbre" spécifique s'affiche et vous transporte directement sur la rubrique correspondante du site. - Nous encourageons les communications au sein de notre communauté, et le côté ludique "C'est moi qui vais gagner", "Non, je vais te battre". - Nous créons et hébergeons le site personnel d'enchères de nos adhérents. - Nous récompensons la réputation et la fréquence des transactions avec des points cadeau, débouchant sur des bouteilles de vin, des T-shirts dédicacés, des objets StarWars. - Les alertes personnalisées signalent que votre recherche de pentium 3 vient de croiser une offre. - Le parrainage rapporte 5 F par nouvelle vente ou achat. - La promotion permet, à travers les "objets à 1 F" (cinq téléphones GSM Nokia, une Mazda, dix lots de DVD), ou le séjour au Westminster Palace de Nice, d'initier les internautes par un cycle d'achat disputé. La personnalisation, c'est aussi l'adjudication d'objets uniques, pour le bénéficiaire de la caisse de champagne à 420 000 F, du kangourou à 9 000 F, du cadre artistique au salaire de 160 000 F. Par contre, le succès répété des "têtes réduites africaines" nous a poussés à les retirer de la vente. »
Lancez votre site de vente aux enchères : le cocktail gagnant
1) Choisissez un modèle économique - C to C : de particulier à particulier. André Haddad, directeur marketing d'ibazar, revendique 95 % de part de marché en France (source NetValue 99) et 10,2 % de part d'audience. - B to C : canal de vente (degriftour), de déstockage (le mardi chez Nouvelles Frontières) ou de promotion (Lufthansa). - B to B : AdonSales s'est positionné sur le marché des espaces publicitaires invendus. Les règles du jeu sont bien comprises au sein d'une communauté fermée, 20 000 personnes dans la publicité pour un marché global de 150 milliards de francs en France (spots TV, presse...). e-steal s'attaque au marché des matières premières (2 000 acheteurs sur le métal aux Etats-Unis), Carsat fédère le réseau des revendeurs de voitures d'occasion (scènes filmées en direct et transmises par satellite) - C to B : groupements d'acheteurs. Priceline invite ses clients à signaler à date fixe le prix qu'ils sont prêts à payer pour une destination donnée ou la chambre d'un grand hôtel. Un référentiel des prix pratiqués évite un décalage trop fort avec le marché. 2) Optez pour un site spécialisé, comme Nart, dédié aux antiquités, ou ajoutez une fonctionnalité "enchères" sur votre site actuel. Les places sont déjà prises pour un positionnement généraliste : ebay couvre la planète avec 1 627 rubriques spécifiques et génériques (CD, numismatique, antiquités, voitures, timbres). Et sur Internet, il y a peu de place pour les numéros 2 : une charte empêche le vendeur d'engager son objet sur un autre site, puisqu'il doit être vendu dès qu'une offre dépasse le prix de réserve. Le vendeur privilégiera donc le site le plus visité, celui sur lequel l'objet a la plus forte probabilité de partir. 3) Adoptez un mode de rémunération : forfait d'adhésion, prélèvement d'un pourcentage de 3 à 5 % sur la transaction. Supprimez les barrières à l'entrée pendant la phase d'acquisition, en privilégiant la gratuité. Sur Adonsales, la commission est dégressive de 15 à 3 %. 4) Communiquez, communiquez, communiquez : recrutez des sites affiliés, apporteurs de trafic. ibazar a dépensé 15 MF pour installer sa mascotte Simone. En réponse, Aucland propose en teasing un spot TV dont la chute n'est accessible que sur son site : les habitants d'un immeuble incendié se disputent aux enchères leur sauvetage par les pompiers. 5) Obtenez rapidement une masse critique d'objets, par le recrutement forcené de déstockeurs. Une fois n'est pas coutume, c'est l'offre qui détermine la demande. 6) Suscitez la confiance, instaurez un système d'évaluation : l'acheteur note le vendeur, qui acquiert une réputation à travers le nombre de transactions qui se sont bien déroulées. Sur Aucland, AXA indemnise en cas de casse le vendeur de l'objet qui dispose d'un historique irréprochable. 7) Fournissez des services optionnels : iescrow.com, qui, comme son nom ne l'indique pas (escrow signifie engagement en anglais), sécurise les transactions. L'acheteur envoie son chèque à l'organisme tiers qui l'encaisse. Dans le même temps, le vendeur expédie son produit. Si l'objet satisfait l'acheteur, escrow libère le paiement. D'autres services peuvent être proposés : numériser la photo à la place du client, proposer des alertes personnalisées, convertir les objets en 3D. 8) Accordez toute son importance à la partie juridique, spécialement en B to B où la responsabilité de l'intermédiaire est spécialement engagée (produits médicaux, loi Sapin...). Adonsale impose un règlement de 14 pages draconien : l'adhérent doit retourner une lettre tamponnée certifiant qu'il a lu ce règlement et est accrédité par son entreprise 9) Surveillez votre site, pour écarter les dérives : 250 g de cocaïne ou articles néo-nazis sur ibazar, poudres de perlimpinpin, cassette pirate StarWars (Aucland)... grâce à des moteurs de recherche qui filtrent les mots clés incriminés. Débusquez les plaisantins : sur ebay, Andrew Tyler, adolescent de 13 ans, a acheté pour 3 millions de $ avant de se faire pincer (tableau de Van Gogh, voiture de sport...) 10) Personnalisez le service client, et répondez à cette population très participative par tous les canaux (centre d'appels, e-mails, WAP). 11) Soignez le système d'information : offrez une navigation simple, l'accès direct à la rubrique recherchée, temps de réponse, fiabilité (l'interruption de service d'ebay pendant 20 heures a failli lui coûter cher). Adoptez un progiciel : OpenSite a fait ses preuves, comme Moai, Fairmarket, Microsoft, Trade'ex, Webvision ou living systems, une des meilleures approches pour maîtriser un développement spécifique. 12) Que ferez-vous quand vous serez riche ? Faites comme le Marseillais Marciano, qui écoule ses objets de luxe sur son site propre Gmbid.