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Du spectateur au consommateur : alerte au sens

Dans les années 60, le rock était taxé de musique de zoulous, aujourd'hui, l'art contemporain semble subir un sort analogue. Il serait réservé aux excentriques. Trop élitaire ou pas assez démagogique ? Pourtant certains professionnels de la communication, du marketing, de l'image de marque y puisent leur inspiration. Rencontre avec Bruno Messey, directeur artistique du traiteur Saint Clair (groupe Bongrain), autour du travail de la papesse du body-art, Marina Abramovic. Il nous explique ce en quoi l'art contemporain est en phase avec son travail.

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S'étendre au milieu d'un brasier en forme d'étoile, se couper les ongles et les cheveux et les y jeter ; s'allonger nue sur un drap blanc avec un squelette posé à même le corps ; se flageller jusqu'à ne plus sentir la douleur ; faire approcher une aiguille de quelques millimètres de son oeil grand ouvert et faire suivre le contour de ses veines de la pointe de l'aiguille, etc. Quelle étrange folie habite Marina Abramovic pour effectuer de telles performances ? Et surtout quel profit pourrait tirer un marketeur moyen à aller voir sa dernière exposition ? Ecoutons plutôt Bruno Messey, directeur artistique du groupe Saint Clair. « Le travail de Marina Abramovic me touche, car elle ne cesse d'explorer les limites physiques et psychiques. Le corps et la résistance du spectateur sont ainsi mis aussi à l'épreuve. Il se sent saisi par ce travail qui excède les limites du raisonnable, bouscule et bouleverse les moeurs et coutumes artistiques. J'apprécie ce courage. » Autre haut fait de démesure critique, en 1997, l'artiste, assise au sommet d'un amas d'os sanguinolents, les brosse et les lave pour figurer la purification ethnique. Elle interroge l'actualité de la guerre des Balkans, la réalité des champs de bataille et des charniers. « Je ne trouve rien de malsain, ni de morbide dans le travail de Marina Abramovic. Il nous sort de notre indifférence ou de notre réprobation polie face aux flux d'images télévisuelles qui relatent quotidiennement la cruauté du monde. Elle nous fait sortir de notre torpeur douillette. Elle demeure pour moi l'une des dernières grandes figures du body-art qui ne s'est jamais laissé corrompre par le simple spectaculaire et dont l'acuité critique ne s'est pas émoussée », poursuit Bruno Messey. Mais justement, est-ce bien raisonnable et crédible ce goût pour une artiste aussi limite lorsqu'on travaille depuis des années dans le luxe ? « Cette fonction de directeur artistique dans laquelle je viens d'entrer est une création de poste. Certains dirigeants prennent conscience que l'innovation ne peut venir d'individus pétris d'a priori et de goûts convenus. Pour Saint Clair, je fais du conseil stratégique en réceptif. Il ne s'agit pas de se survendre mais de rapprocher nos métiers de ceux de l'art, de ne pas nous caler sur la demande mais de savoir ce que nous devons faire pour évoluer. Nous voulons laisser à nos clients un souvenir dans leur imaginaire et dans leur émotionnel. Un peu comme le ferait une oeuvre d'art. Avec eux, je cherche à tisser des liens dans l'esprit de ceux qui unissent un collectionneur et un artiste. Aujourd'hui, dans ce contexte de saturation, de redites, outils indifférenciés, les artistes sont indispensables aux entreprises. Je rêve par exemple de m'inspirer de ce que la marque de café italien Illy vient de faire au Palais de Tokyo avec Louise Bourgeois », explique Bruno Messey. Mais au fait, qu'est-ce qui peut pousser un galeriste à exposer Marina Abramovic ? « J'ai l'impression de faire de la résistance. Il n'existe plus d'artistes qui repoussent aussi loin leurs limites. Mon rôle n'est pas d'exposer des produits américanisés politiquement corrects, c'est-à-dire qui émeuvent immédiatement car ils ont un goût de déjà vu. Je ne propose pas de mettre en action une ligne émotionnelle dictée par la forme », déclare Serge Leborgne de la galerie Cent8. Et, certes, Marina Abramovic parle de l'être. Son travail constitue un recadrage à vif de l'humain, incite à la réflexion sur soi-même. Dans ses expériences des limites, elle signifie que le corps n'est pas qu'une enveloppe malléable soumise aux normes des apparences. Elle met en défaut les délires de surpuissance et d'accumulation des richesses de nos sociétés. Néanmoins, personne ne croira que ce style d'exposition puisse attirer des professionnels du marketing et encore moins leur donner l'envie de collectionner des oeuvres d'art contemporain. « Détrompez-vous. Je ne vous dirai tout de même pas que les chefs de produits se bousculent à la galerie. Mais c'est un phénomène qui ne date que d'une dizaine d'années, je compte parmi mes clients des gens de Procter, de Danone, d'Unilever. Regardez aussi le travail d'Illy. Ce n'est pas une marque française mais certaines devront y venir. Les médias aussi lorsqu'ils joueront vraiment leur rôle et auront dépassé les impressionnistes, Matisse et Picasso pour s'intéresser à leur époque », assure Serge Leborgne. Va-t-il donc falloir déchirer ses posters de la Joconde, jeter ses chaussettes Mondrian, brûler ses torchons Van Gogh pour rester innovants ? Jusqu'au 21 décembre Galerie Cent8 108, rue Vieille du Temple 75003 Paris .Tél. : 01 42 74 53 57

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